L'Europe du populisme (1/3) : les pays "périphériques" minés par des systèmes politiques en lambeaux

Par Romaric Godin  |   |  1289  mots
Alexis Tsipras, président de Syriza, a fait grimper son parti à 20% dans les sondages (Grèce)
Les élections européennes de 2014 vont probablement encore accentuer le rejet des partis traditionnels. Premier volet de notre tour du Vieux continent : la situation chez nos principaux voisins touchés de plein fouet par la crise de la zone euro.

L'Europe fait-elle face à la montée des « populismes » ? Il peut être assez délicat de répondre à une telle question, tant le terme de « populisme » lui-même est sujet à débats. Si l'on prend comme critère de ce mouvement la remise en cause des élites et des partis traditionnellement dominants, sans préjuger par ailleurs des solutions proposées, on doit reconnaître qu'il existe un véritable mouvement de fond sur le vieux continent. Un mouvement qui, souvent, s'appuie sur le rejet de l'euro, conçu comme un instrument imposé par l'establishment. Mais on doit aussi constater que la nature et les causes de ces « populismes » sont aussi diverses que l'Europe elle-même.

Portugal : le système politique traditionnel résiste

Dans un Portugal en crise, le populisme a peu de prise dans le paysage politique. Le rejet de la politique d'austérité du gouvernement de centre-droit du premier ministre Pedro Passos Coelho prend plutôt la forme d'un mouvement de retour au principal parti d'opposition, le parti socialiste (PS), pourtant initiateur de la politique d'austérité en 2010. Les dernières élections municipales du 29 septembre l'ont montré.

Les deux partis d'extrême-gauche : la Coalition unitaire démocratique (CDU) qui regroupe le Parti communiste et les Verts et le Bloc des gauches (BE), regroupement d'anciens partis maoïstes et trotskistes, profitent certes de la situation et représentent, selon les sondages 15 à 20 % de l'électorat. Mais ils pesaient déjà ensemble 12 % en 2011 et les élections municipales du 29 septembre ont été un échec flagrant pour ces formations qui peinent donc à profiter réellement de la situation. En revanche, l'extrême-droite ne perce pas dans un pays qui se souvient encore de « l'Estado Novo » la dictature issue du régime de Salazar qui a duré de 1928 à 1974.

Espagne : les deux grands partis  reculent

En Espagne, l'austérité et la récession qui l'accompagne provoquent une poussée assez modérée du populisme. Il existe clairement un mouvement de rejet des élites traditionnelles. Les deux partis dominants depuis 1982, le PP du premier ministre et le PSOE, ne regrouperaient ainsi plus que 59 % des intentions de vote, contre 75 % des voix glanées en 2011. La Gauche Unie (Izquierda Unida, IU), coalition formée autour du Parti communiste, est le principal gagnant de ce mouvement.

Les sondages prédisent un doublement de ses voix de 6 à 13 %. Également en hausse, le parti Union, Progrès et Démocratie (UyPD) qui pourrait aussi doubler ses voix de 5 à 10 %. Ce parti n'est pas extrémiste, il défend les libertés individuelles et l'Europe fédérale, mais autour d'un projet plus participatif. Son discours rejette la division « droite-gauche » et les partis traditionnels.

Cette poussée se retrouve également au niveau régional avec la percée des républicains catalans de l'ERC lors des élections de 2012 et celle des indépendantistes basques. De fait, PP et PSOE risquent d'avoir des difficultés à constituer un gouvernement uniforme.

Italie : les Grillistes et les Berlusconiens en pointe

En Italie, le gouvernement technique de Mario Monti (novembre 2011- avril 2012) a donné naissance, avec sa politique d'austérité sévère, à un mouvement de rejet des élites traditionnelles qui se retrouve principalement dans le Mouvement 5 Etoiles du blogueur et ex-comique Beppe Grillo. Très anti-européen et anti-austérité, ce parti est aussi très hétérogène et défend une plus grande participation des citoyens aux décisions tout en se montrant parfois proche d'un discours anti-immigrés et de la thématique antifiscale et antiétatique du libertarianisme américain. Aux élections de février 2012, il a glané 25,55 % des voix aux élections à la chambre.

