Jean-Claude Juncker, le pompier pyromane

Par Romaric Godin  |   |  1198  mots
Jean-Claude Juncker est affaibli par l'affaire "Luxleaks"
Le président de la Commission européenne devait amorcer un renouveau démocratique et social de la politique européenne. L'affaire "Luxleaks" ruine ces bonnes intentions et mettent à jour les défauts du système de nomination européen.

Ce devait être « la Commission de la dernière chance », celle qui devait sauver l'Europe des eurosceptiques et rétablir la confiance dans l'UE parmi les peuples. Et cela commence par un désastre : l'affaire "Luxleaks". Les révélations concernant l'évasion fiscale organisée par le Luxembourg, pays dont le nouveau président de la Commission a été premier ministre et ministre des Finances pendant une décennie, place Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne, dans une situation impossible.

Contradiction au sein de la Commission

Toute crédibilité concernant la lutte contre l'évasion fiscale lui est désormais ôtée. Mais il y a plus. Alors que la nouvelle Commission semble fort tentée d'utiliser ses nouvelles armes issues du Two-Pack et du Six-Pack contre les « mauvais élèves » budgétaires, ces révélations lèvent encore un voile sur l'absurdité des logiques à l'œuvre en Europe. Tandis que certains pays ne parviennent pas - ou au prix de lourds sacrifices seulement - à consolider leurs budgets, des pays comme le Luxembourg (mais il n'est pas le seul, y compris dans la zone euro), « siphonne » une grande partie des recettes fiscales potentielles pour pouvoir satisfaire des agences de notation qui ne manquent jamais une occasion de se pâmer devant la performance budgétaire du Grand-duché...

L'ensemble de l'action de la Commission discréditée

Dans une Europe qui reste encore un pied dans la crise, ce type de pratique de concurrence fiscale devrait être bannie afin d'empêcher que le dumping fiscal ne donne lieu dans d'autres pays au dumping social. Mais comment penser sérieusement que Jean-Claude Juncker puisse engager une réforme en profondeur de ce système, alors que, lorsqu'il était dirigeant luxembourgeois, il le défendait becs et ongles ? En demeurant président de la Commission, Jean-Claude Juncker achève de discréditer la crédibilité d'un exécutif déjà passablement écorné par plusieurs erreurs de casting, à commencer par la plus flagrante qui soit, celle de l'ancien locataire de Bercy, Pierre Moscovici, au commissariat aux affaires économiques. Rien d'étonnant alors à ce que ce dernier vienne au secours de « son » président.

Une communication à nouveau murée

Du reste, les bonnes volontés semblent déjà appartenir au passé. La communication de la Commission européenne recommence à être verrouillée. Jean-Claude Juncker se mure dans un silence de fer qu'il n'entend pas rompre même pour les députés européens. On mesurera ainsi l'étendu de la véracité de ses grandes déclarations, durant la phase de nomination, concernant sa responsabilité démocratique et sa volonté de transparence. L'ancien homme fort du Grand-duché avait pourtant voulu se draper dans la posture du premier président de la Commission « élu », émanant du suffrage universel. En réalité, cette crise dénote combien il n'en a jamais rien été.

Un choix dicté aux peuples

La notion de « Spitzenkandidat », ou candidat « de tête » d'un camp politique européen, a été créée de toute pièce par les partis politiques européens et d'abord par le Parti socialiste européen, soucieux de placer en avant Martin Schulz, son candidat à la présidence de la Commission. Les conservateurs du PPE ont longtemps hésité, puis ont dû choisir. Le choix n'a nullement émané d'une quelconque pression populaire, il a été le fruit d'une addition d'intérêts particuliers ou celui d'Angela Merkel a prédominé. C'est elle qui a imposé Jean-Claude Juncker au reste des leaders européens conservateurs et ses derniers l'ont accepté en dépit de leur peu d'enthousiasme.

Une personne "sûre"

Le choix est donc venu de Berlin. Il avait plusieurs avantages : une personne « sûre » sur le plan budgétaire et économique, un vrai conservateur, ayant, en temps que président de l'Eurogroupe, participé à la politique européenne de « sauvetage de l'euro », autrement dit d'instauration de l'austérité aveugle. Bref, ce germanophile ne représentait guère de risque pour Angela Merkel. Sa qualité de sujet du Grand-duc de Luxembourg était aussi alors perçue comme une qualité. En Europe, lorsque l'on cherche un homme qui fera consensus et ne fera pas de vague, on trouve toujours un dirigeant d'un membre du Benelux. Herman van Rompuy et Jeroen Dijsselbloem en ont profité, malgré des compétences contestables, avant lui. Durant la campagne, et malgré plusieurs tentatives, Jean-Claude Juncker n'a jamais été perçu par les électeurs comme un candidat « porteur », attirant vers lui des masses d'électeurs. Au soir des élections, il a bénéficié d'une avance du PPE sur le PSE dont il n'était guère responsable et qui, du reste, avait beaucoup fondu en cinq ans. Dans chaque pays, les électeurs - lorsqu'ils se sont déplacés et ils ne sont que 40 % à l'avoir fait - ont principalement voté en fonction de considérations nationales. Peu connaissaient Jean-Claude Juncker et s'ils avaient été conscients de son pedigree, sans doute n'auraient-ils pas été incités à voter pour lui.

Mirage démocratique

Il eût alors été possible de stopper la farce Jean-Claude Juncker en choisissant un candidat capable de mieux incarner un renouveau. Nul alors - comme auparavant - ne pouvait ignorer que l'économie du Luxembourg repose largement sur les avantages fiscaux et que le Spitzenkandidat conservateur avait défendu longtemps ce modèle. Mais on s'est encore accroché, et là encore Angela Merkel porte une lourde responsabilité. C'est elle qui a décidé de s'accrocher coûte que coûte à Jean-Claude Juncker et d'enrober sa nomination derrière une fiction démocratique du vote du Parlement pour le « candidat du camp vainqueur. » A ce moment, tout le monde à Bruxelles, membres du conseil et députés européens, a fermé les yeux sur la face sombre de cette nomination. On s'est contenté d'applaudir aux « avancées démocratiques » de l'élection du Luxembourgeois.

Faillite d'un système

La faillite de la présidence Juncker est donc moins celle d'un homme surtout victime de son opportunisme que du système de nomination qui, on le voit aujourd'hui, ne doit pas grand-chose au choix populaire. C'est la conséquence de ce qui mine tous les jours un peu plus l'Europe : un système en vase-clos où les intérêts des Etats les plus puissants sont les seuls moteurs, mais qui se dissimule derrière de la bonne conscience démocratique à bon marché.

Le mal est fait

Les députés européens de la « grande coalition » PSE-PPE qui ont soutenu ce système en sont les complices. Peu importe s'ils demandent ou non la démission de Jean-Claude Juncker : le mal est fait. Si Jean-Claude Juncker reste, il sera affaibli face au Conseil, il se murera dans la même communication bornée que son prédécesseur et le pari du renouveau sera manqué. S'il s'en va, c'est l'institution de la Commission qui sera affaiblie par la mise au jour de la réalité de ces combinazioni qui président aux nominations. Il n'aura pas fallu dix jours à la nouvelle Commission pour manquer son départ. Les Eurosceptiques divers peuvent se frotter les mains...