Plusieurs questions pertinentes sur la fraude à la Société Générale

La fraude massive de la Société Générale a prouvé que son contrôle des risques et son contrôle des inventaires étaient défectueux. Ce sont là les deux contrôles qui permettent de discerner les situations anormales. Le rapport Lagarde a omis de recommander deux semaines consécutives de vacances obligatoires, comme on le fait dans les grandes banques anglo-saxonnes.

Pour éviter les défaillances humaines et le cas d'un trader imaginatif, voire trop créatif, deux contrôles sont extrêmement importants dans les banques actives sur les marchés comme la Société Générale : le contrôle des risques et le contrôle d'inventaire. Pour le contrôle d'inventaire, il s'agit de savoir si les engagements reçus ou souscrits par un trader sont connus de la banque.

Pour le contrôle des risques, il s'agit de déterminer, lorsque l'inventaire est réalisé, si le risque réside dans les limites autorisées par la banque : que va-t-il se passer si tel indice, tel panier d'action ou telle position évolue de 5%, 10%, 20% par rapport à sa volatilité historique. Précisons qu'une telle mesure est incapable de prendre en compte un événement extraordinaire, un "black swan" selon le nouveau jargon des milieux financiers (La Tribune du 6 février).

Or, pour cadrer convenablement l'activité d'un trader, il faut assurer les deux contrôles. Précisons qu'en matière de gestion d'OPCVM, le contrôle d'inventaire revient au dépositaire, le contrôle des risques revient à la société de gestion. En pratique, le contrôle d'inventaire se fait de la façon suivante: le trader traite ses opérations dans la journée, et entre dans l'ordinateur les caractéristiques des opérations traitées. En fin de journée, le back office rapproche, ou réconcilie si on préfère cet anglicisme, les écritures saisies par le trader des confirmations reçues par les contreparties.

En cas d'écarts ("discrepencies"), il doit y avoir une alarme. Il semble que Jérôme Kerviel ait réussi à falsifier l'inventaire lorsque le contrôleur des risques évaluait la position, et à faire en sorte que cette falsification ne soit pas décelée par le back office. Cela ne peut se faire que s'il existe un grave disfonctionnement dans les méthodes de travail.

Par exemple, il se peut qu'il y ait deux bases de données de positions, l'une pour le contrôle des risques, l'autre pour la comptabilité de la banque. Cela était courant autrefois, mais pour des spécialistes du back-office, cela parait incroyable qu'une telle formule existe encore maintenant. De nombreux éditeurs de logiciel (Hyperion, Cartesis) ont créé des solutions permettant d'avoir une "seule vision de la vérité".

Cependant, il se peut aussi que le trader malhonnête ait réussi à créer sa position fictive juste avant l'édition des états de contrôle des risques, pour l'annuler après, de sorte que l'état de contrôle des positions ressorte juste. Il se serait placé ainsi dans la position d'un prisonnier, gardien de sa propre prison.

Pouvait-on avoir des indications avec la position de trésorerie ? Pour toutes opérations sur les marchés de futures organisés, on demande un déposit même si la société a du crédit (3.500 euros par contrat sur l'indice CAC 40 et à peu près la même chose sur l'Eurex). Si Jérôme Kerviel avait en jeu 50 milliards d'euros, cela correspond à 1,1 million de contrat sur le CAC 40 et donc une sortie de trésorerie pour les déposits de l'ordre de 4 milliards d'euros.

De plus, à chaque fois que l'indice sous-jacent fluctuait de 1%, il y avait variation de trésorerie de 500 millions d'euros, ou de 50 millions d'euros pour une variation de 0,10%. On peut donc se demander si quelqu'un à la Société Générale contrôlait la position de trésorerie ? Certes, mais si un trader de la Société Générale a une position longue en actions et short en futures, la banque ne doit pas forcément payer un déposit si un autre trader (Jérôme Kerviel par exemple) prend une position inverse. La banque gère donc une position de trésorerie globale mais un contrôle bien organisé supposerait l'existence d'un bon outil permettant de pénétrer au-delà du netting des positions en interne. Un outil disposant d'une bonne granularité pour savoir qui fait quoi, à quel moment et avec qui.

Pouvait-on avoir une idée de la fraude avec les courtages ou les volumes ? Il existe toujours une commission d'intermédiation à verser aux marchés organisés. Sur ce point précis, les alertes auraient dû fonctionner, compte tenu du nombre de contrats négociés par Jérôme Kerviel.

Il ne faut pas confondre avec les courtages versés aux maisons de titres pour les transactions de gré à gré. Ces dernières sont déterminés par la hiérarchie et un trader n'a pas de marge de manoeuvre. Bien sûr, le problème classique du trader qui se fait payer par les courtiers existe, mais ne me semble pas être le sujet de Jérôme Kerviel.

Ce fut le cas d'une banque de la place dans les années 95 : un chef de table a détourné des millions de francs pendant des années, en touchant des rétrocommissions de la part d'intermédiaires véreux. Il a été découvert par l'inspection de l'établissement (qui a fait l'objet par la suite d'une OPA amicale d'un de ses grands actionnaires). Curieusement, il n'a jamais été condamné. Quant aux volumes traités, ils ne veulent pas dire grand chose. On peut gagner ou perdre beaucoup d'argent dans de petits volumes ou dans de gros.

Autres questions pertinentes : le "blotter" de Jérôme Kerviel, c'est-à-dire son tableur Excel personnel ou son journal de ses activités de la journée, était-il pointé (réconcilié pour l'anglicisme) tous les soirs avec : 1) les tickets pour le back office, et 2) les entrées informatiques ? Et avait-il accès, de son poste, aux écritures de la banque ? Qui recevait la liste exhaustive quotidienne des opérations envoyée systématiquement à la banque par la chambre de compensation des marchés de futures ?

Enfin, le rapport Lagarde a omis de recommander une pratique courante dans les grandes banques anglo-saxonnes: les deux semaines de congés consécutives obligatoires. L'idée est qu'il n'est pas possible de masquer une fraude au cours d'une période de quinze jours. Fallait-il envoyer Jérôme Kerviel à Deauville chez Partouche pour qu'il s'essaye à diverses martingales ?

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