Le courage, fait femme

Dans l'Etat d'Hidalgo, l'une des régions les plus pauvres du Mexique, le projet El Alberto, porté notamment par Danone Communities, doit sa réussite à la détermination d'une femme au parcours exceptionnel. Xochiti Galvez Ruiz, une indigène que rien ne prédestinait à devenir l'un des 100 leaders mondiaux de demain.
Xochiti Galvez Ruiz

Rencontrer Xochiti, c'est un peu comme croiser le soleil en pleine nuit, entrer en contact avec une comète, une boule de feu, d'énergie que rien ne peut arrêter. « Baisser les bras, pourquoi faire ? » répond-elle dans un éclat de rire.

Aujourd'hui, c'est elle qui pilote, avec l'équipe de Danone Communities, le projet d'entrepreneuriat social El Alberto qui vise à fournir en eau potable les 130 000 habitants de l'Etat d'Hidalgo, situé au centre du Mexique, l'une des régions les plus arides et les plus pauvres du pays. Elle se bat au quotidien pour que le berceau de son enfance ait un avenir. Et qu'entre montagnes et vallée de la mort, à 3 heures de route au nord de Mexico (comptez 4 à 6 heures avec les embouteillages), la vallée de Mezquital ne soit pas seulement le chemin de ces migrants dont la majorité tombe au champ de la migration.

Un destin hors du commun

Xochiti est née le 22 février 1963, à Tepatepec, l'un de ces villages aux maisons de béton, toit de tôle ondulée où l'on manque de tout, en premier lieu, d'eau potable et d'électricité. La terre ici est poussière, incultivable. Seules les femmes arrivent à tisser quelques fibres des cactus pour en faire de la broderie ; pour le reste, de rares chèvres et moutons s'échinent à trouver un brin de végétal à brouter.

D'origine Otomi, une tribu indigène, Xochiti était vouée à une vie de peu ; rien ne la destinait à étudier, à devenir ministre. Et plus encore à être identifiée par le Forum de Davos comme l'un des 100 leaders du monde de demain.

Pour changer le cours de son destin, elle s'est battue dés le plus jeune âge contre tous. Et en premier lieu, son père. Traditionaliste, lui ne voyait pas l'intérêt d'éduquer une fille ; ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'il reconnaîtra ses talents et l'encouragera à poursuivre sur la voie des sommets. En attendant, à dix ans, pour obtenir le droit d'aller à l'école et ne pas être cantonnée toute sa vie à concocter des bonbons pour les vendre sur le marché avec sa mère, c'est avec sa complicité, en déjouant la sévérité de son père, qu'elle part s'installer chez un oncle dans une ville de l'Etat. A Mixquiahuala, elle s'inscrit à l'école primaire et puis au collège et au lycée. La seule condition pour endormir la vigilance paternelle ? Envoyer de l'argent à sa famille. Résultat : après l'école, Xochiti continue à vendre des bonbons. Déjà astucieuse, elle a l'idée d'ajouter des colorants à ses préparations pour mieux les commercialiser et ainsi empocher plus d'argent. Tout le monde est satisfait ; Xochiti a la paix, son père n'y voit que du feu. Cela se corse après le lycée, lorsqu'elle est la première fille de l'Etat d'Hidalgo d'origine indigène à décrocher une bourse pour étudier le génie en informatique, à l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Autant dire que son père voit rouge à l'idée que sa fille s'installe à Mexico mais Xochiti ne cille pas. Elle travaille deux fois (dix fois) plus que les autres pour réussir, tout en continuant bien sûr à vendre des bonbons. Résultat : à la sortie de l'université, Xochiti devient la première programmatrice mexicaine capable de réaliser des projets informatiques pour les plus grandes entreprises installées dans la capitale dont ceux du prestigieux Mexico World Trade Center. Adieu les bonbons, la jeune diplômée peut désormais s'engager totalement dans sa carrière, elle multiplie les expériences, part en stage à l'étranger, aux Etats-Unis notamment. Mais, loin de se satisfaire de sa réussite, son père la harcèle pour qu'elle se marie à l'homme qu'il lui a choisi. Xochiti finit par céder. Ce mariage forcé ne dure que neuf mois, Xochiti n'est pas femme qu'on emprisonne ; désormais entre la fille et le père, la paix s'instaure. Elle est libérée de son autorité. Et celle de ce premier mari qui a  très vite compris qu'il ne pourrait la contraindre. Xochiti fonde sa propre société de conseil High Tech Services, spécialisée dans les projets de haute technologie, la conception de bâtiments intelligents et les économies d'énergie. Dés 1995, elle reçoit le prix de la femme d'affaires de l'année et le magazine Business Week la nomme en 2000 parmi les 25 latino-américains qui conduiront les grands changements sur le continent ; dans la foulée, elle est invitée à Davos comme l'un des 100 leaders mondiaux de demain.

