Une approche long-terme guidera-t-elle la gouvernance d'entreprise ?

Un effet positif de la crise financière sera le retour de l'approche long terme dans la définition de la stratégie par le conseil d'administration et la fixation des objectifs aux opérationnels. Les dirigeants d'entreprise, les analystes financiers, les agences de notation et les acteurs malheureux des marchés financiers devront "tourner le dos" au court-termisme ambiant. Le point de vue de Jean-Aymon MASSIE, Président de l'Association française de gouvernement d'entreprises (AFGE).

Le court-termisme ambiant n'a fait que généré une course effrénée à la performance immédiate, au mépris des risques pris, à la production d'une ingénierie financière démesurée, à la recherche de bonus de plus en plus élevés. Il a conduit finalement à une crise de liquidités aux effets désastreux sur l'économie réelle et à une grave crise de confiance dans les émetteurs du secteur bancaire.

L'abandon du court-termisme devrait s'accompagner d'une révision du rôle des agences de notation discréditées par leur conflit d'intérêts, du rejet des leaders d'opinion des marchés financiers, de la contestation des programmes répétitifs de rachat d'actions restituant en définitive peu de valeur durable aux actionnaires. Il devrait provoquer la critique de la compétition forcenée des "fund managers" et des trésoriers d'entreprise aveuglés par de gros bonus de fin d'année, la remise en cause de la légitimité des programmes de stock options, et la dénonciation des conflits d'intérêts conduisant parfois à des délits d'initiés obsédés par un profit à court terme au détriment de la pérennité de l'entreprise.

La crise du secteur bancaire américain et européen est née de la titrisation de créances hypothécaires douteuses sur les ménages américains surendettés, de la dispersion des risques et de la responsabilité fiduciaire au mépris des acheteurs finaux mal informés de ces produits monétaires dynamiques.

Il faut s'attendre à la colère des gens en bout de chaîne, qui ont été abusés : les retraités, les petits épargnants, les trésoriers de PME, de modestes institutions démunies de moyens pour se défendre, sauf à se regrouper et à engager une action collective, une "securities class action". Les premières actions collectives en Europe pourraient survenir au cours du IIème trimestre 2008, au moment des assemblées des sociétés.

La crise financière a pour effet la perte de confiance de la plupart des investisseurs dans la responsabilité fiduciaire des banques et un grave risque de réputation, dont les effets pourraient être durables. L'abandon par ces établissements financiers de leur traditionnelle gestion prudentielle au profit du rendement élevé, la surenchère dans l'innovation financière pour réaliser de rapides profits, au mépris des risques accrus, ont révélé soudainement les travers de cette gestion court-termiste.

Le retournement de cycle, à la fois de conjoncture et de taux d'intérêts, pourrait provoquer cette prise de conscience que dorénavant doit être adoptée une approche long terme pour guider la gouvernance de l'entreprise, et assurer sa pérennité. Une profonde mutation des entreprises dans l'espace économique européen en résulterait progressivement : réhabilitation des plans long terme et des objectifs pluri annuels, reprise des investissements industriels et de R&D, primauté donnée au facteur humain sur les considérations économiques et financières. La révision de la communication financière devrait se traduire par l'abandon des contraignantes publications trimestrielles et des "road show" médiatiques au profit d'un dialogue étroit et régulier avec les actionnaires significatifs sur les axes stratégiques retenus, la nature des risques et leur contrôle, la responsabilité sociétale et le développement durable de l'entreprise.

Cette mutation de l'entreprise permettra l'émergence d'un nouveau management, d'une nouvelle répartition des rôles et responsabilités dans l'entreprise, favorisant l'initiative et la responsabilité individuelle pour permettre aux opérationnels de réagir rapidement aux opportunités de marché et à la concurrence, dans le cadre des objectifs globaux et de la stratégie fixés par le conseil d'administration. Les administrateurs devront rendre compte plus concrètement des résultats obtenus aux actionnaires, qui les ont élus.

Autre effet positif de la crise financière, les actionnaires apporteront plus d'attention dans l'appréciation de la stratégie inscrite dans une vision long terme. Ils deviendront de plus en plus exigeants sous l'impulsion des fonds activistes, hedge funds et private equity renforcés par les apports des fonds souverains des pays arabes et des BRIC, directement ou indirectement investis dans les entreprises européennes.

Ces nouveaux acteurs, hedge funds et private equity, devraient à notre avis animer les marchés financiers durant les prochains mois à cause de la paralysie du secteur banque-assurance empêtré dans l'évaluation comptable selon les normes IFRS de leurs actifs à haut risque. La crise financière aura bien pour effet positif le retour d'un approche long terme pour guider la gouvernance, et également l'accélération de cette mutation des entreprises, que nous avons annoncée dans La Lettre de l'AFGE. Après le passage du "tsunami" il faudra bien reconstruire un secteur bancaire, plus régulé, performant et fiable ; ayons confiance dans l'avenir.

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