L'épreuve des mots pour la Fed

A l'approche du conseil de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed), économistes et spécialistes des marchés partagent une certitude: les autorités monétaires américaines laisseront inchangé le niveau des taux d'intérêt aux Etats-Unis. Malgré une reprise insolente de vigueur - +8,2% en rythme annuel au troisième trimestre - et un marché du travail convalescent, la Fed devrait décider de maintenir le loyer de l'argent à 1%, niveau qui est le sien depuis le mois de juin. Mais un fois énoncé ce pronostic, les analystes apparaissent divisés quant aux commentaires qui assortiront la décision de la Réserve fédérale. Les économistes s'interrogent: la Fed va-t-elle maintenir ou non sa promesse de garder une politique accommodante "pendant une période considérable"? Cet engagement apparu en août dans les commentaires de la Fed semble gêner aux entournures certains membres de l'institution, tant celle-ci rechigne en général à se retrouver les mains liées face à une conjoncture susceptible d'évoluer à tout moment. Pour Valérie Plagnol, chef stratégiste de CIC Marchés, la Réserve fédérale américaine devrait patienter encore quelque temps pour modifier son argumentaire. "Un changement de ton ne devrait pas intervenir avant le premier trimestre" estime-t-elle considérant que les dernières statistiques de l'emploi vont inciter la Fed à la prudence. Dans cette hypothèse, la baisse du dollar vis à vis des autres monnaies et notamment de l'euro devrait se poursuivre en raison d'un maintien prolongé d'un différentiel de taux d'intérêt entre les Etats-Unis et la zone euro favorable à cette dernière. Mardi matin, l'euro a touché un nouveau plus haut historique face au billet vert à 1,2275 dollar, avant de se replier. En fin d'après-midi à Paris, un euro valait 1,2227 dollar.Cependant, pour près de la moitié des économistes sondés par Reuters, les autorités monétaires américaines pourraient tout de même abandonner la promesse d'un statut quo "pour une période considérable". A l'appui de cette thèse, on peut avancer les bonnes performances affichées par la première économie mondiale. Dans la dernière livraison de son Livre Beige, la banque centrale américaine n'affirmait-elle pas que "l'économie a continué de croître en octobre et début novembre" et que l'amélioration a concerné "un nombre varié de secteurs"?Ceci étant, l'abandon de la formule controversée ne signifierait pas un relèvement rapide du loyer de l'argent, comme le souligne Nordine Naam de CDC Ixis. A l'heure actuelle, la majorité des économistes estiment qu'une hausse du loyer de l'argent n'interviendra pas avant la mi-2004. Pour l'équipe de recherche change et taux de la Société générale, "il convient d'être sûr que la croissance est solide, saine et durable". Or il paraît clair, au-delà même de la déception provoquée par les récents chiffres de l'emploi, que l'économie américaine souffre d'un certain nombre de déséquilibres dont le creusement des déficits et l'endettement des ménages et des entreprises ne sont pas les moindres. Par ailleurs, comme le soulignent les économistes de la Société Générale, "le retour de la croissance ne va pas pour l'instant de pair avec une résurgence des craintes inflationnistes". Et de s'interroger: "sans réelle crainte inflationniste, un resserrement monétaire ne serait-il pas perçu comme inutile et contre-productif pour la croissance"? C'est ainsi que, comme le résume parfaitement Ingrid Vergara de Natexis Asset Management, "si tout le monde anticipe une hausse des taux l'an prochain, la vraie question est de savoir quand". A cet égard, le communiqué de la Fed sera sans doute scruté à la loupe, décortiqué mot à mot pour tenter de décrypter les intentions de ses membres. Mais certains prophétisent déjà que le maître des lieux, Alan Greenspan, pourrait sortir de son chapeau une nouvelle formule permettant de sortir de l'impasse liée à la notion de statu quo "pour une période considérable", tout en évitant d'effrayer le public, et surtout le marché obligataire, qui y verrait l'amorce d'un durcissement de la politique monétaire. Mais pour le président de la Fed, l'exercice n'a rien d'impossible. Lui qui déclara un jour "si vous avez compris ce que je viens de dire, c'est que je me suis mal exprimé", devrait parvenir à concilier l'inconciliable...
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