Europe : que veut Angela Merkel ?

Par Romaric Godin  |   |  1333  mots
Angela Merkel engage-t-elle un durcissement de sa position en Europe ?
La rencontre de Stockholm semble confirmer la volonté de durcissement de la politique européenne allemande. L'agenda intérieur prime toujours

Pour ceux qui auraient pu rêver d'une « démocratie parlementaire » en Europe, le message est clair. Celle qui décide de « celui qui gouvernera l'Europe » - pour reprendre le hardi slogan du parlement européen durant la campagne - c'est bel et bien Angela Merkel. Peu importe qui sera le prochain président de la Commission, il est désormais hors de doute qu'il ne devra son poste qu'à la chancelière et à elle seule.

« Berlin rules »

Chaque jour on voit en effet les cotes des uns et des autres évoluer aux gré des messages différents qu'Angela Merkel envoie au reste de l'Europe. Le mythe d'une élection européenne « différente » a donc volé en éclat. En conservant dans le traité de Lisbonne l'initiative du candidat qui sera présenté aux suffrages du parlement, le Conseil européen a en effet conservé l'essentiel du pouvoir dans cette nomination. Pour le Conseil, disposer d'une majorité au parlement ou faire céder une majorité de députés à sa volonté, est sans doute beaucoup plus aisé qu'on n'a voulu le faire croire avant le 25 mai dernier. Aussi voit-on que l'essentiel n'est pas de convaincre les élus, mais de trouver un consensus entre les 28 chefs d'Etats et de gouvernement. Et ce « consensus » ne se fera qu'à partir de la volonté d'Angela Merkel.

La fausse question des personnalités

Du coup, l'essentiel n'est peut-être pas dans cette question des personnalités sur laquelle beaucoup se concentrent. Angela Merkel pourrait moins chercher un homme ou une femme pour présider la Commission qu'un principe. Ce qu'elle chercherait, c'est une personnalité qui donnerait des gages pour la future politique de l'Europe. Lundi, la chancelière a, du reste, affirmé que l'objet du « petit sommet » organisé à Stockholm avec les premiers ministres britannique, néerlandais et suédois, était d'abord de « parler du fond plus que des personnes. » Et il est fort probable qu'elle disait vrai, en ce qui la concerne. Quelle que soit la personne qui prendra la tête de la Commission, elle saura qu'elle devra son poste à la chancelière et à ses alliés. Elle devra donc lui rendre des comptes politiques.

Une fin de non-recevoir à Matteo Renzi

De ce point de vue, ce « petit sommet » doit donc être compris sur le plan idéologique. En organisant une rencontre de deux jours avec trois dirigeants « du nord », en laissant imaginer à tout le monde que ce sommet était essentiel pour la future décision du Conseil sur la présidence de la Commission, en excluant ouvertement François Hollande et Matteo Renzi, Angela Merkel ne laisse aucune ambiguïté sur l'Europe qu'elle souhaite promouvoir au cours des cinq prochaines années. Car ses trois interlocuteurs ont plusieurs points communs.

D'abord, ce sont des partisans d'une austérité budgétaire féroce. Tous ont mené des politiques de ce type (et l'on payé cher lors du scrutin européen). Leur vision de l'Europe est aussi une vision « décentralisée » qui place les Etats membres en position de décision et le « centre » bruxellois en simple exécutant. Enfin, ils défendent une Europe plus « libérale », avec des marchés plus ouverts et ils sont partisans du traité transatlantique de libre-échange. Bref, le « ciment » du sommet de Stockholm est le rejet de l'Europe défendue par Matteo Renzi et, bien plus mollement, par François Hollande, celle qui s'appuie sur une intégration budgétaire et une solidarité plus forte, notamment au niveau de la zone euro.

Mais en choisissant de faire entrer deux dirigeants de pays ne disposant pas de l'euro, David Cameron et Fredrik Reinfeldt, le premier ministre suédois, au cœur de la discussion pour le successeur de José Manuel Barroso, Angela Merkel a montré qu'elle ne souhaitait pas un approfondissement de l'intégration de la zone euro. Le message est on ne peut plus clair : Berlin ne veut pas d'un nouvel approfondissement de la zone euro si ce dernier passe par une mise en commun des moyens budgétaires. C'est une fin de non-recevoir envoyée à Rome.

