Les sciences humaines, réponse au défi climatique

Par Jean-Pierre Amigues et Nicolas Treich, chercheurs à l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE).

L'un après l'autre, les rapports du Giec soulignent avec plus de précision la responsabilité humaine dans les changements climatiques en cours sur la planète. Responsable et en même temps victime, l'homme se trouve placé au centre de la question du climat. L'archéologie a montré comment, dès le paléolithique, nos ancêtres, pourtant peu nombreux et peu équipés techniquement, ont contribué à l'extinction d'une large part de la faune américaine et à la désertification de vastes étendues par leurs incendies volontaires.

Mais, jamais jusqu'à présent, l'homme n'avait été en mesure d'affecter les équilibres naturels de la planète sur une aussi grande échelle. Deux discours s'affrontent aujourd'hui. Pour les uns, le changement climatique est un défi parmi d'autres, tels que la faim dans le monde ou le sida. Sa résolution repose sur des politiques qui doivent être raisonnées quant à leurs impacts sociaux et économiques. Pour les autres, il s'agit désormais d'inventer un mode radicalement différent de développement passant par une redéfinition complète des priorités.

Dans tous les cas, nous sommes face à des choix d'ordre politique, qui peuvent être éclairés par des travaux d'économistes. Le britannique Nicholas Stern a ainsi évalué les impacts du changement climatique pour l'économie mondiale, grâce à un important effort de modélisation. La mise en évidence de coûts futurs considérables (l'équivalent d'une perte annuelle de 5% du PIB mondial) a d'ailleurs largement contribué à la prise de conscience des responsables politiques, d'autant que le rapport Stern montrait que cet impact pouvait être réduit à 0,1% grâce à des politiques environnementales adaptées.

Mais le calcul économique rencontre ses limites lorsqu'il s'agit d'apprécier la préférence pour le présent de nos sociétés et leur appréhension des risques. Ces questions majeures nécessitent une réflexion spécifique. Elles nourrissent en particulier les travaux du philosophe allemand Hans Jonas qui ont inspiré le principe de précaution. Elles nous interrogent sur notre rapport de solidarité avec nos lointains descendants, sur l'exercice de nos responsabilités collectives, et sur la place de nos peurs face aux inconnues du futur.

Les recherches des psychologues américains Daniel Kahneman et Amos Tversky ont mis en évidence l'importance des biais cognitifs et émotionnels face à l'incertitude, qui conduisent par exemple à surestimer les probabilités d'événements arrivés récemment et fortement médiatisés. La présence de ces biais rend d'autant plus indispensable une démarche collective et raisonnée face aux risques. La société, en s'organisant autour de la gestion du risque climatique, va changer peu à peu de configuration. Le sociologue allemand Ulrich Beck montre comment le partage du risque tend à prendre finalement plus d'importance dans nos sociétés que le partage des richesses.

Inévitablement, le défi du climat pose aussi la question du fonctionnement des institutions dans nos démocraties. Les Etats qui se mettent volontairement hors jeu profitent des efforts des autres sans agir eux-mêmes. C'est la stratégie du "passager clandestin", dénoncée par l'écologue américain Garrett Hardin qui complique grandement la coordination internationale autour de l'enjeu du climat.

On déplore souvent le peu de place pris par les intellectuels dans les grands débats environnementaux de notre temps. Mais de quels intellectuels parle-t-on? Le pouvoir d'influence de l'intellectuel solitaire engagé dans de "bonnes causes" apparaît aujourd'hui limité. Mais les exemples cités ci-dessus nous ont permis d'illustrer les apports de chercheurs influents, anthropologues ou économistes, philosophes ou psychologues, au débat sur le changement climatique.

Jean-Pierre Amigues et Nicolas Treich, chercheurs à l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE), coordinateurs scientifiques de la conférence "L'homme et la société face aux défis des changements climatiques" [www.tse-fr.eu/confclimat-pfue/fr/accueil.html]

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