Jacques Veyrat, le hussard des télécoms

Ce matin, Neuf Cegetel fait ses débuts en Bourse. Une consécration pour l'homme qui a créé l'opérateur en rachetant des entreprises en difficultés.

"Tu as l'heure, s'il te plaît ?" L'analyste financier d'une grande banque française en est resté coi. Pourtant, il va falloir qu'il s'y fasse avec Jacques Veyrat. Le patron de Neuf Cegetel est comme ça : il tutoie. Pour "faire sympa" ? Probablement. Mais n'attendez pas non plus de grandes tapes dans le dos. Avec son aspect plutôt frêle, son côté presque timide et son élocution pas toujours assurée, l'homme n'a pas le charisme d'autres grands patrons.

"Il n'a pas besoin de hausser le ton, rétorque un camarade de promotion de Polytechnique, il a pris les bonnes décisions au bon moment et sans faire de fautes financières, ce qui est rare dans les télécoms". Pas de doute, ce savoyard est "une grande pointure des télécoms", comme le dit Dominique Roux, ancien du régulateur des télécoms. Et l'introduction en Bourse de Neuf Cegetel ce matin doit le couronner.

Ce produit de l'excellence républicaine française, X-Ponts, a suivi un parcours presque classique au moins jusqu'en 1995. Il entre au Trésor en 1989 où il croisera un certain Jean-François Cirelli, devenu entre temps PDG de Gaz de France et ... administrateur "indépendant" de Neuf Cegetel. En 1993, première vraie bifurcation, il entre au cabinet de Bernard Bosson, ministre des transports, en tant que conseiller technique chargé des affaires maritimes. Mais la politique ne l'attire guère. D'ailleurs, on ne connaît pas beaucoup d'amis dans ce milieu à ce père de trois enfants qui étonne toujours par son éclectisme. Passionné de musique en général et d'opéra en particulier, l'homme se déclare pour la discrimination positive et reste persuadé de la pertinence du slogan "black blanc beur".

En 1995, il prend donc une direction surprise. Pas celle d'une filiale d'un groupe du CAC 40. Non, il choisi d'aller chez un groupe familial, secret, Louis-Dreyfus où il s'occupe de la filiale armateur, séduit par "son esprit entrepreneurial" à en croire un proche. Son coup de maître date de 1998 : il décide de poser de la fibre optique le long des canaux, et autres artères de communications pour construire un réseau de télécom. LD Com est né. "A l'époque, outre France Télécom, seuls des américains comme Level 3 ou WorldCom s'étaient lancés dans ce métier. Pour moi, c'était formidable qu'un français relève ce défi", explique Dominique Roux.

L'éclatement de la bulle Internet ne le fait pas renoncer. D'autant que Louis-Dreyfus soutient toujours le projet. Mais tout n'est pas rose tous les jours. Selon l'intéressé, c'est Jean-Louis Constanza, ex-patron de Tele2 France, qui lui sauve la mise en ces temps difficiles en choisissant de faire passer les communications de Tele2 par le réseau LD Com. "Sans lui, je ne serais rien", avoue Jacques Veyrat en parlant de Jean-Louis Constanza. Mieux, cette bulle Internet laisse des opérateurs sur le carreau et Jacques Veyrat a su en profiter. "C'est à ce moment qu'il a été extrêmement déterminé, rationnel et raisonnable", estime un ami de vingt ans.

En quatre ans, LD Com a racheté une quinzaine d'entreprises en difficulté telles que Belgacom France, FirstMark, Siris pour 1,46 milliard d'euros selon Exane-BNP Paribas. A chaque fois, il fait rentrer les actionnaires au capital de LD Com plutôt que de payer en monnaie sonnante et trébuchante. D'où un actionnariat éclaté entre divers intérêts, de Suez à Goldman Sachs. "Il a un sens inné du business", pense un dirigeant d'une société rachetée. "Il a fait sa fortune au Tribunal de Commerce", dit au contraire de lui un détracteur. "C'est le financier le plus brillant de sa génération", balance, mi-moqueur, un concurrent.

Et revoilà cette critique qui lui colle à la peau : Jacques Veyrat serait un coupeur de tête sans âme. C'est vrai, à chaque fois, il fallu réduire les effectifs "à la hussarde" selon cet ancien dirigeant d'une société rachetée. Mais, ce dernier avoue que "souvent Jacques a eu la pertinence de garder ce qu'il fallait". En tout cas, une de ses qualités fait l'unanimité : "il a su s'entourer de dirigeants qui gèrent le quotidien", lâche un copain de l'X, faisant allusion à Michel Paulin, directeur général de Neuf Cegetel. Et maintenant ? Maintenant que Neuf Cegetel est en Bourse, que SFR en détient 40,6 % et que Louis-Dreyfus est probablement appelé à sortir du capital. C'est Robert Louis-Dreyfus qui donne la réponse. En début d'année, l'homme d'affaires indiquait au Point, "j'ai l'idée que mon dauphin pourrait être Jacques Veyrat, s'il ne fait pas trop de bêtise d'ici là". La participation de Louis-Dreyfus vaut aujourd'hui 1,2 milliard d'euros alors que la mise de départ du groupe serait de l'ordre de 200 millions d'euros.

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