Excédents allemands : pourquoi la Commission européenne fait volte-face ?

Par Romaric Godin  |   |  1302  mots
José Manuel Barroso et Olli Rehn veulent désormais réduire les excédents allemands ? Ils ont pourtant soutenu depuis quatre ans une politique qui les a favorisés…

La Commission européenne est-elle comme le corbeau de la fable ? Il semblerait, en tout cas, que, ce mardi, Olli Rehn et José Maria Barroso aient juré, mais un peu tard, qu'on ne les y reprendrait plus. Ils sont ainsi partis en guerre contre les excédents allemands, source de déséquilibre au sein de la zone euro.

Croisade tardive

Leur croisade est, il faut l'avouer, bien tardive, de la part d'une Commission aux abois qui tire ces derniers feux avant les élections européennes et qui affiche un bilan des plus sombres tant sur le plan institutionnel qu'économique. Il y a là une impression pathétique de vouloir se raccrocher aux branches d'une réalité qui, depuis quatre ans, avait échappé au très orthodoxe duo de Bruxelles..

La prédominance du discours moral et intéressé

Il est en effet un peu surprenant, quatre ans après le début de la crise de la zone euro de découvrir que les excédents allemands constituent aujourd'hui une source de déséquilibre pour l'Union économique et monétaire (UEM). Voici quatre ans, le Conseil européen a engagé une stratégie qui visait précisément à « réduire les déséquilibres » par la seule arme de la réduction des déficits.

A l'époque, ceux qui, comme Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie française, osaient en 2010 émettre l'idée que cette réduction des déficits devait s'accompagner d'une réduction des excédents n'étaient entendu ni au Conseil, ni à la Commission. Madame Lagarde a dû finir par se taire.

L'argument dominant était alors d'ordre moral : Grecs, Portugais, Espagnols ou Irlandais et bientôt Français et Italiens avaient fauté en « vivant au-dessus de leurs moyens. » Il n'était pas question, en conséquence, de faire payer pour ces fourmis les cigales qui, elles, avaient « fait les efforts nécessaires. » Un discours à sens unique.

Jamais, ni le Conseil - dominé par l'Allemagne - ni Bruxelles n'ont émis l'hypothèse que c'est précisément la politique allemande de focalisation à l'extrême sur les exportations qui avait pu entraîner une dégradation de la compétitivité des pays du sud.

Dégradation irrémédiable dans le contexte de la monnaie unique où la dévaluation n'était plus possible, sauf à réduire le niveau de vie. Alors, ces pays, pour s'assurer de la croissance, avaient dû utiliser les robinets de la consommation et de la dette. Mais comment accuser alors l'Allemagne qui rechignait alors à apporter les milliards nécessaires à sauver l'euro ?

Stratégie borgne

La stratégie alors engagée en Grèce, poursuivie en Irlande, au Portugal et jusqu'à cette année à Chypre, était donc borgne : elle faisait l'impasse sur le problème des excédents pour ne traiter que celui des déficits. La Commission n'a alors guère soulevé d'objections. On se souvient qu'Olli Rehn était même un des plus prompts alors à endosser ce discours moral, jusqu'à la fin de l'an dernier.  Mais les conséquences de cette vision unilatérale ont été dévastatrices et menacent de continuer à l'être.

Le lièvre continue de courir

Alors que l'Allemagne continuait d'améliorer sa compétitivité, de réduire ses déficits publics et modérer la hausse de ses salaires (notamment dans les services), les pays endettés devaient la rattraper. L'Europe n'était alors pas dans la fable du lièvre et de la tortue. Car loin de se reposer et de flâner, le lièvre continuait de courir.

Les pays périphériques ont donc dû pratiquer une politique de dévaluation interne d'une violence inouïe, entraînant une baisse considérable de leur richesse et de leur niveau de vie, mettant à mal leur stabilité sociale et politique et, surtout, ravageant la confiance et l'activité dans toute l'Europe et bientôt même dans le monde entier. Le processus est toujours en cours, et toujours sur le même mode. L'Europe est menacée logiquement par une déflation dont on doit craindre les conséquences, mais qui est la suite logique de cette stratégie à « sens unique. »

L'excédent toujours plus fort

Pire même, malgré la progression - mécaniquement acquise à coup de baisse des salaires - des exportations des pays périphériques, cette stratégie n'a guère menée à une réduction des déséquilibres au sein de la zone euro. Bien au contraire, ces déséquilibres se sont encore accentués. L'Allemagne a continué à gagner des parts de marché à l'export. Les politiques d'austérité menées un peu partout en Europe ont en effet conduit à des baisses des budgets de R&D, à des restructurations d'entreprises, à des désinvestissements massifs. Les entreprises européennes concurrentes des allemandes ont cessé de représenter un danger quelconque.

Les exportations allemandes ont donc continué de progresser à moindre coût, autrement dit sans besoin d'investissement supplémentaire. Certes, la très modeste reprise de la consommation outre-Rhin et le « tournant énergétique » ont également fait bondir les importations. Mais pas assez, puisque l'investissement est en recul outre-Rhin : la moindre concurrence le rend moins nécessaire. L'excédent allemand a donc continué de s'élargir, tandis que certains pays, comme les Pays-Bas, par exemple, passait, faute de ne pouvoir rivaliser avec l'Allemagne, dans le camp des « pays malades. »

L'Allemagne renforcée par la reprise dans les pays du sud

L'Allemagne sort donc plus forte que jamais de cette crise qui a été gérée par la chancelière Merkel au mieux de ses intérêts. Du coup, même la reprise des pays périphériques contribue à creuser l'écart. Hier, on pouvait remarquer que les commandes à l'industrie allemandes étaient en forte hausse en raison des commandes en provenance de la zone euro. Et oui, pour exporter, il faut souvent des biens d'équipement. Et sur ce marché, les Allemands n'ont plus de rivaux ou presque. Du moins en Europe. Bref, plus les pays sous programme exportent, plus l'excédent allemand sera fort. C'est la conséquence de la politique engagée en 2010.

La Commission, agent subalterne de Berlin

Le brusque réveil de la Commission n'est rien d'autre qu'une critique de sa propre impuissance et de son propre aveuglément. C'est la mise à jour de l'absurdité de ce discours moral colporté chaque jour de 2010, 2011 et 2012 face à une situation économique qui s'aggravait.

En réalité, si nul ne peut croire à ce discours de la Commission, c'est qu'elle n'est plus qu'un élément secondaire dans l'architecture institutionnelle européenne. Depuis 2010, la politique de l'Europe se fait à Berlin et la Commission suit. Elle a été incapable d'imposer durant la crise une vision crédible de l'économie européenne, elle n'a jamais su défendre un « intérêt général » européen. Elle a préféré celle que lui dictait la chancelière Merkel : une addition d'économies nationales jouant chacune leur propre partition.

Le plan Merkel en préparation va à l'opposé des demandes de Bruxelles

Comment une telle institution pourrait faire rendre raison à l'Allemagne ? Angela Merkel prépare en réalité déjà un nouveau plan qui, loin d'aller dans le sens nouvellement défendu par Olli Rehn et José Maria Barroso, vise encore à creuser les déséquilibres. Elle pourrait défendre une modification des traités afin d'imposer de façon contraignante la réduction des déficits aux pays européens. Ce serait l'institutionnalisation du processus décrit plus haut, dont on a vu les conséquences très positives pour l'économie allemande.

Et Bruxelles ne serait que le bras armé chargée de faire respecter cette nouvelle loi d'airain. Décidément, la raison du plus fort est toujours la meilleure…