L'obsession AfD des conservateurs allemands

Pourquoi ? Sans doute en raison d'un élément que l'on a trop négligé en France : l'importance qu'a prise dans l'esprit des dirigeants conservateurs allemands la montée en puissance d'Alternative für Deutschland, le parti eurosceptique allemand qui a emporté 7 % des voix le 25 mai en rognant sur l'électorat CDU/CSU. Dans certains Land, comme celui de Hesse (autour de Francfort), AfD a frôlé les 10 %. Plusieurs députés conservateurs ont alors lancé un débat en interne sur l'ouverture de discussions, voire d'alliances, avec AfD. Pour certains, AfD pourrait jouer le rôle d'allié à droite comme le faisait jadis le parti libéral FDP. Ainsi, la CDU/CSU ne serait plus contrainte de se coaliser, au prix fort, avec les Sociaux-démocrates.

Compenser l'alliance avec les Sociaux-démocrates

Pour Angela Merkel, cette discussion et ce succès d'AfD est une remise en cause implicite de sa stratégie d'alliance avec la SPD et de ses concessions importantes, notamment sur le salaire minimum. Il lui faut donc redresser la barre à droite et l'Europe est un excellent moyen de le faire. En se montrant ferme face aux pays « du sud », en affirmant sa volonté de ne pas aller plus loin dans le partage des risques de la zone euro, la chancelière donne des gages à la droite et à la partie de son électorat tentée par le vote AfD. Ce n'est pas un hasard si la chancelière se montre si soucieuse de David Cameron, si, jeudi dernier, elle a loué le rôle du Royaume-Uni dans l'Europe : AfD cherche actuellement à rejoindre le groupe des Tories britanniques au parlement européen. On comprend mieux que, depuis le 25 mai, Wolfgang Schäuble, se montre également très vif sur la question de « l'aléa moral » lié à la politique monétaire de la BCE. Tout ceci à une vocation de politique intérieure allemande et conduit au durcissement de la position d'Angela Merkel.

Les risques économiques du durcissement allemand

L'ennui, c'est que cette politique centrée sur la stratégie interne de la chancelière et de la CDU est fort risquée. A au moins deux niveaux. Au plan économique d'abord. Alors que la BCE ne cesse d'envoyer des messages pour faire entendre qu'elle ne peut pas tout faire seule pour la reprise en zone euro, le maintien de la politique d'austérité et de sa « cage de fer » institutionnelle conduit à renforcer les tendances déflationnistes du continent et à affaiblir sa reprise. Sans vraie dynamique externe durable, le durcissement allemand risque, comme en 2012 et 2013, de coûter cher à l'économie européenne.

Les risques politiques du choix de la chancelière

Sur le plan politique, le risque n'est pas moindre. Angela Merkel prend le risque d'ignorer le message du 25 mai en dehors des frontières allemandes. Du reste, n'a-t-elle pas décidé de s'allier avec les premiers ministres parmi les plus impopulaires du continent ? Les partis des premiers ministres britannique, néerlandais et suédois ont tout trois fini troisième lors des élections européennes, subissant des défaites inédites. En mettant fin rapidement au mythe du Spitzenkandidat, autrement dit des candidats à la présidence de la Commission, elle contribue à affaiblir le parlement européen et à renforcer encore le discours eurosceptiques. Enfin, Angela Merkel décide de tourner le dos au message envoyé depuis le sud du continent où partout on a rejeté l'austérité, soit en espérant un changement de politique grâce à Matteo Renzi, soit en dénonçant les politiques menées (en France ou en Grèce). Ici, Angela Merkel prend un risque considérable, celui de renforcer potentiellement le vote eurosceptique en France et en Italie. Ce serait un prix considérable à payer pour contenir la colère d'une poignée de conservateurs allemands. Mais, comme souvent, la priorité de la chancelière demeure son agenda national et non européen.