Auréolée de ses succès, reconnue pour sa puissance de travail et son engagement, Xochiti est repérée par les politiques. Le Président Vicente Fox lui propose de rejoindre son gouvernement ; en tant que commissaire national pour le développement des peuples autochtones (CDI), elle s'emploie à lutter pour la reconnaissance des indigènes, endiguer la malnutrition et le chômage dans les collectivités autochtones. Après six années au gouvernement Fox, elle démissionne le 6 décembre 2006, en raison d'un désaccord avec la nouvelle administration de Felipe Calderón Hinojosa qui entend réduire le budget de sa Commission.

Elle se porte candidate en 2010 au poste de gouverneur de Hidalgo. En vain. Elle se retrouve en lutte contre tous les partis traditionalistes qui ne voient pas d'un bon œil cette politicienne hors norme. Après son échec électoral, Xochiti dés lors pourrait abandonner la vie publique, se consacrer à sa famille, son nouveau mari (qu'elle a épousé par amour), leurs deux enfants et poursuivre une carrière brillante en tant qu'entrepreneur dans l'informatique. Mais sa rencontre avec Franck Riboud, le président de Danone et Muhammad Yunus, le fondateur de la Grameen Bank, la convainquent de poursuivre sur le chemin qui lui tient le plus à cœur : mettre son énergie au service de sa tribu d'origine et venir en aide à sa communauté pour les aider à sortir de la misère.

El Alberto

Mieux que personne, Xochiti connaît les réalités et les besoins des communautés d'El Alberto, la richesse unique de leur culture, mais aussi les spécificités sociales et administratives de la région. Ici, l'eau saumâtre que les femmes vont recueillir dans des seaux dans la rivière (trois heures aller et retour) fait des ravages. La mortalité infantile et le choléra (plus d'une centaine de cas ont encore été recensés en 2013) interdisent à la population de se projeter dans l'avenir.

La corvée d'eau affaiblit les femmes et les empêche de se consacrer à d'autres activités. Les alternatives proposées par certaines entreprises locales de transport de l'eau par tuyaux ou vente de cruches d'eau sont onéreuses et ne garantissent pas un approvisionnement de qualité.

Le projet El Alberto voit le jour en 2011. Initié par la filiale Bonafont Mexique, avec la fondation Porvenir, le gouvernement, l'association Sociedad de Solidaridad Social qui représente les communautés locales d'Hidalgo, Danone Mexico et danone.communities. du groupe Danone, il repose sur la construction d'une usine de traitement de l'eau. Récupérant les filets d'eau qui ruissellent chaque aurore des sommets des montagnes, l'eau est acheminée par conduit jusqu'à la station, filtrée puis mise en bouteille dans des bonbonnes de 20 litres. Des camions équipés de 140 containers sillonnent les routes pour livrer l'eau aux 130 000 habitants de la région. Les écoles sont les premières approvisionnées ; elles achètent pour 30 % de la production. 200 femmes sont rémunérées pour assurer la commercialisation. Leur rôle est primordial : il leur faut convaincre la population que les schémas d'antan sont désormais nocifs, en raison des substances chimiques qui sont désormais déversées dans la rivière. Qui mieux qu'elles pourraient expliquer aux mères des enfants en bas âge de l'importance de donner une eau de qualité à leurs progénitures ? Puis de les envoyer à l'école ?

