Pavane pour un absent défunt

Le premier opéra du compositeur contemporain Jacques Lenot prend pour livret une pièce de Jean-Luc Lagarce. Esthétique de l'attente.

A Genève, Jacques Lenot, compositeur autodidacte inspiré par ses rencontres avec Boulez, Stockhausen ou encore Ligeti, vient de créer son premier opéra. "J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne" s'inspire de la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce, mort en 1995 et dont on célèbre cette année le cinquantenaire de la naissance.

Dans ce titre en apparence énigmatique figurent les éléments qui font la trame de l'oeuvre: cinq femmes (La plus vieille, la Mère, l'Aînée, la Seconde et La Plus jeune) sont dans une maison et attendent le retour d'un homme (fils, frère...). L'attente se prolonge, jusqu'à l'évocation de sa mort. Chacune tente alors d'approcher le cadavre dans son placard, évoquant l'une son secret, l'autre son histoire.

L'absent, ici, ne s'appelle pas Godot, et les cinq femmes ne sont pas (seulement) "trois soeurs", mais de l'aveu même de Jacques Lenot, Beckett et Tchekhov ne sont jamais très loin, dans cette évocation, à la fois grave et dérisoire, du temps qui passe.

Sur scène, les voix des cinq chanteuses, de la profondeur incroyable de la mezzo-soprano Nadine Denize à la clarté de la jeune soprano colorature Teodora Gheorghiu, s'entremêlent, comme suspendues. Une unicité démentie par la lumière, qui vient quant à elle souligner à la manière d'un Edward Hopper, la solitude et l'introspection de chacune.

La mise en scène de Christophe Perton est discrète, s'en tenant à quelques déplacements des personnages et de panneaux à coulisse, représentant les murs intérieurs d'une maison. Mais elle organise très finement l'espace, en cohérence avec les neufs tableaux musicaux qui, du piano solo à l'orchestre, en passant par la musique de chambre, ont chacun leur couleur et leur sonorité propre. Le tout est dirigé par Daniel Kawka, dont le "souci particulier de précision et d'invention dans la découverte sonore" qui a tant séduit Jacques Lenot est effectivement remarquable. On en vient presque à regretter que la partition instrumentale ne soit pas plus importante.

Dans cette esthétique de l'attente, certains s'ennuieront, d'autres se sentiront dérangés, mais gageons que la majorité se laissera aller à la réflexion que cette prosodie inhabituelle entraîne.


"J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne", opéra de Jacques Lenot. Au Grand Théâtre de Genève ce 31 janvier et les 2, 4, 6 et 9 février. www.geneveopera.ch, tél: 0041 22 418 31 30.

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