Les priorités de la nouvelle commission Juncker

L'équipe Juncker a commencé son grand oral devant les députés européens avant le vote final sur l'ensemble de l'équipe, le 22 octobre. Un par un, les 27 commissaires et vice-présidents de la Commission doivent s'expliquer sur leurs priorités. On n'attend pas de grandes surprises de l'exercice, mais le chemin de ce nouvel exécutif sera semé d'embûches. Revue de détail sur trois sujets clés : la politique budgétaire, la finance et le numérique.
Tous les commissaires en lice pour décrocher le vote du Parlement n’ont pas le profil de l’emploi, loin de là. Mais le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, a une solide réputation d’homme de compromis…

Pierre Moscovici nommé à la Commission européenne

Économie : renouer avec la croissance perdue

PIERRE MOSCOVICI (FRANCE)
Affaires économiques et monétaires, Fiscalité et Douanes

La règle, rien que la règle, toute la règle. Tel aura été le leitmotiv du Français Pierre Moscovici pendant sa campagne pour obtenir l'investiture du Parlement européen au poste de commissaire aux Affaires économiques et monétaires. S'il convainc lors de son audition, il restera toutefois à l'ancien ministre français des Finances à faire oublier son bilan en matière de respect du Pacte de stabilité à la tête de Bercy, et à assumer son virage sur la gouvernance économique européenne. Hier encore, il défendait bec et ongles que Bruxelles n'eût pas à dicter les réformes... qu'il est aujourd'hui en situation de recommander aux États membres, à commencer par le sien. « Il a pris des engagements qu'il n'a pas tenus», tranchait cette semaine l'eurodéputée libérale Sylvie Goulard.

« Or le seul critère à prendre en compte [pour la nomination d'un commissaire] est de savoir si elle augmente ou pas la crédibilité du job».

Être gardien des règles par les temps de récession rampante qui courent ne sera pas une sinécure. Dans son «mémo» au candidat commissaire, le think tank Bruegel lui laisse le choix entre trois solutions également périlleuses : infliger des sanctions (jusqu'à 1 % du PIB) pour violation répétée du Pacte, lesquelles frapperaient en premier lieu la France ; ouvrir la boîte de Pandore d'une renégociation des règles, ou les contourner pour éviter l'option 1... ce qui réduirait la crédibilité du nouveau Pacte à néant. Récemment, la chancelière allemande a fait un pas vers l'option 3, en déclarant : « Le Pacte... contient vraiment beaucoup de flexibilité». Combien et lesquelles ?

Une chose est sûre : Pierre Moscovici ne sera pas le seul à la Commission à devoir répondre à cette question, puisqu'il sera chapeauté par un vice-président, le libéral estonien Valdis Dombrovskis, qui pourrait d'ailleurs lui contester la charge de représenter l'Union européenne à l'extérieur, au G20, au Conseil de stabilité financière et dans les autres instances internationales. Il est également probable qu'il doive apporter sa dîme au grand plan d'investissement public et privé de 300 milliards promis par Jean-Claude Juncker et piloté par ses équipes, et qui ne sera vraiment dévoilé qu'au printemps 2015. Ses services sont en première ligne pour développer un marché européen de la titrisation, mais l'homme du dossier sera Jyriki Katainen, un Finlandais tout aussi orthodoxe en matière budgétaire que son collège letton. Bref ! L'homme de Hollande ne sera pas en situation de faire en Europe de la relance à la française. Quant à la création d'un budget de la zone euro, elle reste dans les limbes. Devant les députés, le nouveau commissaire a déjà admis qu'elle ne saurait être envisagée que quand tout le monde aura mis de l'ordre dans sa maison...

Le Parlement européen veut des réponses écrites de Jonathan Hill

Finance : rouvrir les vannes du crédit

JONATHAN HILL (ROYAUME-UNI)
Services financiers et union des marchés de capitaux

Bien sûr, devant les députés, Jonathan Hill a promis de « construire sur le travail» de son prédécesseur, Michel Barnier, qui a conduit pendant cinq ans une entreprise sans précédent d'encadrement de la finance. Mais personne n'est dupe. Avec l'arrivée de ce Britannique aux services financiers, la prudence et la stabilité, qui avaient été les maîtres mots du Français, vont passer au second plan. Le plus gros du travail réglementaire a été fait... même si les banques universelles françaises, jugées systémiques, peuvent s'attendre encore à de mauvaises surprises. Quoi qu'il en soit, la priorité est désormais de « conduire l'épargne vers les investissements productifs» en créant une « Union des marchés de capitaux».

