Pour la (vraie) Union bancaire, il faudra attendre... 2025

Par Romaric Godin  |   |  1200  mots
La mutualisation des risques bancaires est reportée à plus tard...
Les Européens sont parvenus à un compromis sur l'union bancaire. Mais le report de la mutualisation à 2025 a une logique : maintenir en place l'incitation à l'austérité.

Si tout ceci n'était pas le fruit de trois ans de crise, d'une des récessions les plus graves de l'après-guerre et des criantes insuffisances de l'actuelle architecture institutionnelle européenne, il y aurait de quoi rire. Les ministres des Finances européens ont en effet poussé ce fameux esprit de compromis bruxellois jusqu'à l'absurde.

"Percée cruciale"

Ce mercredi matin, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, parlait de « percée cruciale » et il semblait acquis que les ministres des Finances des 17 étaient parvenus à s'accorder sur l'emploi du Mécanisme Européen de Stabilité, le MES, dans le processus. En théorie, donc, c'est en effet une avancée vers la mutualisation des risques. Mais ce n'est qu'une apparence.

Pendant dix ans, rien de neuf

Car si l'on en croit le Financial Times, les ministres ont distingué deux périodes. La première, la période de transition, sera celle qui va du 1er janvier 2016 à l'achèvement de la constitution du Fonds de résolution à la fin de 2025. Durant ces dix ans, la zone euro a décidé… de ne rien décider. En cas de crise bancaire, les banques devront se tourner vers des Fonds nationaux ou vers le MES via les Etats qui seront alors soumis à des « plans d'ajustement. »

C'est la situation actuelle à quelque chose près (la France devra, par exemple, constituer avec ses propres forces un fonds national). Conclusion : jusqu'en 2025, la situation actuelle où le risque souverain et le risque bancaire sont liés va perdurer. Belle percée en vérité.

A partir de 2025, une mutualisation encore floue

Après 2025, les Européens ont convenu que le MES pourrait servir de filet de sécurité (« backstop ») au Fonds qui ne sera garni que de 55 milliards d'euros. Mais les détails de ce backstop ne sont pas encore connus. Selon le brouillon de l'accord cité par le FT, ce « filet » sera dix ans « pleinement opérationnel » dans « dix ans au plus tard. » Une piste de ce « filet » serait que le Fonds pourrait emprunter sur les marchés ou demander un prêt au MES.

L'Allemagne a insisté, toujours selon le FT, pour que des taxes supplémentaires sur les banques permettent de rembourser ces prêts afin de ne pas gager l'argent des contribuables. Il y a certes là, à partir de 2025, un début de très timide mutualisation des risques. Mais le diable est dans les détails et d'ici à 2025, il peut se passer bien des événements pour modifier ce fragile accord. Au final, on pourrait encore, comme Mario Draghi lundi devant le parlement européen, se montrer « inquiet que le processus de prise de decision devienne bien trop complexe et que les arrangements financiers soient inadéquats. »

Le sauvetage chypriote comme modèle

L'union bancaire ne sera donc pas une « union » avant dix ans, ce sera d'abord une unification des règles nationales de sauvetages des banques. Pendant dix ans, chaque pays restera seul face à une crise bancaire. Mais durant les deux périodes de ce mécanisme de résolution, la réponse apportée par les Européens à la question centrale - finalement la seule qui vaille - « Qui Paiera ? », est : les créanciers, les déposants de plus de 100.000 euros et les Etats d'origine des banques. Pour le reste, on verra…  

C'est en réalité l'application du « sauvetage » chypriote à l'ensemble de la zone euro qui est désormais gravé dans le marbre. Jeroen Dijsselbloem, ministre travailliste des Finances néerlandais et président de l'Eurogroupe, avait donc été fustigé bien à tort par ses collègues lorsqu'il avait, en avril, évoqué le « modèle » chypriote comme un modèle pour le reste du continent.

Conséquence de la farce : le credit crunch s'amplifie

Quelles seront les conséquences de cette « percée historique »? L'an prochain, les stress-tests et les revues d'actifs de la BCE (le fameux Asset Quality Review) vont sans doute mettre à jour des problèmes bancaires pour lesquels il n'y aura pas de solutions communes. Les banques concernées n'auront pas le choix : elles devront encore restreindre leur distribution de crédit et renforcer leur matelas de liquidité acquis auprès de la BCE. Autrement dit, elles devront aggraver le credit crunch et l'absence de transmission de la politique monétaire de la zone euro aux économies réelles qui frappent déjà si durement les pays de l'Europe dite périphérique. L'équation déjà difficile de la BCE se complique encore...

L'austérité reste la norme

Autre conséquence : le maintien pendant au moins ces dix années des politiques d'austérité. Dans sa version originale, l'union bancaire devait permettre d'épargner les budgets nationaux en ne faisant pas payer aux citoyens le coût du renflouement des banques. Ceci est une ambition qui a été entièrement abandonnée. Qu'il fasse appel ou non au MES pour renflouer les banques, les pays confrontés à une crise bancaire devront en passer par des plans d'ajustement.

Du reste, l'exemple slovène montre que le MES n'est pas une condition nécessaire à l'austérité. La Slovénie, pour échapper au MES tout en renflouant ses banques à hauteur de 4,8 milliards d'euros, a mis en place son propre « plan d'ajustement » et est allée s'endetter à un taux bien plus élevé que celui proposé par le MES. Et pour rembourser cette dette nouvelle, il lui faudra à l'avenir dégager des excédents budgétaires. Ljubljana est donc entrée dans une longue période d'austérité qui n'a sans doute rien à envier aux pays « sous programme. »

Maintenir les spreads 

La situation va être d'autant plus délicate pour les pays dont les banques seront fragiles que, puisque la mutualisation des risques a été reportée aux calendes grecques, les investisseurs continueront à faire payer le risque bancaire aux Etats et le risque souverain aux banques. Les taux demeureront donc élevés pour les deux entités et le poids de la dette important.

Garder les pays en crise sous le knout de l'austérité

La logique de la farce de l'union bancaire est évidente : il s'agit de ne pas donner libre cours à ce qui est l'obsession allemande du moment, l'aléa moral. En mutualisant, en créant de la solidarité, on dissuaderait les pays en difficulté à faire leurs « devoirs » (Hausaufgaben comme on dit en allemand), on les détournerait des réformes « structurelles » et on les inciterait à se relâcher en pensant que, in fine, l'Allemagne paiera. A Berlin, on est terrorisé à l'idée de ce scénario qui est bâtit par les économistes les plus orthodoxes comme le fameux Hans-Werner Sinn, le président de l'Ifo. On pense donc, comme jadis les boyards russes avec leurs moujiks, que les « mauvais élèves » de la zone euro ne comprennent que le knout.

C'est pourquoi on a reporté toute mutualisation à plus tard. D'abord, l'austérité. Et ensuite, lorsque chacun aura fait ses « devoirs » et se sera aligné sur le modèle germanique, alors on pourra « mutualiser » puisque, précisément, il n'y aura plus rien à mutualiser ! Telle est la logique de Berlin. Elle pourrait bien conduire l'Europe à n'en avoir pas fini avec la crise.