Grèce : un Eurogroupe sous haute tension

Par Romaric Godin  |   |  1113  mots
Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe
Alors que la situation est toujours bloquée entre la Grèce et ses créanciers, la réunion de l'Eurogroupe de ce jeudi s'annonce décisive. Quel est l'état d'esprit des différents acteurs ?

La situation entre la Grèce et l'Allemagne est à nouveau bloquée. L'Allemagne a rejeté d'emblée les propositions grecques, qui accordaient cependant de nettes concessions. Immédiatement, le gouvernement grec a indiqué qu'il n'y avait pas pour l'Eurogroupe de ce vendredi que le choix entre accepter leurs propositions ou la rejeter. Autrement dit : Athènes promet qu'elle n'ira pas plus loin. Berlin ne bouge pas. Le blocage persiste. Après le jeu de ce jeudi 19 février, les positions sont redevenues figées.

Que va-t-il se passer à présent ? La réunion de l'Eurogroupe de ce vendredi sera évidemment décisive, mais auparavant, il conviendra de s'assurer que la position allemande est tenable. La question se pose donc au sein de la coalition d'Angela Merkel. Le refus des concessions grecques est intervenu par un communiqué du ministère fédéral des Finances. Difficile de croire qu'il n'a pas été validé par la chancellerie, mais les discussions vont maintenant reprendre.

Le difficile choix allemand

Premier problème : les Sociaux-démocrates. Jusqu'ici, leur chef, Sigmar Gabriel, avait soutenu Wolfgang Schäuble. Mais cette politique n'a guère porté ses fruits. La SPD végète toujours dans les sondages entre 23 et 26 %. A gauche du parti, on commence à grogner. La concurrence au sein du parti pour son chef risque de se faire plus âpre. Si la SPD valide la position de Wolfgang Schäuble, il risque de se couper notamment des Verts. Du coup, Sigmar Gabriel a mis un peu d'eau dans son vin et a demandé jeudi après-midi que l'on « reprenne immédiatement les discussions avec les Grecs. » Avant demain 15 heures, le gouvernement allemand va devoir clarifier sa position interne. Angela Merkel va devoir arbitrer et faire accepter à la SPD la position de fermeté de la Wilhelmstrasse, siège du ministère allemand des Finances.

Et c'est là que se pose le deuxième problème : si l'Allemagne maintient sa position de fermeté, c'est qu'elle est prête à aller jusqu'à l'exclusion de la Grèce de la zone euro. Le danger est-il acceptable pour la république fédérale ? Les études se multiplient pour minimiser le coût d'un Grexit. Le plus récent vient de l'agence S&P. Mais l'Allemagne va devoir en réalité choisir sur le plan du principe : est-elle prête à sacrifier l'irréversibilité de l'euro contre une zone euro « épurée » de ses mauvais élèves ? C'est la question à laquelle la chancelière va devoir répondre ce soir ou demain matin. Selon les deux journalistes allemands qui, l'an passé, ont raconté le choix de 2012*, l'élément décisif pour refuser le Grexit en 2012 avait été le risque de contagion. Selon S&P, ce risque est désormais faible. Sera-ce alors la raison d'un soutien de la chancelière à son ministre des Finances ?

Un Eurogroupe pusillanime

Le deuxième élément est l'Eurogroupe lui-même. Au sein des 18 ministres des Finances, y aura-t-il une résistance ? Les Européens de l'est soutiennent l'Allemagne. La Slovaquie (dirigée, rappelons-le par un social-démocrate) va même plus loin en refusant le moindre sou à la Grèce (comme en 2012). Les Etats baltes, la Finlande, les Pays-Bas et tous les pays en difficulté dans le passé, comme l'Espagne, le Portugal, l'Irlande et la Slovénie, sont sur la ligne Schäuble : le mémorandum de 2012 ou rien. La clé de la décision réside donc dans la France, l'Italie et la Commission. Jean-Claude Juncker a, mercredi, reconnu les fautes de la troïka. Ira-t-il jusqu'à « tirer les leçons de l'histoire », comme il le disait alors, et pousser à un compromis ? Quant à la France et l'Italie, elles brillent par leur absence sur ce dossier, comme jadis du reste. Ni François Hollande, ni Matteo Renzi ne semblent prêt à jouer la confrontation avec Angela Merkel pour la cause grecque. Leur isolement, la pression de la Commission sur leurs budgets, leur volonté de jouer les bons élèves les en empêchent. Un soutien appuyé à Athènes les rendrait suspects, alors même qu'ils tentent de prouver à Berlin leur volonté de « réformes. » Bref, on voit mal comment l'Eurogroupe, dirigé par un Jeroen Dijsselbloem qui a déjà prouvé son attachement à la ligne dure, pourrait vraiment s'opposer au choix de Berlin. Jeudi soir, néanmoins, Manuel Valls a tenu devant l'Assemblée nationale un discours saluant les concessions grecques et assurant que "la France fera tout pour laisser la Grèce dans l'euro." Ces déclarations iront-elles au-delà des simples mots vendredi ? Rien n'est moins sûr.

La Grèce cédera-t-elle encore ?

Reste enfin la Grèce. La volonté d'Athènes de s'arrêter aux larges concessions acceptées ce jeudi est-elle sérieuse ? Evidemment, ces concessions peuvent être comprises comme une volonté de ne pas vouloir aller jusqu'au Grexit et au défaut. Mais la question reste de savoir si le gouvernement Tsipras est prêt à tout pour éviter cette option ou non. On voit qu'en réalité, on n'a guère bougé. Une autre hypothèse semble possible. Le gouvernement grec a fait ces concessions pour prouver qu'il n'est pas à l'origine du blocage. En quelque sorte, pour démentir les propos de Wolfgang Schäuble, présentant l'attitude d'Athènes comme « irresponsable. » Dès lors, s'il y a escalade, Alexis Tsipras ne pourra pas endosser devant le parlement et l'opinion publique la responsabilité d'un Grexit. L'opposition « pro-européenne » aura bien du mal à lui reprocher son attitude, alors même que l'ancien premier ministre Antonis Samaras, refusait dans son programme les exigences de la troïka. Comment alors reprocher à Alexis Tsipras de demander que les futurs choix budgétaires soient issus de la discussion entre le gouvernement grec et « les institutions » comme dans la lettre de Yanis Varoufakis ? Toute nouvelle concession serait une capitulation, une nouvelle humiliation. On voit mal le nouveau gouvernement l'accepter, sauf à donner raison à deux partis en Grèce : le parti communiste (KKE) et Aube Dorée, les néo-nazis. Ce serait une catastrophe politique. Bref, il n'est pas sûr que la faiblesse de jeudi se renouvelle.

Haute tension

Cette réunion de l'Eurogroupe risque donc d'être à nouveau sous haute tension. Le blocage n'est pas sûr. La Grèce peut encore céder ; l'Allemagne un peu fléchir (le fléchissement est moindre que lundi dernier) ; la Commission jouer le rôle de facilitateur. Mais l'option d'un nouveau blocage n'est pas à exclure. Et dans ce cas, il n'est pas sûr que les négociations se poursuivent. Car le temps presse et le moment des mesures unilatérales pourraient venir.

*Cerstin Gammelin, Raimund Löw, Europas Strippenzieher, Econ Verlag, 2014