Ce projet, pour l'instant totalement nébuleux, s'appuie sur deux constats. D'abord le crédit bancaire est atone... et traditionnellement les entreprises européennes - particulièrement les PME - utilisent peu les financements de marché. La priorité absolue doit donc être de refaire circuler le crédit en utilisant les marchés de capitaux. Ensuite, le marché de services financiers européen reste redoutablement fragmenté. « Il y a une forme d'anomalie actuellement, qui fait qu'un projet présentant le même niveau de risque se finance beaucoup plus difficilement, à des taux beaucoup plus élevés, dans un pays que dans d'autres», expliquait récemment Michel Barnier. C'est tout l'enjeu de l'Union bancaire que d'inverser la tendance délétère à la nationalisation des portefeuilles des investisseurs qui, après 2009, a failli faire exploser la zone euro. Mais pour refaire circuler l'épargne d'un bord à l'autre du continent, il faudra plus que rétablir la confiance dans les banques. Il faudra des véhicules d'investissement nouveaux, autres que les traditionnelles Sicav. D'où l'idée de relancer la titrisation, qui permettra de soulager les bilans bancaires en créant un marché secondaire de la dette corporate des entreprises.

Le nouveau commissaire n'aura pas la tâche facile. D'abord il part avec un lourd handicap : sa «britannitude». Il va devoir donner des gages d'indépendance... et de sa capacité à entrer dans le sujet. Car Lord Hill est surtout connu pour avoir orchestré la réforme de... l'éducation, entreprise par le Premier ministre David Cameron, dont il est proche. « Hill n'est pas à sa place. Vous ne donnez pas un projet fédéral comme l'Union bancaire à un eurosceptique qui y voit une source de menace compétitive pour la City», expliquait récemment le coprésident du groupe des Verts au Parlement, Philippe Lamberts.

Guenther Oettinger

Numérique : vers un «marché unique digital»

GÜNTHER ÖTTINGER (ALLEMAGNE)
Économie numérique

S'il y a une priorité qui émerge à l'aube de ce nouveau cycle politique, c'est sans conteste le développement, mais aussi la maîtrise de l'économie digitale.

Les Européens sont à la fois fascinés et excédés par la domination américaine dans ce secteur. Ils veulent tout changer ou presque pour rattraper leur retard et sont prêts à y mettre les moyens. Ce focus semble une fois encore très inspiré du discours en vogue à Berlin.

« Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ont à elles cinq une capitalisation boursière supérieure au DAX 30», le CAC 40 allemand, expliquait récemment l'homme fort du SPD et allié de coalition d'Angela Merkel, Sigmar Gabriel.

« Le digital est politique... dans le sens où la révolution numérique affecte pratiquement tous les domaines de notre vie».

Ce n'est pas tout à fait un hasard s'il tombe dans l'escarcelle de l'Allemand Günther Öttinger, tant ces préoccupations font miroir à celles du gouvernement et de la société allemands.

Il va devoir concrétiser le fameux «marché unique digital», un projet ancien mais qui n'a guère avancé ces dernières années. Côté infrastructures, il va devoir remettre sur le métier le dossier du partage du spectre numérique, terrain de guerre entre États mais aussi entre diffuseurs et opérateurs de téléphonie. Il devra aussi mettre de l'ordre dans les règles de propriété intellectuelle, passablement périmées.

Autre sujet enlisé : la protection des données personnelles, où les Européens sont bien forcés de constater que leur attachement aux libertés individuelles entre en conflit avec leur présence industrielle.

Last but not least : le chantier fiscal. Tous les grands pays européens veulent faire payer aux géants multinationaux, à commencer par ceux du monde digital, leurs impôts là où est généré leur résultat. On en est loin. Bruxelles s'est lancée dans une guerre à l'optimisation fiscale qui permet à Apple de localiser son bénéfice en Irlande et à Amazon au Luxembourg... où ils ne payent quasiment pas d'impôt. La Commission Barroso ayant choisi de s'attaquer au sujet sous l'angle des aides d'État, pour ne pas être entravé par sa capacité de feu réduite en matière fiscale, ce sera à la Danoise Margrethe Vestager, nouvelle commissaire à la Concurrence, de reprendre le flambeau... Et même si le Français Pierre Moscovici est en charge de la fiscalité.

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Commentaires 3
à écrit le 14/10/2014 à 12:23
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PAS etonnant que les marches devisses puisque les politiques n'ont pas le courage d'attaquer le probleme de la FRANCE et en plus nomme le plus mauvais commissaire au budget !!!!!!!(qui fit tanguer la bourse comme en son temps grece portugal espagne...

à écrit le 14/10/2014 à 9:57
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Un anglais aux "services financiers" pour la zone €uro, alors que le RU n'utilise même pas l'€uro. Un Estonien libéral qui ne représente pas grand-chose, sinon quelques de mafieux...Le retour de la titrisation dont on sait les vertus. Longtemps europ...

à écrit le 14/10/2014 à 9:24
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Les priorites ? moins de protections ,plus de privatisations, de fausses mesures ecologistes et plus d'immigration

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