Paul Krugman ou les leçons pour l'Europe d'un économiste américain

Dans son dernier livre, l'économiste américain Paul Krugman appelle à un changement radical de politique économique dans la zone euro. Il suggère de tout mettre en oeuvre pour faire remonter l'inflation, qui allégerait le fardeau des dettes et redonnerait de la compétitivité aux pays du Sud.
Paul Krugman, économiste, prix nobel 2008 et chroniqueur au New York Times.

Ce livre, qui sortira en France le 5 septembre, provoquera un choc. Alors que, selon toute probabilité, l'Europe sera encore plus clairement en récession qu'elle ne l'est aujourd'hui, Finissons-en avec cette crise... maintenant, le dernier ouvrage de Paul Krugman, livre une analyse à rebrousse-poil de la crise actuelle. À la fois de ses causes et des remèdes envisageables. À rebrousse-poil de ceux qu'il appelle, dans une expression difficilement traduisible, « the Austerians » (les « austériens », dans la future version française), à savoir ces farouches partisans de l'austérité qui ont imposé leurs vues au printemps 2010, après que la récession de la fin 2008 a remis temporairement au goût du jour les politiques de relance. Des austériens qui vont conduire l'Europe à une crise semblable à celle des années 1930. Peut-être pas aussi profonde, mais avec beaucoup de similitudes. Dont un coût humain considérable, en termes d'emplois. Le livre est d'ailleurs dédié aux « chômeurs, qui méritent mieux ».Paul Krugman, avec un sens aigu de la pédagogie, démonte les arguments des austériens, citant, en exergue du chapitre qui leur est consacré, un certain Jean-Claude Trichet.
Quel est le principal argumentaire, des partisans de l'austérité budgétaire, qui se sont imposés en Europe, et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis ? Krugman avance une expression, pour le caractériser : « La fable de la confiance. »À entendre, en effet, l'un des plus célèbres austériens, Jean-Claude Trichet, la réduction des déficits publics, synonyme de hausses d'impôts ou de baisse des dépenses (subventions, pensions...) n'a pas d'impact négatif sur la consommation, l'investissement et la croissance. Au contraire ! La rigueur dope l'activité, dit Trichet, car elle renforce la confiance.

Krugman ne balaie pas l'argument d'un revers de main. C'est possible, analyse-t-il, via deux canaux. La perspective d'un déficit moins élevé peut, d'une part, amener une baisse des taux d'intérêt et, d'autre part, laisser espérer aux consommateurs comme aux chefs d'entreprises des impôts moins lourds à l'avenir. D'où un accroissement potentiel de leurs achats et investissements, avec, à la clé, un supplément de croissance. Mais la question soulevée par Krugman est simple : ces deux effets favorables des politiques d'austérité peuvent-ils contrebalancer l'impact dépressif des restrictions budgétaires ? C'est particulièrement improbable... et encore moins dans la situation actuelle : déjà très faibles, les taux d'intérêt ne peuvent guère baisser. Et qui consomme en fonction des impôts à payer dans dix ans ?
Le Prix Nobel s'attarde sur l'exemple britannique, pays qui, depuis 2010, a fortement misé sur les restrictions de dépenses publiques afin de renforcer la confiance et de retrouver la croissance. De fait, le résultat n'est pas des plus probants. La confiance des consommateurs et des chefs d'entreprise ne s'est pas améliorée... elle a lourdement chuté. « C'est quand l'économie est en plein boom qu'il faut pratiquer la rigueur budgétaire, et non quand elle s'enfonce. » Voilà l'une des principales leçons de Keynes, que les partisans de l'austérité ont jetée par la fenêtre. Volontiers polémiste, l'éditorialiste du Wall Street Journal assimile ce geste au retour d'une nouvelle barbarie. Dans les années 1930, nul ne connaissait les moyens de sortir de la crise. Un véritable âge de pierre de l'économie. Mais aujourd'hui, théoriquement, on les connaît. Pourquoi un tel rejet du keynésianisme ? Pour Krugman, cette « Keynesophobia » a pour source un rejet viscéral et idéologique de toute intervention de l'État, et une croyance profonde dans les mérites de la main invisible du marché, y compris en matière financière.
Cela conduit à incriminer, partout en Europe, les déficits budgétaires comme fauteurs de crise, alors qu'ils ne sont que la résultante des vices de construction de l'euro. À cet égard, Krugman souligne combien la création d'une monnaie unique était hasardeuse, dans une Europe où le marché du travail est tout sauf unifié - la mobilité des salariés est donc faible - et en l'absence de fédéralisme budgétaire : aux États-Unis, souligne-t-il, quand un État plonge dans la récession, non seulement une partie des salariés vont ailleurs, mais ce n'est pas le budget de cet État qui assume la majorité des transferts sociaux vers les chômeurs, puisqu'il s'agit d'une compétence fédérale. Les conditions de la création de l'euro n'étaient donc pas réunies, et sa création a été une erreur, dans la mesure où, en provoquant une baisse artificielle des taux d'intérêt dans des pays comme l'Espagne, il a provoqué l'apparition de bulles financières - immobilière, en l'occurrence -, insurmontables. Celles-ci ont dopé artificiellement la croissance, faisant grimper les salaires bien au-delà du raisonnable, compte tenu de la compétitivité de ces économies. D'où, une fois la bulle éclatée, une économie en dépression, et l'apparition de déficits publics majeurs.
Faut-il donc sortir de l'euro ? Ce serait trop lourd de conséquences. Que faut-il faire, alors ? Si les déficits publics sont aujourd'hui vus comme le problème no 1 en Europe, si l'Espagne ou l'Italie sont sous la pression des marchés, c'est seulement parce que ces États n'ont pas de garantie de financement de leur déficit par la Banque centrale, contrairement à tous les pays empruntant dans leur propre monnaie (les déficits sont plus importants aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais nul n'a jamais entendu parler d'attaques des marchés). Il faut donc d'urgence que la BCE puisse acheter de la dette publique lors de son émission. Un principe évident, facile à mettre en ?uvre techniquement, mais auquel les Allemands s'opposent mordicus.

