Bataille entre la Deutsche Post et les éditeurs des grands journaux allemands

Plusieurs éditeurs ont lancé la semaine dernière une campagne de publicité dans leur support pour dénoncer les privilèges dont bénéficie la Deutsche Post à l'aube de la libéralisation totale du courrier prévue en Allemagne au 1er janvier. Cette dernière a aussitôt suspendu son budget chez les éditeurs concernés et menace d'ouvrir la porte à un quotidien gratuit. Un bras de fer qui devrait s'intensifier dans les semaines à venir.

Le ton monte entre la Deutsche Post et les éditeurs des grands journaux allemands. Dans le cadre d'une vaste campagne de publicité, le groupe Springer, propriétaire du plus grand quotidien allemand, Bild Zeitung dont le tirage dépasse les 5 millions d'exemplaires, mais également la maison-mère du quotidien économique Handelsblatt (partenaire de La Tribune), critiquent sévèrement la Deutsche Post et le gouvernement allemand.

"Avec quoi la Poste paye-t-elle ses activités à l'étranger ? Avec des places dans les maternelles et dans les universités ! Ce sont 175.000 places de maternelles qui pourraient être créées avec les 1,5 million d'euros qu'économisent la poste allemande chaque année puisqu'elle est affranchie de TVA" s'indignent-ils avec en gros une photo du patron de la Deutsche Post, Klaus Zumwinkel, qui rigole.

La poste allemande a réagi aussitôt en bloquant le budget de 800.000 euros prévus dans les supports de Springer d'ici à la fin de l'année. Une annonce placée dans un environnement hostile n'apporte rien, a justifié le directeur de la publicité. Une réaction qui montre le manque de sang froid dont fait preuve un groupe international et monopoliste qui craint ses concurrents potentiels, a répliqué la porte-parole de Springer.

Objet du conflit : la libéralisation du courrier de moins de 50 grammes qui entrera en vigueur outre-Rhin dès le 1er janvier prochain. Un enjeu important pour l'actuel monopoliste puisque ce segment représente plus de la moitié du volume total des lettres. Il engrange certes moins de 20% de son chiffre d'affaires mais 50% de son bénéfice opérationnel. Plus d'un milliard d'euros sur les six premiers mois de l'année.

Un gâteau dont ses concurrents et en première ligne les éditeurs entendent récupérer leur part. En 2005, la WAZ (Westdeutsche Zeitungsverlag), Holzbrink (propriétaire d'Handelsblatt) et Springer ont créé Pin, une société de distribution qui emploie déjà 7000 salariés et en vise 30.000 à terme. L'an dernier, elle a réalisé 168 millions de chiffre d'affaires et voit son potentiel à plus de 1,5 milliard à l'horizon 2015.

Springer, qui encaisse plus de dix millions par an de pub de la poste allemande, a même mis 510 millions sur la table au printemps pour s'assurer 75% de son capital. Son patron, Matthias Döfner, est persuadé que ce nouveau métier est complémentaire de son activité traditionnelle. Les postiers sont en contact avec des millions de foyers. Un potentiel pour vendre les différents produits du groupe et pour les annonceurs.

D'autres concurrents comme TNT qui emploie déjà 5000 salariés outre-Rhin voient dans les grandes entreprises une manne providentielle. Malgré l'internet, les banques, assurances ou autres continuent d'envoyer en masse par voie postale contrats, informations promotionnelles ou factures.

Mais les concurrents, qui ont réussi à grignoter 10,5% du marché total depuis la libéralisation des plis de plus de 50 grammes, font toujours des pertes. Ils reprochent surtout à l'ancienne société publique (30% de son capital est encore entre les mains de l'Etat) de bénéficier d'avantages qui entravent la libre concurrence.

Le timbre notamment n'est pas soumis à la TVA. Ils n'ont pas digéré surtout le projet de loi qui prévoit d'imposer un salaire horaire minimum pour la branche compris entre 8 euros et 9,80 euros. Actuellement ils paient moins leurs postiers.

La Deutsche Post qui traîne toujours plus 60.000 fonctionnaires paie en revanche nettement plus. 11,43 euros de l'heure pour ceux qu'elle a embauché depuis moins de six ans, plus de 15 euros pour les autres. Et les syndicats évidemment ne veulent pas ouvrir la boite de Pandore. Le SPD les soutient.

L'accord obtenu à l'arraché au sein de la coalition gouvernementale vient d'être avalisé vendredi dernier par le Bundesrat, la chambre haute qui représente les Länder. Reste le Bundestag où la discussion promet d'être animée dans les semaines à venir. D'où la pression renforcée des éditeurs allemands qui entendent bien profiter du quatrième pouvoir pour stopper le projet.

Le gouvernement a certes proposé d'élargir la dispense de TVA à l'ensemble des distributeurs de courrier. Mais les nouveaux entrants sur le marché travaillent souvent avec des sous-traitants ce qui les empêcheraient de profiter à plein de la mesure.

Un dossier délicat pour la Deutsche Post qui justifie ses avantages par son obligation d'offrir un service universel. Néanmoins elle ne peut pas se mettre à dos les éditeurs, également ses clients puisque ces derniers lui apportent quelque 400 millions de chiffre d'affaires annuel, dont entre 40 et 50 millions pour le seul groupe Springer.

Si elle perd du chiffre d'affaires, elle aura forcément aussi trop de monde à bord. Klaus Zumwinkel n'exclut pas de perdre progressivement 20% de volume. "Cela veut dire 20% de travail en moins pour nos 160.000 postiers, donc 32.000 emplois qui sont menacés" a-t-il averti.

Pas étonnant que les investisseurs boudent le titre. Si la libéralisation du courrier entraîne autant de chamboulement que dans les télécommunications, les résultats de la Deutsche Post ne seront pas épargnés. Elle a certes développé ses activités dans l'express et la logistique pour s'affranchir à terme du courrier domestique.

Sa division express cependant continue de souffrir aux Etats-Unis et dans certains pays d'Europe. Et en France comme outre-Atlantique, elle ne s'attend pas à sortir du rouge avant 2009. La Deutsche Post est donc prête à la riposte pour conserver une grosse part du gâteau. Si Springer veut proposer ses services à prix de dumping, elle proposera d'autres produits pour rentabiliser ses structures. Comme un quotidien gratuit.

"Nos postiers ont accès chaque jour à 35 millions de foyers. C'est un potentiel intéressant" estime Klaus Zumwinkel, tout en laissant clairement entendre que le contenu sera laissé toutefois à un professionnel de la presse. La bagarre est lancée. Un test aussi pour la libéralisation du courrier dans les autres pays européens. L'Union européenne a décidé l'ouverture complète des services postaux à la concurrence à compter du 1er janvier 2011 en France et dans onze autres Etats membres.

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