Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la crise des subprime et des CDO sans jamais oser le demander

En décidant d'injecter des liquidités dans le système financier, les banques centrales fournissent un ballon d'oxygène aux banques qui dépendent de leur juridiction. Cependant, leur influence sur l'ensemble de la sphère financière est limitée. Il sera difficile de stopper la contagion à court terme.

La taille de l'intervention des banques centrales la semaine dernière (325 milliards de dollars) et leurs déclarations substantielles ne seront peut-être pas suffisantes pour rassurer les marchés. Chaque crise financière apporte son lot de nouveauté et la grande innovation aujourd'hui est que les germes de la crise actuelle ne sont pas concentrés uniquement dans le bilan des banques mais dispersés dans divers cercles financiers.

Pour comprendre la situation, considérons "John and Mary", ménage américain typique qui a emprunté 150.000 dollars à trente ans en 1995 pour acheter un logement. "John and Mary", qui tous les deux travaillent et ont deux enfants, se sont adressés soit à une banque commerciale, soit à un institut de crédit, comme Countrywide Financial. Une fois accordé, leur emprunt a été regroupé avec d'autres crédits dans un véhicule ad hoc, ce dernier vendant à des investisseurs institutionnels des titres de créances hypothécaires. Cette titrisation a été effectuée avec l'aide d'une banque d'affaires (Goldman Sachs, Lehman Brothers, Bear Stearns...) qui a touché une commission pour ses efforts. De son côté, la banque qui a accordé l'emprunt à "John and Mary" assure tous les mois la perception des intérêts et l'amortissement du principal ; elle les reverse au véhicule de titrisation et perçoit, pour ce service, une commission.

Jusqu'à présent, tout va bien. Pour compenser d'éventuels défauts de paiement, le véhicule ad hoc a été surdimensionné. Il possède une notation attribué par les organismes classiques : Moodys's, Standard and Poor's ou Fitch. Cependant, sa notation globale est le reflet de la moyenne de la notation de chaque crédit accordé. Or, pour séduire divers types d'investisseurs, les banques d'affaires ont inventé le CDO, pour Collateralized Debt Obligation. Il s'agit de prendre le même portefeuille d'emprunts noté globalement BB et de lui assigner 4 tranches de risque.

La première tranche, qui représente 3% du portefeuille, doit en supporter les premières pertes éventuelles. Appelée curieusement "Equity", elle n'est pas notée par les agences de rating. La seconde tranche ("mezzanine") représente 7% de l'encours et possède un rating BBB. Viennent ensuite la tranche "senior" (20%), qui affiche un rating AA, et la tranche "super-senior" (70%) qui est notée AAA, le top du top.

Superbe invention, le CDO a permis aux banques et aux organismes de crédit de distribuer des emprunts à d'autres catégories de ménages : "Tom and Nancy", qui ont du mal chaque mois à joindre les deux bouts, et "Mike and Nina", qui ont entre trente et quarante ans et qui sont convaincus que l'on peut faire fortune dans l'immobilier.

"Tom and Nancy" ne possèdent pas les qualités requises pour obtenir un emprunt mais qu'importe. Les banques ou les organismes de crédit les ont classés dans la catégorie des "subprime", un peu le lumpenprolétariat des emprunteurs. Mais cela n'est pas grave car avec la magie des CDO, on peut transformer des emprunts risqués en obligations AAA de première catégorie. "Tom and Nancy" ont pu emprunter 120.000 dollars en 2003 pour acheter une petite maison de trois pièces.

"Mike and Nina", les spéculateurs, ne possèdent pas, eux non plus, les qualités requises pour obtenir un crédit mais ils sont ambitieux et la première maison qu'ils ont achetée en 2001 pour 200.000 dollars a gagné 50% en moins de deux ans. Grâce à cette appréciation, ils ont pu emprunter d'autres fonds pour acheter une seconde maison, puis une troisième. Leur banque, qui les connaît bien et apprécie leur dynamisme, leur a proposé un prêt intéressant, un "teaser rate". Au début, "Mike and Nina" ne paient que les intérêts de l'emprunt pendant une période de deux à trois ans et repoussent à plus tard l'amortissement du principal. Et s'ils ne peuvent pas payer les intérêts, ce n'est pas grave : l'encours du prêt sera automatiquement augmenté des sommes dues.

