"Je déplore beaucoup la façon dont l'Europe a réagi à la crise"

Pervenche Berès est députée européenne depuis 1994. Dans le cadre du parlement, elle est Présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires et membre suppléante de la Commission des affaires constitutionnelles. La députée européenne plaide pour une refonte de la supervision financière au sein de l'Union.

Quelle est votre vision de la crise ?

La principale leçon de la crise, c'est que l'on ne peut pas laisser s'installer des déséquilibres macroéconomiques sans surveillance multilatérale. C'est un enjeu majeur. Pour moi, la crise est la résultante d'un mouvement de tectonique des plaques lié à l'émergence de nouveaux acteurs où le capitalisme mondial s'est organisé pour maximiser ses profits. La Chine a joué le rôle de principal pourvoyeur d'épargne pour financer le déficit américain sans que personne y trouve rien à redire. Nous avons assisté à un mouvement de délocalisation massif sous l'impulsion des entreprises américaines et européennes qui s'est accompagné d'une pression sur les salaires dans les pays occidentaux. Dans le même temps, nous avons connu des taux d'intérêt relativement bas, considérés comme insuffisants, qui ont alimenté la recherche de rendements supérieurs et la mise en route des machines à produire du 15 %. La nécessité de maintenir un certain niveau de demande intérieure en parallèle a conduit au développement de mécanismes d'endettement excessif des ménages notamment américains. La crise n'est donc pas la résultante des seuls subprimes.


L'Europe avait-elle les moyens de gérer cette crise, et a-t-elle su le faire ?

Le modèle économique et social à l'échelle européenne continentale apparaît plus vertueux que le modèle de Wall Street ou de la City. C'est l'idée qu'il y a un équilibre et une supervision, que l'important, c'est l'ensemble des acteurs de l'entreprise, ses parties prenantes, et non pas seulement ses actionnaires. Pour autant, je déplore beaucoup la façon dont l'Europe a réagi. La Banque centrale européenne a, au départ, réagi de manière exemplaire, en injectant des liquidités massives dès le 9 août 2007, alors que la Banque d'Angleterre refusait alors d'intervenir. Mais cette mise sous perfusion du malade ne permettait pas de dissoudre le mal - les actifs toxiques. D'août 2007 à septembre 2008, les banques centrales ont injecté de plus en plus de liquidités et les autorités politiques ont tenu de grands discours sur la transparence sans envoyer de contrôleurs faire des vérifications sur pièces et sur place pour la mettre en ?uvre. Les banques centrales n'ont pas cherché à mobiliser d'autres pouvoirs qui devaient pourtant intervenir mais qui les auraient mises en seconde ligne. Les gouvernements, eux, assez lâchement, au prétexte du critère de «confiance des ménages», ont minimisé la crise. Du moins tant qu'ils n'ont pas été au pied du mur. Mais, en septembre 2008, la crise prend une autre tournure, avec la faillite de Lehman Brothers qui transforme une crise de liquidité en une crise de solvabilité. Dès juillet 2008, les fonctionnaires de la Commission européenne étaient conscients que la crise ne serait pas sans provoquer un bain de sang du côté des banques. C'est le moment où il fallait proposer une uniformisation des garanties de dépôt. Mais il aurait alors fallu la sortir d'urgence. Or, la Commission n'a réagi que sous la pression du Conseil. Les Irlandais, en agissant seuls pour une garantie illimitée des dépôts, ont paradoxalement rendu un fier service aux États membres en les obligeant à réagir. Il fallait aussi un plan de soutien des banques. Mais les dirigeants ont cédé à la panique. Et là où l'Europe est en carence, c'est qu'il aurait fallu définir en même temps des conditions sur les rémunérations, sur les activités dans les centres offshore, les dividendes et sur le financement des PME et de l'innovation. Ces lignes directrices devaient être définies au niveau européen, pour éviter une concurrence déloyale et optimiser l'efficacité de ces plans.


Sur certaines mesures, comme les ventes à découvert, chacun a pu mesurer l'absence de l'Europe. Ne faut-il pas donner plus de pouvoirs et moyens au Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CESR) ?

