Le mur qui divise encore Chypre

Depuis la prise de présidence de l'U.E par Chypre, la Turquie boycotte l'institution. Déchirée entre une partie occupée turque et la république chypriote, Chyprevit aujourd'hui une économie à deux vitesses.
Les drapeaux turc et chypriote du nord sur une colline près de Nicosie. Copyright Reuters

Chaque jour l'appel du muezzin résonne à Nicosie, signe de la cohabitation de deux communautés dans l'île. Depuis 1974, la capitale est coupée par« la ligne verte ». Rue Ledra, où une brèche a été ouverte en 2008, les maisons éventrées, les barbelés et la présence des Nations Unies rappellent les combats de jadis. Mais la présentation d'une simple pièce d'identité suffit pour franchir le mur. La réunification est cependant encore loin et les Chypriotes grecs rejettent toujours cette «zone occupée».« Les relations sont bonnes », insiste certes Pavlos Papadakis, ancien soldat grec, avant de préciser : « c'est juste que nous ne passons pas souvent la frontière.»


Flou statistique


La RTCN (République Turque de Chypre du Nord)dispose de 30.000 soldats turcs sur son territoire. Difficile d'acquérir « des estimations ou statistiques crédibles», reconnaissent plusieurs économistes de l'Université de Nicosie. Ankara, seule à reconnaître le territoire du nord, communique peu sur le sujet. On n'y estime à 265.000 le nombre de résidents, mais des données simples comme le taux de chômage ou le pouvoir d'achat sont inconnues. Une forme « d'inexistence», se désole Barish, Chypriote turc qui a assisté à la « violente» construction de cette barrière. Pour ce patron de boutique à kebab, «la vie des Chypriotes turcs est anormale.» Il égrène :« Nous ne pouvons pas faire du commerce directement avec le reste du monde, ni participer à des compétitions sportives et nos diplômes universitaires sont peu reconnus...»


Eldorado européen


De 1974 à 2003, la fracture économique s'est élargi entre la partie sud ouverte à l'Europe et le nord, isolée par un embargo. « Tout passe par la Turquie : importations, exportations, transports...», rappelle Barish. En 2003, lorsque quelques brèches commencent à s'ouvrir dans le mur, des Chypriotes turcs s'exilent pour trouver du travail au sud. Un exode qui s'amplifie en 2004, avec l'intégration de Chypre dans l'U.E, puis en 2008, avec l'adoption de l'euro. Barish a vu « 5.000 à 10.000personnes s'installer dans la république de Chypre. »


Le garde turc du Palais Ledra, principal poste frontière du centre de Nicosie,affirme lui contrôler chaque jour « 1.000 Chypriotes turcs qui vont travailler en zone euro.» Leur motivation : un revenu minimum attractif de 700 euros contre quelques 500 euros côté turc.« C'est tout bénéfice pour eux : ils travaillent en zone euro pour gagner plus et consomment en face pour payer moins », explique Pavlos.

Système bancaire sain au nord


De fait, les prix pratiqués du côté turc sont nettement moins élevés. C'est aussi l'assurance d'attirer les touristes de l'île. Ce qui explique pour Costas, un grec, qu'en 2008, « tout a été rénové, nettoyé, reconstruit dans Nicosie « occupée » ».Aujourd'hui, la rue Dereboyu, à quelques centaines de mètres du mur, a vu fleurir des boutiques modernes. Et si la monnaie en circulation reste officiellement la livre turque, chaque commerçant conserve quelques euros dans sa caisse. Barish s'estime « dépendant de la zone euro.» : « nous sommes préoccupés par ses problèmes, nous avons perdu des touristes aussi.» Sur la crise bancaire, il nuance : « nous n'avons pas de problèmes, mais ironie du sort, voici 12 ans, c'est nous qui en connaissions une.» Aujourd'hui, les banques de la RCTN, Ziraat Bankasi, Halkbank, Koç Bankasi se portent bien. Et alors que Chypre subit une récession (0,8% en 2012), le taux de croissance côté turc s'élève à 4 %. « Mais les salaires n'augmentent pas, déplore Barish, la main d'?uvre turque accepte de travailler pour peu...»


Tallon d'Achille de L'U.E ?


Le dialogue est rompu entre Ankara et l'U.E pendant la présidence chypriote. « Un comportement inadmissible», s'emporte la ministre des Affaires étrangères de Chypre, Erato Kozakou-Marcoullis. Elle martèle : « C'est une menace directement adressée à l'U.E, elle doit critiquer ça.» Côté turc du mur, l'attitude d'Ankare est taboue et beaucoup, comme Ozdu, ne veulent pas « s'étendre sur la question.» Malgré ces provocations, « Chypre est favorable à une adhésion du pays à l'U.E, répète la ministre de la république « grecque ». Avant d'insister :« si elle reconnaît notre République!»
Mais, tranche Barish, pessimiste, cela « n'arrivera jamais, la Turquie y perdrait sa légitimité.» Ces dernières années, Ankara a opté pour une implantation plus forte sur l'île. « Elle y a installé des universités, développé des projets et des entreprises...», décrit Barish. Stratégie qu'il surnomme « Turquisation » et qui tend à « réduire » la communauté des chypriotes turcs sur l'île. Ces derniers, dotés d'un passeport européen et turc vivent entre deux mondes. « Nous ne comptons plus que pour un quart des habitants», soupire Barish. 130.000 personnes ont immigré, notamment en Grande-Bretagne ou en Australie. Avec son épouse Nevres, Barish hésite désormais à partir. Le couple Chypriote turc pourrait rejoindre leur fille, installée en Angleterre, ou bien leur fils qui réside aux Etats-Unis.

 

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