En second lieu, renouer avec un peu d'inflation serait une bonne chose, avance Krugman. Elle n'aurait que des mérites, notamment en Europe, en permettant d'effacer une partie des dettes, en provoquant une baisse des taux d'intérêt réels (impossible, aujourd'hui, tant les taux nominaux sont faibles), et en faisant baisser les salaires réels, afin de redonner de la compétitivité à des pays comme l'Espagne. Pour ce faire, la BCE devrait abandonner son objectif de 2 % de hausse des prix, et viser plutôt 4 ou 5 %. D'un point de vue technique, il lui suffirait de se livrer à des achats massifs de titres, afin d'injecter toute la liquidité possible dans l'économie. Ensuite, il ne faudrait pas hésiter à pratiquer la relance budgétaire. Cela suppose, en Europe, une forte mutualisation des budgets, qui n'est pas encore à l'ordre du jour.
Ce livre témoigne de la vitalité du débat économique aux États-Unis, où les keynésiens ont encore droit de cité. « En Europe, tout économiste remettant en cause les politiques suivies ou le fonctionnement des institutions de l'Union est immédiatement assimilé à un souverainiste », relève Jean-Paul Fitoussi, de l'OFCE. « Il y a une véritable autocensure européenne, on a honte d'y être keynésien. Cela explique l'absence de débat sérieux, alors qu'aux États-Unis celui-ci est toujours resté vivace. »

Commentaires 7
à écrit le 21/07/2012 à 16:31
Signaler
Notre Prix Nobel serait-il financé par la CIA? Allons donc, ignore-t-il que l'inflation une fois installée se nourrit d'elle-même, renchérit tous les coûts, creuse d'autant plus le déficit de la balance commerciale etc...Et plus simplement, si sur un...

le 11/05/2014 à 23:34
Signaler
Tu dis n'importe quoi. L'inflation ne se nourrit pas d'elle même, lorsque Krugman parle d'inflation, il parle d'une cible d'inflation a 4% au mieux - ce que la banque centrale peut très largement contrôler. Je t'invite à lire quelques ouvrages d'éco...

à écrit le 20/07/2012 à 18:51
Signaler
le mécanisme de la rigeur budgetaire quand le pays va bien et de l'augmentation de la dépense de l'état quand le pays va mal à été le dogme pendant le fameuse" wirtschaftwunder" ou miracle de l'économie allemand pendant le années 60. C'était le chanc...

le 11/05/2014 à 23:38
Signaler
Non non, tu as toi même la réponse dans le sujet et tu es absolument en accord avec Krugman et les keynésien. L'idée d'une austérité lorsque "le pays va bien" est une base des politiques "contra cycliques" voulues par Keynes. C'est la raison pour laq...

à écrit le 20/07/2012 à 18:17
Signaler
Je propose que l'on se cotise pour offrir ce livre à Madame Merkel. Peut-être arrivera t'on à lui faire comprendre qu'en se mettant le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, elle nous met par la même occasion dans la m... jusqu'au cou.

à écrit le 20/07/2012 à 14:48
Signaler
« C'est quand l'économie est en plein boom qu'il faut pratiquer la rigueur budgétaire, et non quand elle s'enfonce. » : pourquoi croyez-vous que Sarkozy a été élu en 2007 et viré en 2012 !

à écrit le 19/07/2012 à 19:05
Signaler
Aux US, oui, mais aussi en Chine au sine du gouvernement, on cite Keynes, Stiglitz, et... Krugman ! Mais les Européens ont délégué le pouvoir aux plus psychorigides et sclérosés intellectuellement d'entre eux. Dommage... le déclin, ça passe aussi par...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.