"La BCE n'ira pas jusqu'à casser la croissance européenne"

Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel Leven, décrypte les dernières évolutions de la conjoncture internationale. Selon lui, l'économie américaine devrait continuer à progresser à un rythme de croisière de 2 à 2,5%. Il table sur une baisse progressive du dollar en 2007, à la fois contre euro et contre yen.

LaTribune.fr: Les derniers indicateurs économiques américains sont en demi-teinte. Faut-il, selon vous, craindre un ralentissement marqué de l'économie américaine en 2007?

Jean-Louis Mourier: Ce n'est pas notre scénario. A l'heure actuelle, seuls deux secteurs sont véritablement affectés par un ralentissement marqué: l'immobilier résidentiel et l'automobile. Mais pour l'instant ces retournements ne semblent pas affecter l'ensemble de l'économie. La consommation des ménages reste en particulier soutenue par des revenus en hausse, ce qui nous permet de rester assez positifs. Un ralentissement par rapport à ce qu'on a connu en 2005 ou encore en moyenne cette année est envisageable. Mais au pire, il sera d'une ampleur comparable à ce qu'on a connu au troisième trimestre. La croissance américaine devrait ainsi conserver un rythme de croisière de 2-2,5%.

En zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) essuie des critiques de plus en plus nombreuses. Existe-t-il un véritable risque qu'elle aille trop loin dans le resserrement de sa politique monétaire?

Je ne crois pas, pour plusieurs raisons. Pour nous, elle va continuer à monter ses taux l'année prochaine. Le taux refi atteindra 3,75% au premier trimestre, c'est quasiment sûr, et il y a une probabilité importante pour qu'elle relève ses taux directeurs encore une fois au printemps. Mais elle n'ira pas jusqu'à casser la croissance. On dit toujours que la BCE se moque complètement de la conjoncture, mais cela n'est pas totalement vrai. Certes, les gouverneurs de la Banque centrale européenne ne cherchent pas à gérer la conjoncture, mais ils s'en servent comme d'un indicateur avancé. A leurs yeux, la menace d'un ralentissement de l'activité limitera les tensions inflationnistes. Un élément qui peut freiner, voire stopper le durcissement de la politique monétaire.

L'inflation a diminué ces derniers mois. Quelle influence peut avoir cette modération des pressions inflationnistes sur les prochaines décisions de la BCE?

Aucune! La Banque centrale européenne se préoccupe non pas de l'inflation passée mais des anticipations d'inflation. Or celles-ci sont plutôt orientées à la hausse. Les entreprises pensent qu'elles vont pouvoir continuer à augmenter leurs prix. Quant aux ménages, ils anticipent que l'inflation va rester un peu plus forte, et ils risquent de réclamer des hausses de salaires. D'ailleurs, si l'on regarde les anticipations du marché des titres indexés sur l'inflation, on ne constate pas d'anticipation de baisse de l'inflation.

Comment expliquez-vous la persistance de taux longs aussi bas, alors que toutes les grandes banques centrales, à l'exception de la Banque du Japon, sont quasiment arrivées au terme du resserrement de leur politique monétaire?

D'abord, les marchés obligataires sont des marchés très intégrés au niveau mondial. Ainsi, l'ensemble des marchés obligataires sont très liés à l'évolution des taux américains. Entre les taux longs européens et les taux longs américains, la corrélation est de l'ordre de 75% en ce moment. Pourquoi les taux sont-ils aussi bas aujourd'hui? Parce que les investisseurs sont plus inquiets que nous. C'est nettement visible quand on regarde les enquêtes de confiance menées auprès des investisseurs. Elles sont au plus-bas depuis 1993 en Europe. Et même si elles se redressent un peu aux Etats-Unis, la perception des investisseurs de l'économie américaine reste assez pessimiste.

Deuxième phénomène: les flux acheteurs, en particulier ceux des fonds de pension anglais. Une enquête publiée dans le Financial Times la semaine dernière établissait que les fonds de pension britanniques voulaient augmenter la proportion des obligations d'Etat dans leurs portefeuilles.

Autres éléments de flux: les réserves de change des banques centrales asiatique et des pays de l'Opep. Même si les produits du pétrole ont baissé, ils restent élevés par rapport à ce qu'on a connu dans l'histoire récente. Donc les recettes d'exportation de ces pays restent très fortes.

Enfin, les positions de yen "carry trade" ne sont sûrement pas négligeables. De nombreux intervenants empruntent en yen pour acheter des titres d'Etat américains ou européens, ce qui commence même à inquiéter la Banque du Japon. .

Existe-t-il, selon vous, un risque important de baisse du dollar?

Pour nous, le dollar devrait s'orienter à la baisse dans l'année à venir. Il y a toujours des éléments traditionnels. Régulièrement invoqué, le déficit de la balance courante restera, comme ces dernières années, relativement indolore pour le marché des changes. En revanche, à moyen terme, plusieurs éléments nous amènent à être plutôt baissiers sur le dollar. Face à l'euro, ce sont les perspectives comparées de politique monétaire. Elles sont plutôt favorables à une appréciation de l'euro, puisque la BCE continuera à relever ses taux alors que la Fed devrait conserver son statu quo.

Vis-à-vis de la devise japonaise, les fameuses positions de "carry trade" ont pesé sur le yen récemment. Ce qui signifie que, si la Banque du Japon monte ses taux un petit peu plus ou plus vite que l'attendent les cambistes, le marché se dirigera vers une appréciation du yen contre toutes les monnaies et en particulier contre dollar. Pour résumer, nous sommes baissiers sur le dollar, mais nous ne favorisons pas pour autant le scénario du "grand soir". A court terme, sur les trois prochains mois, nous attendons d'ailleurs une relative stabilité.


Prévisions pour la fin de l'année:
Euro/Dollar: 1,28
Taux à 10 ans en zone euro: 3,75-3,80%
Taux à 10 ans aux Etats-Unis: 4,60-4,70%

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