Comment l'Allemagne a saboté l'union bancaire

Par Romaric Godin  |   |  1483  mots
L'Allemagne ne veut pas d'une "mutualisation" des risques en Europe.
Berlin a rendu inefficace et impraticable une union bancaire destinée au départ à devenir une base du fédéralisme. Mais l'Allemagne a d'autres ambitions pour l'Europe

Ainsi donc cette fameuse « Union bancaire » devrait être finalisée le 18 décembre. Attendez-vous alors à une vague de satisfécits et d'auto-congratulations dans toute l'Europe. Prévoyez les titres de une sur « le pas de géant » de l'Europe en matière bancaire. Et souriez.

En réalité, ce 18 novembre devrait en effet sceller un des plus retentissants échecs de la construction européenne de ces dernières années. Ainsi que la confirmation - s'il en était encore besoin - de la priorité donnée par l'Europe aux intérêts allemands. Ou plutôt aux seuls intérêts allemands qui comptent pour Angela Merkel : celui de ses contribuables.

Stratégie allemande : donner de faux gages

L'histoire de l'union bancaire est typique de la stratégie européenne de l'Allemagne. Une stratégie qui consiste à remodeler une idée au départ plutôt fédéraliste dans son intérêt sans ne laisser rien paraître. Pour cela, c'est tout simple : il suffit de bloquer sur un point, de tenir ferme pendant des mois, puis de lâcher sur ce point précis en réclamant des compensations substantielles par ailleurs pour vider la concession réalisée de tout sens.

Au final, vous avez obtenu ce que vous désiriez, mais, de surcroît, tout le monde applaudit votre sens du compromis et votre esprit européen puisque « vous avez cédé » sur le point que tout le monde regarde. Au temps de la primauté de la forme sur le fond, cette stratégie est imparable.

Comment, en 2011, l'Allemagne a fait payer cher sa concession sur la supervision unique

L'Allemagne l'a appliqué dès la fin de 2011 lorsqu'elle refusait de céder sur la supervision unique accordée à la BCE. Elle a finalement accepté cette supervision, mais en obtenant trois concessions essentielles.

D'abord, le report de la mise en place de l'union bancaire à une date ultérieure à ses élections de septembre 2013, ce qui n'en faisait plus une arme de lutte contre la contagion. Et qui donc empêchait l'utilisation rapide des fonds du MES pour sauver les banques, autrement dit l'essence même de l'idée de départ de l'union bancaire.

Deuxième concession : les banques concernées par la supervision unique devait avoir un bilan supérieur à 30 milliards d'euros, ce qui excluait l'essentiel des banques mutualistes et des caisses d'épargne allemandes, les piliers les moins transparents de son secteur financier. Qui, soit dit en passant, pèsent autant, prises dans leur ensemble, que la Deutsche Bank… Mieux même : la BCE confiait aux régulateurs nationaux la gestion des banques non systémiques. Bref, l'essentiel du secteur bancaire allemand restait dans le giron allemand.

Troisième concession : on discuterait après du système de résolution bancaire, autrement dit de ce pourquoi on avait décidé de créer l'union bancaire. Il a fallu plus de deux ans pour y parvenir.

L'Allemagne cède apparemment sur la résolution…

On voit que l'Europe a payé cher la concession allemande sur la supervision unique. Il en a été de même ces derniers jours sur la question de la résolution.

Depuis des mois, Berlin ne voulait pas entendre d'un centre de décision unique pour la résolution bancaire. Vendredi, le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble a cédé sur ce point, accordant à la Commission un rôle central de gestion des crises. Et tout le monde de crier à la « percée historique » vers « le plus grand abandon de souveraineté depuis des décennies en Europe. » Mais là encore, le prix à payer pour cette concession ( qui finalement a été abandonné, la Commission n'ayant qu'un avis consultatif) a été lourd. Et l'abandon de souveraineté minime.

… pour imposer la défense de son contribuables…

Dans les discussions qui ont suivi lundi et mardi, Wolfgang Schäuble a certes accepté d'avancer. Mais à ses conditions. Ainsi, il a imposé la participation prioritaire des créanciers des banques - et peut-être des déposants détenant plus de 100.000 euros - au sauvetage des établissements dès 2016. Le but de cette manœuvre est de mettre à l'abri l'argent public allemand qui vient garantir les levée de fonds du MES. Or, avant la mise en place de ce mécanisme de résolution, les États n'ont d'autres choix que de se tourner vers le MES.

