Pourquoi les Britanniques ne sont pas dans la rue

Le contraste est saisissant. En France, une "réformette" (vu de Londres) provoque des semaines de manifestations. En Grande-Bretagne, des coupes budgétaires sanglantes ne font pas réagir.
Mégaphone cherche manifestant britannique désespérément

Depuis quelques jours, les médias britanniques me sont tombés dessus. Tous veulent savoir la même chose: mais pourquoi les Français sont-ils si en colère, alors que la réforme des retraites est franchement très limitée (l'âge de la retraite va passer à 66 ans en 2020 en Grande-Bretagne)? Et dans le même temps, les coupes budgétaires britanniques n'ont provoqué pratiquement aucun mouvement de foule, alors qu'elles sont sans précédent. Le contraste est frappant, et symbolique de la profonde différence entre les deux pays. (A ce propos, ne croyez pas les images de manifestations britanniques diffusées sur les chaînes de télévision française: ces manifestations ont eu lieu, mais elles étaient ultra-minoritaires).

J'étais ce matin à Sky News pour en parler. La maquilleuse riait: "une retraite à 62 ans, franchement, ça me fait rêver!" La veille, la BBC world service m'avait invité à un débat avec un journaliste irlandais, qui remettait tout le monde à l'heure: "nous en sommes déjà à notre troisième plan de rigueur et il n'y a guère eu de manifestations. Les gens sont fatigués de ces coupes, mais ils ne sont pas dans la rue." Et mardi, sur Newsnight, le journal phare du soir de la BBC, j'ai tenté d'expliquer la profonde différence culturelle entre les deux pays. (L'émission se trouve ici, le reportage commençant à la 23ème minute environ.)

L'une des principales différences est la couverture médiatique. Alors que les médias français apportent souvent le point de vue des grévistes, ceux britanniques, à chaque grève, mettent en avant le point de vue des usagers: les difficultés de la famille Smith qui a dû annuler son voyage prévu depuis des mois ou les péripéties de Mr. Williams, qui a dû prendre trois bus pour se rendre à son travail, laissent les grévistes quasiment sans droit de cité.

Dans Newsnight, Brendan Barber, le secrétaire général du Trade Union Congress, la principale confédération syndicale, le reconnaît: dans une telle atmosphère, impossible de lancer de grandes grèves. Il lui faut d'abord gagner la sympathie du grand public. Et pour l'instant, ce n'est pas vraiment le cas. La majorité des Britanniques pensent que les coupes sont inévitables (58% le pensent, 29% pensent le contraire). Ils sont un peu plus divisés cependant sur la vitesse des coupes: 41% pensent que cela va à la bonne vitesse, et 44% pensent qu'elles sont trop rapides.

Pourquoi un tel fatalisme? L'explication remonte aux grandes grèves des années 1970 et 1980. A l'époque, les Britanniques ont vécu des conflits sociaux d'antologie. La "semaine des trois jours" s'était imposée lors de la grève des mineurs, le manque de charbon forçant la fermeture des centrales électriques et donc des usines. Dans cette situation, Margaret Thatcher a passé deux lois, qui ont tout changé: une grève de solidarité est désormais interdite (les dockers ne peuvent pas descendre dans la rue pour soutenir les postiers, par exemple); une grève doit être votée à bulletins secrets, et annoncée au moins sept jours à l'avance. La Dame de Fer a aussi affronté, avec l'aide de la police, la grève des mineurs et celle des imprimeries (qui ont chacune duré plus d'un an) et les syndicats ne se sont jamais remis de leur défaite.

Depuis, les grèves ne sont pas populaires. Les médias rappellent régulièrement le poids incroyable qu'avaient les syndicats dans les années 1970, en parlant comme d'un fléau qui pesait sur le pays. Les grévistes de l'époque sont allés trop loin, et les syndicats en paient encore le prix aujourd'hui. Cela peut servir d'avertissement aux syndicats français.

De plus, il faut rappeler un autre phénomène, inquiétant pour les syndicats français: le nombre de syndiqués en France est nettement inférieur à celui du Royaume-Uni. Selon l'OCDE, il est plus de trois fois inférieurs. Les grandes grèves sont peut-être populaires en France, à en croire les sondages, mais elles ne mobilisent qu'une petite partie des salariés du pays. L'absence de dialogue avec le pouvoir, que ce soit l'Elysée ou le patronat, y est beaucoup plus criante qu'en Grande-Bretagne. De ce côté de la Manche, les syndicats ont d'intéressants réussites: la non-fermeture récente d'une usine de Land Rover est un excellent exemple. Cela n'a été possible que grâce à des baisses de salaires, mais des milliers d'emplois ont été sauvegardés. Les syndicats ne sont peut-être pas dans la rue, mais ils ne sont pas inactifs.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.