L'immobilisme de la BCE profite à l'Allemagne

Par Romaric Godin  |   |  1114  mots
L'immobilisme de Mario Draghi est un choix économique pour la zone euro.
En choisissant de ne rien faire jeudi, la BCE a surtout défendu les intérêts de Berlin. Au détriment de ceux de la zone euro en général.

En optant pour l'immobilisme, la BCE a sans aucun doute quelque bonnes raisons  à faire valoir. La reprise en février de l'inflation en excluant l'effet des prix de l'énergie est probablement une des plus solides. Reste que le mandat de la BCE ne repose pas sur une réaction aux dernières statistiques, mais bien sur un ancrage « à moyen terme ». Jean-Claude Trichet l'avait assez répété, par exemple, lorsqu'en juillet 2008, il remontait les taux. Aujourd'hui, l'argument ne vaut pas puisque les projections des équipes de la BCE ont revu à la baisse leurs prévisions d'inflation à moyen terme. Le taux d'inflation jusqu'en 2016 semble perdre le contact avec les 2 % affichés par la banque centrale. 

L'euro continue de grimper

En réalité, en ne faisant rien ce jeudi 6 mars, notamment en poursuivant la stérilisation de son programme de rachat de titres (SMP), la BCE a très clairement fait un choix : celui de la préférence pour l'inflation faible. Car Mario Draghi et le Conseil des Gouverneurs savaient évidemment pertinemment, ce jeudi, comme le mois précédent, que leur immobilisme allait avoir un coût : celui du renchérissement de l'euro. Et de fait, l'euro est reparti à la hausse après la décision de la BCE, effaçant le recul du mois de janvier et se rapprochant, à 1,3863 dollar pour un euro, du plus haut des 52 dernières semaines (1,3915 dollar). Ce renchérissement de l'euro continuera naturellement d'alimenter la désinflation en zone euro.

La BCE encourage la désinflation compétitive

Autrement dit, la BCE a encouragé un des facteurs de désinflation de la zone euro. Elle a aussi choisi de ne pas aider par la voie monétaire les exportations des pays qui ont « fait des efforts » comme l'on dit à Berlin. Ces pays vont devoir continuer à jouer sur la compression des coûts, donc sur l'affaiblissement de la demande intérieure. L'institution de Francfort fait donc prendre des risques importants à la fragile reprise en maintenant les conditions d'une hausse des prix très faible qui pèse sur les marges des entreprises et réduit la capacité de « transmission » de la faible croissance à la demande intérieure.

Le gagnant : l'Allemagne

Il y a cependant des gagnants à ce jeu dangereux de la BCE : c'est l'Allemagne. Les exportations allemandes sont très clairement immunisées à ce niveau de l'euro. Bien au contraire, une hausse de la monnaie unique renchérit la valeur des exportations. Parallèlement, les importations demeurent toujours bon marché et la faible inflation fait pression sur les salaires, ce qui, au moment où l'Allemagne va introduire le salaire minimum est une bénédiction pour les entreprises outre-Rhin. Déjà l'an passé, l'Allemagne a connu un recul des rémunérations de 0,1 %. Pour être clair : le choix de la BCE soutient le modèle économique allemand au détriment de celui des autres économies de la zone euro.

Accroissement des déséquilibres internes à la zone euro

La politique de la BCE devrait donc encore accroître les déséquilibres au sein de la zone euro. La croissance économique, grâce principalement aux exportations industrielles, est très vive en Allemagne en ce début d'année, elle devrait encore s'accélérer pour atteindre 1,7 % en 2014. Le reste de la zone euro connaît une croissance beaucoup plus atone. En France, les exportations continuent à faire grise mine. Dans les pays périphériques, le moteur interne demeure à l'arrêt. On a vu comment la stratégie de la BCE devrait encore accroître cette divergence.

Divergences de taux qui persistent

Même constatation au niveau des taux. Une étude publiée ce vendredi par Goldman Sachs souligne combien taux souverain et taux d'emprunts des PME au guichet des banques restent liés. Or, les écarts de taux entre l'Allemagne et les pays périphériques ne s'est pas réduit autant qu'on pourrait le croire. Il convient en effet d'observer ces taux en termes réels. En Allemagne, le taux réel à 10 ans est, sur la base de l'inflation de janvier, à 0,45 %. En Grèce, il est de 8,27 % puisque le pays a connu une inflation négative de 1,2 % en janvier. Ceci fait un « spread » de 782 points de base encore très important et qui amène à relativiser les discours de Mario Draghi sur le recul de la « fragmentation » du marché du crédit en zone euro. Mais c'est évidemment une arme redoutable en faveur des entreprises allemandes.

La crainte de « l'aléa moral »

Pour enfoncer le clou, il semble que, en maintenant la pression de la désinflation sur les économies périphériques (et les autres comme la France), la BCE adhère au Leitmotiv allemand du « moral hazard », de l'aléa moral qui veut que toute détente monétaire soit une incitation à réduire les « efforts », autrement dit la course à la baisse des coûts pesant sur les entreprises. Après une année 2013 marquée par une claire distanciation, la BCE de Mario Draghi retrouve donc ses fondamentaux et sa filiation « naturelle » avec la Bundesbank.

Angela Merkel place « sa » femme

Comment expliquer ce tournant ? On ne peut s'empêcher d'y voir le fruit des changements intervenus cet automne au sein du directoire de la BCE. Le rappel à Berlin, pour un poste ministériel subalterne de Jörg Asmussen a permis à Angela Merkel et Jens Weidmann, de placer un pion majeur au sein du directoire : Sabine Lautenschläger. Car autant Jens Asmussen était un proche sur le fond de Mario Draghi, partisan d'une politique plus pragmatique, autant cette dernière est un faucon pur jus de la Bundesbank dont elle était vice-présidente.

Rapports de force modifiés au sein du directoire de la BCE

Logiquement, le rapport de force a donc changé à Francfort. Avec Yves Mersch, également imposé par Angela Merkel malgré un vote négatif du Parlement européen, les « faucons » disposent désormais de deux « poids lourds. » Le français Benoît Cœuré et le Belge Peter Praet étant modérés, mais plutôt orthodoxes, l'option d'une politique franchement accommodante ne peut donc plus compter que sur l'appui du Portugais Vitor Constancio qui est un bon technicien, mais nullement une figure capable d'emporter une décision. Avec l'appui de Jörg Asmussen, Mario Draghi pouvait entraîner avec lui Cœuré et Praet. C'est bien plus délicat à présent. Autrement dit, la chancelière allemande est parvenue à « neutraliser » la BCE. Ajoutez à cela la défaite de fait qu'a subi Francfort à Karlsruhe sur l'OMT et vous aurez tous les ingrédients pour un retour de la BCE à ses fondamentaux allemands. Tant pis pour le reste de la zone euro.