Cette montée du mouvement de Beppe Grillo s'est accompagné par ailleurs d'une « radicalisation » du parti de Silvio Berlusconi, le Peuple de la Liberté (PdL). Dans la foulée de sa condamnation pour fraude fiscale, le « Cavaliere » a repris ses habits de défenseur des « petits » contre les « élites » qu'il avait déjà vêtu dans les années 1990. Durant la campagne électorale de février, il avait déjà développé une rhétorique anti-européenne et anti-élites en visant notamment violemment Mario Monti.

La défaite du Cavaliere au Sénat début octobre est le fruit de la division interne entre l'élément « populiste » pro-berlusconien du PdL et l'élément plus centriste qui souhaitait le maintien du gouvernement Letta. Reste à savoir si le PdL survivra politiquement à la défaite de Silvio Berlusconi.

Grèce : la poussée populiste se manifeste à gauche... et à droite

La Grèce est le pays qui a le plus souffert des « ajustements », mais aussi de son bipartisme. Pasok et Nouvelle Démocratie (ND) qui ont, durant des années, creusé les déficits, organisé le clientélisme et caché ces mêmes déficits. C'est donc logique que ce pays connaisse un des plus forts rejets des partis traditionnels en Europe. ND et Pasok ne pèsent plus désormais que 25 % des intentions de vote.

Le grand gagnant de cette dérive, c'est Syriza, l'alliance de la gauche radicale, issue de la fusion de partis d'extrême-gauche et d'écologistes. Elle est au coude-à-coude dans les sondages avec la ND à plus de 20 % des intentions de vote. Ce parti s'est progressivement modéré, mais il rejette toujours le système politique et économique traditionnel issu de la chute des Colonels en 1994. Il demande une réforme fiscale, l'arrêt de l'austérité, une politique de relance et une annulation des dettes. Autant d'éléments que les deux anciens « grands partis » et l'UE jugent incompatibles avec le maintien du pays dans la zone euro. Mais Syriza ne veut officiellement abandonner ni l'UE, ni l'euro. 

A droite, les Grecs Indépendants sont issus d'une scission de ND et réclament à la fois la sortie de l'austérité, une politique migratoire plus stricte et l'abandon de l'euro. Leur succès est cependant assez faibles (7,5 % en juin 2012, 5 % selon les derniers sondages).

Aube Dorée, parti qui s'inspire assez ouvertement du régime des colonels, et, dans certains cas de l'idéologie fasciste ou national-socialiste, a obtenu près de 7 % des voix en juin 2012. Il est monté dans les sondages à 15 % d'intentions de vote. Son discours violent contre les élites, les immigrés, la gauche et l'Europe ainsi que l'aide organisée aux victimes de l'austérité en ont fait un parti populaire. Le récent assassinat d'un musicien proche du parti communiste (KKE), qui a conduit à une vigoureuse réaction de l'Etat, a terni son image. Mais il reste, selon les derniers sondages, en troisième position avec 7 % des intentions de vote.

En réalité, le rejet du système bipartisan a surtout conduit à une atomisation du paysage politique grec qui s'articule aujourd'hui autour de partis pesant entre 4 et 5 % des voix.

Irlande  : la montée du Sinn Fein

L'Irlande est considérée comme le pays « modèle » de la stratégie européenne de dévaluation interne. Une stratégie qui a eu des effets parfois violents sur la population et les services publics. Le système politique traditionnel, centré autour de l'opposition entre deux partis de centre-droit, Fine Gael et Fianna Fail, montre des signes de faiblesses avec la montée en puissance du Sinn Fein, donné entre 20 et 23 % des intentions de vote dans l'île verte.

Le parti « républicain », bras politique de l'ex-IRA, est très eurosceptique et a toujours appelé à voter contre les choix pro-européens dans les référendums irlandais. Ses positions politiques sont très proches des partis communistes et des partis de gauche non sociaux-démocrates européens : il s'oppose donc très fortement à la politique d'austérité et de baisse des coûts salariaux défendus par les élites irlandaises traditionnelles.