Danone.communities est le principal investisseur financier d'El Alberto avec un investissement de 4,5 millions de pesos mexicains (en capital et en obligations convertibles). Cet argent a permis de financer la construction de l'usine, aujourd'hui dirigée par une jeune femme ingénieure et de la mise en place de la distribution. Fonctionnant comme une start-up, ce projet a atteint l'équilibre financier au bout d'un an seulement de fonctionnement.

A terme, la communauté locale sera l'unique propriétaire du projet. Déjà l'argent récolté et la dynamique initiée font bouger les mentalités et permettent de financer d'autres projets. Xochiti milite pour que la région devienne une zone touristique où les citadins puissent venir ici se détendre et s'amuser. Dans ce paysage de peu, entre vallées abruptes et montagnes cactées, des tyroliennes sont en cours d'installation. Un premier hôtel a vu le jour, un parc d'attraction avec une piscine accueille les premiers touristes dans la vallée. Xochiti et les promoteurs de ce modèle d'entrepreneuriat social voient grand. D'autres régions aussi démunies que l'Etat d'Hidalgo sont approchées pour adopter le même modèle. Avec l'appui de Danone.communities et la filiale Bonafont, l'ex femme d'affaires et politicienne en est convaincue ; c'est en mettant un pied devant l'autre qu'elle réussira ; certes, la route est longue et il y a tant à faire pour que les indigènes sortent de la misère et profitent eux aussi du développement de son pays. Mais, jusqu'à présent, la vie lui a donné raison. Au Global Social Summit, organisé par the Grameen Lab Creative, à Mexico, c'est en tenue traditionnelle, comme le faisait en son temps Frida Kahlo, dans un espagnol, ponctué des accents de son dialecte natal, qu'elle expose sa vision et soulève l'enthousiasme des 2000 participants. Rien ne peut l'arrêter, Xochiti partage le même charisme que Muhammad Yunus. Une intelligence et une bienveillance qui s'appuient tout autant sur le bon sens et la détermination. En un mot, le courage.

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Commentaires 10
à écrit le 03/02/2015 à 14:31
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Programmeuse ou développeuse plutôt que programmatrice... Un programmateur : appareil qui doit lancer une action au bon moment

à écrit le 03/02/2015 à 5:32
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si le monde etait gouverné par les femmes alors peu etre qu'il y aurait moins de guerres et de misere.trop souvent les hommes sont avide de pouvoir et la situation de la planete aujourd'hui nous le prouve

le 04/02/2015 à 17:10
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EXAT???

le 04/02/2015 à 18:39
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Si on excepte le cerveau fantasmé de certains individus de cette mouvance réactionnaire, qui conteste la légitimité du combat des femmes contre l’oppression et pour l’égalité des droits et l’égalité réelle tout le reste n’est que socio-fiction dont o...

le 04/02/2015 à 18:44
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Si on excepte le cerveau fantasmé de certains individus de cette mouvance réactionnaire, qui conteste la légitimité du combat des femmes contre l’oppression et pour l’égalité des droits et l’égalité réelle tout le reste n’est que socio-fiction dont o...

le 06/02/2015 à 11:11
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C'est faux, derrière chaque dictateur, chaque guerre, chaque violence, se cachent aussi des femmes ! Les hommes ne sont pas pires ni mieux que les femmes ! Sauf que eux sont sur le devant de la scène et les femmes agissent dans le secret !

le 06/02/2015 à 15:10
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@@Zaza: et bien sur vous vous êtes dans le secret.....Celui des Dieux surement depuis que Eve a croquée la pomme et jeté sur elle le péché originel....Il y a quelques cas de tyrans féminins mais ne refaites pas l'histoire du monde qui est un patriar...

le 19/02/2015 à 8:22
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Vive le machisme alors !! Car meme si les hommes ont le pouvoir, les femmes l'ont aussi, elles le partagent et elles prennent les décisions, mais pas directement, mais indirectement, en éduquant les enfants, en manipulant les hommes. D'ailleurs comme...

le 21/02/2015 à 12:56
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J'ai effectivement vu juste , c'est même de la haine contre les femmes.....Celles ci apprécierons votre unicité de traitement à leur encontre CQFD

à écrit le 02/02/2015 à 19:27
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Son prénom est Xochitl au fait.

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