Un jugement jette une lumière crue sur les projets de ventes d'armes françaises à la Libye

Un intermédiaire de haut niveau a engagé une action en justice pour récupérer des commissions pour ses prétendus services dans un contrat franco-libyen. Une des suites de ce contrat figure dans les accords commerciaux conclus à l'issue de la visite en France de Mouammar Kadhafi.

C'est une affaire peu banale que de voir un intermédiaire dans les marchés d'armement attaquer en justice une société publique pour réclamer des commissions. C'est pourtant ce que tente Roger Tamraz, un des principaux intermédiaires mondiaux sur les marchés d'armes et de pétrole, en s'en prenant à la Sofema, l'office français d'exportation d'armement.

L'affaire est d'autant moins banale qu'elle concerne un contrat entre la France et la Libye de remise en état de Mirages F1, dont une suite figure dans le "mémorandum sur la coopération en matière d'armement" conclu entre la France et la Libye, à l'issue de la récente visite de Mouammar Kadhafi à Paris.

Ce litige, qui porte un coup de projecteur cru sur les ventes d'armes entre la France et la Libye, a franchi une étape importante. Latribune.fr est en mesure de révéler que le Tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de Roger Tamraz, qui réclamait le paiement de 9 millions d'euros de commission à la Sofema. Dans une ordonnance de référé, rendue le 12 septembre 2007, le tribunal considère que la SA Seagaz, dont Roger Tamraz est le représentant légal dans cette affaire, "n'apporte pas de précisions sur la nature des services prétendument rendus, qu'elle ne rapporte pas la preuve qu'ils ont été rendus (...) que la SA Seagaz n'apporte pas davantage de précisions sur l'intervention de la SA Sofema dans le contrat qui devait intervenir avec Dassault (...) que le contrat entre le gouvernement libyen et Dassault (...) est suspendu". Moyennant quoi, la justice commerciale déboute Seagaz de son référé.

L'affaire n'est pas close pour autant. "Mon client Roger Tamraz se réserve tous moyens d'action au fond dans ce dossier", indique Maître Lacoeuilhe, avocat de Seagaz. En effet, dans un référé, procédure d'urgence, le juge du référé ne se prononce pas sur le fond du litige. Le juge du fond peut prendre une décision contraire.

Roger Tamraz ne renonce jamais. Cet homme mystérieux est la clé d'entrée pour les plus obscures transactions du commerce international des armes et du pétrole. Il apparaît comme le représentant légal de Seagaz, société basée à Agno, agréable cité du canton de Tessin (Suisse). Ce libano-américain, diplômé d'Harvard, se rendra célèbre pour un financement controversé de la campagne de Bill Clinton. Il reconnaîtra des rapports étroits avec le renseignement américain et sera recherché un temps par Interpol. Après avoir crée et dirigé plusieurs banques, mené de multiples affaires, il fonde Tamoil, une importante société de raffinage et de distribution de pétrole. Il revendra cette affaire à la Libye en 1985 pour 375 millions de dollars qui la cédera en juin 2007 au fond Colony Capital. Autant dire qu'il entretient des relations étroites avec les milieux dirigeants libyens.

C'est à ce titre qu'il aurait été missionné par le dirigeant de la Sofema, le général Norlain, pour faciliter la signature d'un contrat de remise en état de 12 mirages F1 libyens. Ces mirages, vendus par Dassault dans les années 70, se sont dégradés au cours de la période d'embargo frappant la Libye. Sofema devait assurer la coordination des interventions des industriels Dassault, Snecma (groupe Safran) et Thales.

La transaction devait s'élever à une centaine de millions d'euros. Avec des commissions à la clé dont le montant aurait atteint 15 millions d'euros. Les discussions n'auraient pas été simples à conclure. La Tribune (30 juin 2005) avait signalé la bataille d'intermédiaires qui se déroulait alors à Tripoli. Cependant, à l'occasion du salon aéronautique de Tripoli Lavex, le 4 au 6 décembre 2006, la Libye annonçait ce contrat. Toutefois, aucun accord financier n'était établi entre la Sofema et la Libye.

Las, quelques mois plus tard, au cours de l'été 2007, juste après les élections présidentielles françaises, la Libye dénonçait son contrat avec la Sofema. Curieusement, un nouveau contrat pour le même objet était signé entre le régime libyen et Dassault, il y a un peu plus d'un mois. Pour simplifier les choses, le groupement Astrac (Assocation Sagem Thales pour le Retrofit des Avions de Combat) se battait sur une proposition de mise en état de combat, et plus simplement de vol, de ces fameux mirages F1. Puis, dans le cadre d'un "mémorandum sur la coopération en matière d'armement", pour lequel la Libye a entamé avec la France des "négociations exclusives", dans le cadre de contrats d'Etat à Etat, figure la remise en état de 17 chasseurs Mirage F1.

Une partie des commissions en cause dans le contrat Sofema-Libye se serait envolée dans la nature, déclenchant la colère de Mouammar Kadhafi qui se serait abattue sur la tête de quatre colonels. C'est dans ce contexte épicé qu'intervient Roger Tamraz pour récupérer ses commissions.

La nervosité des acteurs est en tout cas extrême, après le premier round remporté par la Sofema. Avant la visite de Mouammar Kadhafi en France, des proches de Roger Tamraz insistait sur son pouvoir de bloquer des contrats entre la France et la Libye. Côté français, on ironise sur la perte d'influence de l'intermédiaire. On souligne benoîtement que Roger Tamraz serait bien inspiré de ne pas poursuivre l'affaire car alors il lui faudrait apporter des preuves de paiement de commissions et s'exposer ainsi à des actions pour "corruption". Bref, l'affaire n'en est qu'à ses débuts. On n'a pas fini de parler de mirages dans le désert libyen ...

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