Enfin, pour que le portrait des emprunteurs soit complet, il faut mentionner "Luke and Juliet", les voisins de "John and Mary" (même tranche de revenus, même situation socioprofessionnelle, même type de maison et même emprunt de 150.000 dollars). "Luke and Juliet" ont saisi l'opportunité de l'augmentation de la valeur de leur maison pour demander un "secondary mortgage", un second emprunt hypothécaire de 120.000 dollars (2004). Ils l'ont utilisé pour acheter une nouvelle voiture, effectuer des travaux d'embellissement dans leur maison et acheter un "time-sharing" à Hawaï pour passer des vacances.

Voila donc quatre ménages américains typiques, "John and Mary", "Tom and Nancy", "Mike and Nina" et "Luke and Juliet" qui ont emprunté de l'argent pour acquérir de l'immobilier ou autre chose (voiture, travaux, consommation, etc..). Le droit économique de leur emprunt a été finalement repackagé en CDO et distribué à divers investisseurs institutionnels.

Quelle est leur situation en août 2007 ?

"John and Mary" avaient emprunté à taux fixe en 1995. Ils ont pu rembourser par anticipation leur premier emprunt pour en contracter un autre avec un taux d'intérêt moins important. Il leur reste 75.000 dollars à régler.

"Tom and Nancy" sont dans la panade. Les deux survivent à l'aide de petits jobs mais ils n'ont pas pu honorer leur dette et la banque a saisi leur maison et les a expulsés.

"Mike and Nina" ont perdu le sommeil. Ils pensaient faire fortune dans l'immobilier mais la brusque chute de la valeur de leur actif ne leur permet plus de spéculer. Ils possèdent trois maisons qui peuvent valoir 500.000 dollars s'ils réussissent à les vendre mais le marché est difficile. Leur endettement totalise 750.000 dollars. Leur banquier, qui était tout miel et sirop l'année dernière, les menace de faillite.

"Luke and Juliet" ont consolidé leurs deux emprunts dans un seul mais ils doivent 185.000 dollars à la banque. Heureusement, leur logement vaut entre 250.000 et 300.000 dollars et ils ont chacun un bon job.

Sur les quatre ménages, deux sont en difficulté et cela s'est répercuté sur la valeur des CDO correspondant à leurs emprunts. Et malheureusement, le mécanisme de tranches de risque qui devaient protéger les investisseurs institutionnels les moins friands de risque n'a pas fonctionné. La valeur du papier qui était noté l'équivalent de AAA par les organismes de crédit a fortement diminué et elle a affecté par contagion les CDO de première catégorie, correspondant aux ménages sérieux ("John and Mary" et "Luke and Juliet").

Cette valeur est difficile à évaluer, comme l'indique si bien le communiqué de BNP Paribas concernant ses trois fonds : "La disparition de toute transaction sur certains segments du marché de la titrisation aux Etats-Unis conduit à une absence de prix de référence et à une illiquidité quasi-totale des actifs figurant dans les portefeuilles des fonds quelles que soient leur qualité ou leur rating. Cette situation ne permet plus d'établir une juste valorisation des actifs sous-jacents et donc de calculer une valeur liquidative" pour les trois fonds".

Pour simplifier, disons que BNP Paribas ne peut pas évaluer la valeur de liquidative de ses trois fonds mais cela ne veut pas dire que les actifs de ces fonds ne sont pas de bonne qualité. BNP Paribas, comme d'autres acteurs de la gestion, est victime de la panique et de la contagion actuelles.

L'intervention des banques centrales va-t-elle arranger la situation ?

Peut-être à la marge pour les banques qui portent des CDO dans leur bilan, surtout les grandes maisons de titres américaines mais les fonds, ou les compagnies d'assurances, qui ont investi dans les CDO subprime devront supporter des pertes.

Les dommages collatéraux se font déjà sentir. 1/ la contagion s'est propagé à d'autres types de crédit (LBO notamment). 2/ il est plus difficile pour des emprunteurs de première catégorie de se financer sur les marchés du crédit (le coût du risque a vivement augmenté). 3/ le flot de nouveaux deals a diminué. Voilà qui augure mal de l'allure boursière des titres financiers à court terme.

Cependant, toute crise financière apporte son lot de bonnes affaires à ceux qui ont su conserver la tête froide, mais il est peut-être un peu trop tôt pour faire les soldes. Peter Lynch, le célèbre ancien gérant de Fidelity, avait coutume de dire qu'il ne faut jamais essayer d'attraper au vol un couteau qui tombe. Il faut attendre que la lame soit stabilisée au sol pour ne pas se couper. Aujourd'hui, la crise des subprime n'a pas atteint son niveau plancher.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.