Les Etats-Unis face à la crise financière  : "nous sommes devenus pauvres"

Robert C. Merton professeur à la Harvard Business School, prix Nobel d'économie 1997 répond aux questions de La Tribune sur la crise financière et le plan Paulson de sauvetage du secteur financier américain

La Tribune - Comment évaluer correctement les titres que le Trésor va racheter aux banques en difficultés ? Faut-il faire du mark-to-market ?

Robert C. Merton - Le mieux évidemment, ce sont les prix de marché - si vous les avez. Mais comme vous savez, certains titres ne sont pas échangés actuellement. Dans ces cas là, comment faire ? Faut-il prendre le prix historique ? Non. D'autant que certains instruments n'ont pas été évalués pendant des années. Leur valeur apparaît stable, mais en fait, le prix ne nous renseigne pas du tout et ne peut nous donner confiance ! Seule solution : se demander, dans l'environnement actuel, quel serait le prix de tel instrument s'il était traité sur le marché. Pas dans le contexte d'il y a trois ans, ou avec des taux d'intérêt à 4%, etc. Il faut trouver ce prix. L'ironie suprême, évidemment, c'est que dans les périodes de stress plus qu'à aucun autre moment, les investisseurs ont besoin de confiance et de transparence, et ils ne l'ont pas...

Quant est-il des modèles propres aux institutions financières ? Sont-ils fiables ?

Ces modèles sont critiqués, certes. Mais il ne s'agit pas de laisser chaque individu décider des critères qu'il va entrer dans sa machine pour son modèle. Une approche plus standardisée est possible et d'ailleurs déjà en place dans les grandes institutions, pour les produits les plus connus. Pour les produits plus sophistiqués, plus complexes, comme des tranches structurées de CDOs, il y a là aussi des sociétés qui produisent des modèles, imparfaits peut-être, mais qui ont le mérite d'exister.

- Mais comment inclure la volatilité dans ce système, c'est l'équivalent de prévoir l'avenir, et par les temps qui courent, c'est impossible !

Ces modèles ne sont pas parfaits, mais ils sont meilleurs qu'il y a 20 ans, ou même cinq ans. Il y a maintenant des marchés, des indices, comme les Vix, qui indiquent comment les investisseurs voient le risque et ce qu'ils sont prêts à payer pour en être protégés. Et ces données, qui n'existaient pas il y a quelques années, sont maintenant disponibles, et pour tous les grands marchés de la planète.

- Bref, tout cela veut dire que le Trésor saura quel prix attacher aux titres qu'il achètera...

A moins qu'il ne subisse la « malédiction du vainqueur ». Autrement dit, celui qui remporte une enchère, dans n'importe quelle circonstance, a forcément payé plus que les autres .... Mais le fait est qu'il faut nettoyer le bilan des banques, pour qu'elles puissent ensuite se recapitaliser.

- Comment le Trésor va-t-il s'y prendre ?

Le Trésor, qui n'a d'ailleurs pas expliqué correctement son plan, achètera sans doute des prêts individuels et des prêts rassemblés dans des produits structurés. De même, des prêts qui pourront tomber en défaut et d'autres non. Le tout dans le but d'éviter une amplification de la crise. Les prêts individuels seront sans doute traités sur la base des prix du marché immobilier actuel. Ce plan n'est pas une subvention déguisée aux propriétaires. Quant aux produits structurés, le Trésor les achètera sans doute aussi à un prix fondé à la fois sur le prix du marché immobilier et sur les conditions prévalant actuellement sur le marché du crédit. Les choses peuvent être traitées sur, disons, les dix huit mois qui viennent. Après cela, combien de temps est-ce que ces produits resteront dans les livres de comptes du Trésor américain ? Peut-être des années. Les créances des savings & loans y sont restées sept ou huit ans. Si cela prend moins de temps cette fois-ci, parfait, mais nous ne devons pas être trop optimistes... Il faut se faire à l'idée que toute cette affaire prendra des années à être assainie. Enfin, tous ces efforts ne doivent pas faire oublier que sur le marché immobilier, un total de 4 000 millions de dollars a été directement perdu, en raison de la baisse des prix depuis un an aux Etats-Unis. Ces millions de dollars sont perdus à jamais, ils ne reviendront pas. Toutes les pertes seront redistribuées entre les institutions financières, les ménages .... grâce au plan de sauvetage voté par le Congrès, mais elles ne cessent pas d'exister pour autant. Nous sommes devenus pauvres !

- Cela augure mal pour la croissance économique à venir, n'est-ce pas ?
En effet. L'effet richesse à l'envers pèse déjà sur les décisions des consommateurs depuis quelque temps. En outre, les marchés financiers peuvent faire des tas de choses mais ne peuvent apporter le salut à une économie en perte de vitesse. Mais je laisse d'autres se hasarder à faire des pronostics en matière de croissance du PIB...

- Pour ceux qui ont encore de l'argent, où doivent - ils le placer ?

Cela dépend évidemment de chaque investisseur et du risque qu'il veut prendre. Je ne recommande rien ! Toutefois, des produits de type obligations du trésor, protégés de l'inflation, sont sans doute une bonne idée pour les plus conservateurs.

 


A retrouver avec le lien : https://drfd.hbs.edu/fit/public/facultyInfo.do?facInfo=ovr&[email protected]

 

Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 15:03
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"un total de 4000 millions de dollars..." Il s'git de Milliards et non de millions, une erreur de traduction... pour info l'immobilier est évalué à 50 000 milliards.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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quel esbrouffeur ce type ; quand la croissance américaine frollait les 4 ou 5 % tout le monde se sucrait ,les grande gueules républicaines qui sont les premieres a crier au loup maintenant ,mais aussi les administrations democrates et republicaines q...

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