…et de ses banques

L'idée allemande est donc de préserver les contribuables allemands et de faire payer les créanciers privés. Une croisade morale ? Là encore, il ne faut pas s'y tromper. Derrière cet argument moral, il y a une réalité. Les déposants des pays faibles vont désormais se méfier. On y regardera à deux fois avant de prêter à une banque d'un pays « périphérique. »

On ira plutôt placer son argent vers des pays sûr, l'Allemagne par exemple qui n'a jamais lésiné sur l'usage de l'argent public pour sauver ses propres banques. Autrement dit, l'Allemagne fait d'une pierre deux coups : elle préserve son budget et soigne les bilans de ses banques… Et tant pis si les pays périphériques doivent souffrir.

Un fédéralisme de façade

Deuxième point imposé par Berlin : il y aura bien un traité intergouvernemental, en dehors du cadre de l'UE pour gérer le Fonds de résolution. Les Fédéralistes européens apprécieront. Comme ils goûteront la « mutualisation progressive » qui prévoit que c'est l'argent payée d'abord par les banques du pays concerné par une crise bancaire qui sera utilisée pour renflouer une banque en difficulté.

Autrement dit, la première logique de l'union bancaire est une logique nationale. La mutualisation ne viendra qu'ensuite. Elle sera, du reste, fortement limité par la possibilité d'un véto de l'Allemagne et de ses alliés.

Un fonds de résolution dérisoire

Quoi qu'il arrive, à 55 milliards d'euros, le Fonds de résolution n'aura guère les moyens de faire face à une crise de grande ampleur. L'aide à l'Irlande s'est élevé en tout à 79 milliards d'euros, celle à l'Espagne - destinée aux banques - à 39 milliards d'euros. L'Allemagne en 2009 a dépensé plus de 50 milliards d'euros pour sauver la seule Hypo Real Estate.

Ces 55 milliards d'euros sont donc un hochet pour amuser ceux qui veulent voir de la mutualisation où il n'y en a pas. Car derrière, ce Fonds, Berlin ne veut plus rien. Et surtout pas le MES. Résultat : les États en difficulté devront s'aider eux-mêmes. On comprend la logique allemande guidée par l'obsession du « moral hazard », « l'aléa moral. » qui permettrait aux États du sud de faire n'importe quoi parce que Herr Schmidt sera toujours là pour payer…

Des banques allemandes à l'abri

Sauf que les banques allemandes sont loin d'être irréprochables. Le cas des Landesbanken ayant investi pendant des années dans ce que la finance mondiale faisait de pire, notamment dans la titrisation, le prouve. Sur cela, Berlin place un voile pudique. L'Allemagne a ainsi obtenu que le mécanisme commun de résolution ne touche au mieux que 250 banques européennes.

Cette fois, toutes les caisses d'épargne et les banques mutualistes allemandes sont exclues. Berlin a donc sauvé l'essentiel. Les petites affaires de ces banques régionales qui, pour les caisses d'épargne sont souvent soutenues par l'argent public des municipalités, resteront cachées et se règleront en Allemagne.

Un modèle allemand imposé à tous

Enfin, l'Allemagne pourrait imposer sa vision pour la « phase transitoire », entre 2016 et 2026. Son projet est de réaliser un « réseaux de fonds nationaux. » En réalité, conserver la situation ex ante, en ajoutant seulement la priorité donnée à la participation des créanciers privés déjà évoquée.

L'Allemagne propose à son aise : elle dispose de ce Fonds, la SoFFin, qu'elle a créé en 2009. Mais la plupart des pays de la zone euro n'ont pas ce type de Fonds. Comment le constituer en deux ans ? L'Allemagne n'en a cure. Elle a imposé son modèle. Et ne veut pas d'un MES en filet de sécurité. C'est une conception décidément très particulière de l'Europe.

Par ses prétentions, l'Allemagne a en réalité sapé les bases de cette bonne idée qu'était l'Union bancaire. Le MES, au départ, objet central de cette union pourrait, sous la pression allemande, en être exclu. C'est que Berlin voyait dans ce procédé - et sans doute avec raison - le premier pas vers une « Union des transferts. » Or, la Grande coalition, comme la coalition précédente, ne veut pas de cette union fédérale et intégrée. La vision allemande de l'Europe, c'est moins d'Europe et plus d'Allemagne. Le fédéralisme ne sortira pas de la crise de la zone euro, l'union bancaire l'a prouvé.