Les sombres dessous de la vie

Henri Monnier, au XIXe siècle, croquait furieusement bourgeois ou petit peuple de Paris et des campagnes. De ses textes, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff proposent un spectacle haut en couleur mais faible en sens.

Il y a de la méchanceté, bien sûr, et pas mal de violence aussi dans cette Méchante Vie, texte adapté pour le théâtre par Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff d'après les Scènes populaires dessinées à la plume et leurs suites par HenriMonnier (1799-1877). Ce spectacle, qui vient d'être créé au Théâtre de Nîmes, est donc né d'une oeuvre de l'illustre mais aujourd'hui peu connu Monnier. L'homme fut respecté et apprécié en son temps comme peintre et illustrateur, comme auteur et comme comédien. Il a créé le personnage de Joseph Prudhomme, bourgeois solennel s'égarant dans des métaphores impossibles "Le char de l'État navigue sur un volcan") et fait dire à ses petits peuples parisiens ou paysans du Vexin, dans les Scènes populaires..., des banalités éternelles.

Jérôme Deschamps extrait de la prose de Monnier deux personnages, deux femmes : Mme Bergeret (Jérôme Deschamps dans le rôle) et Mme Desjardins (Jean-Claude Bolle-Reddat). On les devine assez vite habitant Paris, mais... sont-elles "Parigotes" certifiées ou sont-elles des immigrantes de l'intérieur, de la campagne ? On ne sait trop car, côté élocution et vocabulaire, Deschamps et Bolle-Reddat font entendre un véritable tsunami de "r" grassement roulés, de couinements hoquetés et autres borborygmes délirants. Tout cela ne facilite pas la compréhension des dialogues. La gestuelle des comédiens, en revanche, regorge de mouvements. La signature Deschamps.

Méchantes. Le monde de la Méchante Vie est sombre. Rien de bon à attendre. Les voisines Bergeret et Desjardins sont brevetées tendance "Pinardier" côté désir (les "pinards"de toutes les couleurs sortent des robinets) et "Ténardier" côté filiation. Les enfants de la première sont roués de coups. La fille boite, le garçon aussi (la mère l'a amené "au vétérinaire") et en plus, affamé, il bouffe littéralement le fauteuil maison. Façon de remplacer le chien Turc qui, lui, est "taxidermisé" ! Quant aux enfants de l'autre, on entend cette réplique de la Bergeret : "C'est là qu'j'vous envie qu'les vôtrrrres soyent morrrrts..."

On suppose la sale odeur sous le jupon, la sueur sous la coiffe, le rance sous les aisselles. Entre les deux, on imagine une tectonique des méchantes blagues, d'un irrépressible besoin de désastre. Quand l'une n'arrive pas "à sortir son ténia", l'autre divague sur "les culottes qui entrrrravent". Quand on devine l'exécution par décapitation de l'époux Desjardins, la Bergeret lance : "Ça va, z'avez eu beau temps [...]. Faut voirrrr les pauvrrrres suppliciés quand il tombe des corrrrdes !" Quand la couineuse Desjardins revient avec une marmite contenant la tête de l'époux ("Un cadeau du bourrrrreau"), l'autre rétorque : "La nuque est nette !"

Avec les roulements à gogo ponctués de sympathiques intermèdes musicaux, Deschamps finit par édulcorer à force de vouloir faire rire de la méchanceté du propos. "La femme est-elle faite pour le
bonheur ?" s'interroge pourtant l'une des voisines. Question qui paraît déplacée ici.

"La Méchante Vie", jusqu'au 19 novembre, au TNB, à Rennes, dans le cadre du festival "Mettre en scène". Du 30 novembre au 30 décembre, à Paris, au Théâtre national de Chaillot. Tél. : 01.53.65.30.00.

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