Évidemment. Et je ne suis pas la seule à le penser. L'Europe devait interdire les ventes à découvert comme l'AMF l'a fait. Pour que cela eût été possible, il eût fallu que le CESR en ait les pouvoirs. Ici, la résistance vient d'abord de l'idée que, pour être efficace, il faut être proche du marché. Avoir des superviseurs nationaux puissants est essentiel. La question de l'équilibre entre pouvoirs des acteurs de marché et contre-pouvoirs des superviseurs a été trop négligée avec une confiance excessive dans les vertus de l'autorégulation. Les superviseurs doivent avoir plus de moyens, adaptés au rythme de l'innovation financière. C'est vrai au niveau national, mais aussi européen. Pour moi, la supervision européenne devrait ressembler au système européen des banques centrales, avec un directoire qui prend les décisions. On pourrait avoir un système européen de superviseurs reposant sur un réseau fort de superviseurs nationaux, la Banque centrale européenne se voyant par ailleurs reconnaître un rôle en matière de surveillance macroprudentielle. Ensuite, se pose la question de l'architecture de cette supervision. Par branches, sur le type de l'actuel système français Commission bancaire, Acam [Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, Ndlr], AMF [Autorité des marchés financiers, Ndlr]. Ou, à l'image des Pays-Bas, par fonctions, avec une distinction entre superviseur prudentiel et autorité en charge de la protection de l'investisseur. La vision allemande est encore différente. Elle part de l'idée que la Banque centrale ne peut assurer la supervision des banques dans la mesure où celles-ci sont utilisatrices de la monnaie et des taux et qu'il y a donc conflit d'intérêts. Dans l'immédiat, le plus efficace est sans doute de construire le système sur la base d'une approche par branches telles qu'elles existent déjà avec les trois comités de coordination (CESR, CEBS, CEIOPS) [il s'agit de comités européens pour les marchés financiers, les banques et les assurances, Ndlr]. Ils doivent être transformés et dotés d'une véritable autorité et de compétences nouvelles, y compris en matière de sanctions. En perspective, il faut sans doute garder l'objectif d'une supervision par fonctions sur le modèle néerlandais.


La question du pouvoir du CESR se pose sur les agences de notation ?

Au Parlement, nous pensons que c'est au CESR d'assurer cette supervision. Les États ont introduit l'idée de collèges de superviseurs. Mais ça n'a pas de sens. Les agences de notation ne sont pas implantées dans chaque pays. Doter le CESR de pouvoirs suppose toutefois qu'on ait réfléchi au préalable sur le contrôle démocratique de cette instance, sur les nominations, à qui et comment elle doit rendre des comptes. On ne peut donner autant de pouvoirs sans contre-pouvoirs.


L'Europe a décidé de frapper de son côté s'agissant des agences ?

Ce qui est fait au niveau européen n'ignore pas les travaux de la SEC [Securities and Exchange Commission, Ndlr] du côté américain ou le code de l'OICV [Organisation internationale des commissions de valeurs, Ndlr] au plan international. Certes, au niveau du G20, les États membres devront se mettre d'accord sur de grands principes. Mais cela n'empêche pas l'Europe d'adopter son propre dispositif d'enregistrement et de supervision des agences. Bien au contraire, l'Union doit négocier sur la base d'une approche européenne. Même si cela suppose que l'on traite la question des produits émis et notés dans des pays tiers.
Vous entendez aussi favoriser l'utilisation des chambres de compensation ?

Dès le lendemain de la faillite de Lehman, il était clair qu'il fallait mettre en place une chambre de compensation pour organiser la transparence du marché des CDS (credit default swaps). Charlie McCreevy, le commissaire européen au Marché intérieur, a demandé à l'industrie de s'organiser. Mais les tentatives en ce sens ont échoué en décembre dernier. Étant engagée dans les négociations sur la directive adéquation des fonds propres, j'ai pensé début janvier que c'était par ce biais qu'il fallait l'accrocher: obliger les banques à utiliser des chambres de compensation pour leurs transactions sur dérivés de crédit pour bénéficier de ratios prudentiels favorables. Au-delà des CDS, c'est toute la question des dérivés, des hedge funds et de cette innovation financière qui s'est développée grâce à l'existence des paradis fiscaux qu'il faut intégrer dans le système régulé. Face à cette menace, l'industrie semble être parvenue à un accord dans les tout derniers jours. Je reste cependant vigilante et il me semble impératif que les responsables politiques maintiennent la pression jusqu'au bout sur cette question



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