Robert Mundell : "si la croissance doit chuter aussi dans la zone euro, la BCE devrait baisser ses taux"

A la veille des réunions cruciales de la BCE ce jeudi et mardi prochain de la Federal Reserve américaine, La Tribune s'en est entretenue avec Robert Mundell, professeur à Columbia University et Prix Nobel d'économie (1999) notamment pour sa recherche sur les zones monétaires. Il évoque aussi le rôle de la monnaie chinoise et celui de l'euro comme monnaie de référence concurrente du dollar.

La Tribune: Qu'est-ce-qui pourrait arrêter la chute du dollar face à l'euro ?

Je crois qu'une croissance solide aux Etats-Unis et plus faible en Europe devraient suffire à enrayer cette baisse du dollar. La monnaie américaine se renforce quand l'économie des Etats-Unis est plus forte et le dollar s'affaiblit quand l'économie américaine est faible. Le taux de change est favorable aux Etats-Unis qui ont besoin d'exporter plus

La Tribune : Mais actuellement on évoque plutôt le risque d'une récession aux Etats-Unis...

Au troisième trimestre, la croissance américaine a été en rythme annuel de 4,9 %. Le dernier trimestre et le premier de 2008 seront faibles et il est donc tout à fait possible que le dollar s'affaiblisse un peu plus. Je pense que la Federal Reserve (banque centrale américaine, NDLR) abaissera ses taux directeurs lors de sa réunion du 11 décembre prochain et cela détériorera un peu plus la position du dollar face à l'euro à moins que la Banque centrale européenne (BCE) fasse, au moins en partie, comme la Fed et baisse ses taux. Si la croissance doit chuter aussi dans la zone euro, ce ne serait pas une mauvaise idée d'abaisser un peu les taux d'intérêts de la BCE et risquer un peu d'inflation pour maintenir la croissance

La Tribune : Que doit faire la BCE pour résoudre ce problème du dollar faible ?

Elle devrait placer un niveau plafond de l'euro face au dollar. Par exemple, étant actuellement environ à 1,47 dollar pour un euro, la BCE devrait dire que quoiqu'il advienne 1,5 dollar est son taux de change plafond et qu'elle est prête à ajouter des dollars à ses réserves. L'Europe peut se permettre d'avoir plus de réserves monétaires, la Chine en a deux fois plus qu'elle.

La Tribune : La BCE devrait donc intervenir sur le marché...

S'il y a une intervention elle doit être différente de celle lancée en 2000 pour soutenir l'euro qui tombait en dessous de 0,85 dollar quand les banques centrales se sont contentées de jeter des dollars sur le marché puis ont attendu l'effet sur les changes. On ne peut gagner à ce jeu-là : il faut fixer un taux de change et le défendre, que ce soit un minimum de 0,85 dollar ou un maximum que la BCE se fixerait. Si vous choisissez le taux plafond de 1,5 dollar pour un euro, l'euro n'irait pas au-dessus car celui le spéculateur dépassant ce seuil serait immédiatement puni.

La BCE peut elle-même le faire avec ses réserves mais avec un effort conjoint des pays du G7 serait plus crédible car une intervention concertée est meilleure qu'une isolée mais nécessite un certain accord. Il faudrait certes que les Etats-Unis jouent ce jeu mais je crois qu'ils le feraient, ils l'ont déjà fait en 2000 pour soutenir l'euro faible.

Certes, cela changerait le mode d'action de la BCE car elle continue à agir comme si le taux de change n'était pas important. Mais chacun sait que le taux de change est d'importance, notamment pour l'inflation.

La Tribune : Quel serait l'implication des Etats-membres de la zone euro, les grandes orientations de la politique de taux de change étant de leur compétence ?

Juridiquement oui c'est un dossier pour les gouvernements pas pour la banque centrale. Il faudrait donc qu'une réunion de l'ECOFIN, à laquelle participerait la BCE, soutienne une telle intervention. Cette question se posera quand la Fed aura baissé ses taux : le Premier Ministre portugais présidant le Conseil européen devra convoquer une réunion à ce sujet

La Tribune: La zone euro ne pêche-t-elle pas sur ces questions par son manque d'union politique entre ses pays-membres?

Il y a en effet un thème qui apparaitrait lors d'une telle réunion de l'Ecofin : l'économie allemande est dans une très bonne situation avec des exportations très fortes et un chômage au plus bas depuis quatorze ans, c'est toujours assez élevé pour les standards des Etats-Unis mais bas pour ceux de l'Allemagne. Lors d'un vote de l'Ecofin, l'Allemagne pourrait refuser un taux de l'argent plus favorable et dire qu'elle peut se permettre un dollar faible. Les Etats-membres de la zone euro seraient ainsi divisés alors qu'ils essaient de trouver un consensus sur cette question de l'euro.

La situation ressemble à celle de 1992 avec une forte économie allemande gonflée par de grandes dépenses budgétaires en ex-RDA et hissant le deutschemark au plus haut et les autres monnaies européennes avec lui. Aujourd'hui la zone euro n'explosera pas comme avait volé en éclat l'EMU. Il faut partager la politique monétaire tout comme en 1992 avec une attitude plus souple en Allemagne sur les taux d'intérêts permettant plus de sûreté pour la zone euro.

La Tribune : Sommes-nous au tournant de l'euro devenant la monnaie de référence et va se substituer au dollar comme monnaie mondiale ?

C'est prématuré. Les réserves mondiales de change sont de 4,5 trillions, et les deux tiers sont libellées en dollar. Que cela plaise ou non, le dollar maintiendra sa position sur la scène mondiale encore pour un certain temps. Les pays exportateurs de pétrole continueront leurs échanges en dollars en partie pour des raisons économiques et en partie politiques. Il faudrait un fort intérêt économique pour que l'Arabie saoudite, l'acteur principal dans ce jeu, passe du dollar à l'euro, ou bien un grand désaccord entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis. Mais je ne crois pas qu'ils le feraient pour des raisons économiques. Les monnaies de ces pays sont toutes indexées sur le dollar.

La Tribune : La faiblesse de la monnaie chinoise, le yuan, est aussi très critiquée.

Pour des raisons politiques la Chine ne passera pas rapidement à la convertibilité de sa monnaie. Ainsi ils peuvent se tailler une position d'exportations de capitaux (capital export position) qui est sous le contrôle du gouvernement. Passant à la convertibilité de leur monnaie, les Chinois auraient là aussi une "capital export position" mais le gouvernement en perdrait le contrôle.

Il n'y aura pas beaucoup de changement : la politique chinoise de change actuelle va se poursuivre avec une légère appréciation face au dollar. Les Chinois font comme les Etats-Unis entre 1934 et 1975 quand ils empêchaient les Américains de détenir de l'or. Ou comme les Européens durant les trente années après la seconde guerre mondiale quand la plupart des monnaies européennes n'étaient pas convertibles.

La Tribune : Voyez-vous vous un risque de "stagflation" aux Etats-Unis, comme dans les années 1970 ?

C'est possible. Et il faudrait changer le "policy mix" tout comme entre 1980 et 1984 quand l'inflation avait été abaissée de 13 % à 4 %. C'est pourquoi les Etats-Unis doivent baisser les impôts.

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