IBM et Sears, une même leçon pour arriver à un business model gagnant ?

Qu'y a-t-il de commun entre les activités de Sears et d'IBM? De prime abord, rien. Si ce n'est des ressemblances dans la stratégie adoptée pour les redresser. Ou bien s'agit-il de simples coïncidences? Les analystes de L'Investisseur Français (*) en discutent.

Je lisais l'autre jour le bouquin de Lou Gerstner [NDLR : « Who Said Elephants Can't Dance »]. Vois-tu des similitudes entre la transformation d'IBM au début des années quatre-vingt-dix, et celle de Sears aujourd'hui ?

On retrouve  souvent une trame commune dans les business en difficulté qui entreprennent de se transformer. La première séquence est un changement de propriétaires : après le départ des investisseurs dans la croissance arrive un nouvel actionnariat, qui à son tour donne l'impulsion pour un changement de management. Typiquement, ce dernier agit selon un canevas de travail somme toute classique : assainir le bilan, changer le modèle d'affaires pour revenir à la profitabilité ou optimiser les marges, puis aller chercher de nouvelles options de développement là où l'entreprise peut exploiter ses savoir-faire.

L'exploit d'IBM est d'y être parvenu en coupant de 90% le pricing sur Mainframe, leur cash-cow de l'époque.

Ils n'ont pu se le permettre que parce qu'ils recentraient leurs activités sur le software et le service, deux activités capex-light [NDLR : qui ne nécessitent que peu d'investissements] et en forte croissance. C'était ça leur vrai de coup de génie. Au contraire de gens comme Compaq, ils ont compris qu'il n'y avait plus beaucoup d'argent à faire dans le hardware.

Ce qui est remarquable, c'est que la transformation s'est faite au bénéfice du client.

Si on y réfléchit bien, c'est aussi ce que fait Eddie Lampert chez Sears : il solidifie son bilan en abandonnant les activités secondaires, il coupe sec dans la structure de coûts et les obligations d'investissements à long-terme, et il se repositionne sur un modèle d'affaires beaucoup plus profitable à long-terme...

Un modèle d'affaires plus proche du service que du retail brick & mortar traditionnel...

A l'avantage du client, qui obtient un meilleur prix et une meilleure expérience de shopping.

Ce canevas de travail, on le retrouve aussi chez BlackBerry. John Chen suit littéralement le même playbook que Gerstner chez IBM.

Les démarches sont très similaires. Mais dans une telle situation, tu sais, il n'y a pas vraiment d'autre choix. On éteint l'incendie, on rationalise les opérations, puis on va chercher de nouvelles options de croissance. Que veux-tu faire d'autre ? S'il n'y a pas d'espoir et que le management est rationnel, il liquide le business, comme Buffett l'a fait avec le Berkshire Hathaway original.

Scénario de liquidation mis à part, ce type de restructuration est souvent marqué par des désinvestissements massifs. L'exemple extrême, c'est General Dynamics qui abandonne les quatre cinquièmes de son portefeuille d'activités.

C'est un cas d'école que Eddie Lampert a lui-même cité dans un billet paru sur son blog, et dont manifestement il s'inspire beaucoup. On lui souhaite la même réussite que Bill Anders ! [NDLR : ex-CEO de General Dynamics]

C'était quoi le playbook d'Anders ?

Se désinvestir massivement des activités dans lequel son groupe n'avait pas d'avantage concurrentiel, pour plutôt se concentrer là où ils en avaient un. Durant la transition, qui coïncidait avec le bas de cycle post-guerre froide dans l'industrie de la défense, racheter massivement ses actions. Puis, dès que le cycle a repris, procéder à quelques rares acquisitions intelligentes et relutives. Bref, exactement ce qu'il fallait faire.

Et ?

Les actionnaires ont fait du 23% par an sur la durée de son mandat. C'était du beau travail.

Y avait-il une dynamique similaire chez IBM à l'époque de Gerstner?

En fait, ce modus operandi a toujours été plus ou moins dans les mœurs chez IBM. Depuis leurs débuts, ce sont des habitués du désinvestissement. Récemment, ils ont encore remis ça avec trois de leurs businesses : Thinkpad, les serveurs, et la fabrication de puces. Gerstner n'avait pas besoin d'en faire autant. Ce qu'il lui fallait, c'était changer le modèle d'affaires et se concentrer sur le service, un business coûteux mais ajustable en opex [NDLR : dépenses opérationnelles] et léger en capex [NDLR : dépenses d'investissement]. C'est exactement la même chose chez Sears, je te signale ! Lampert n'abandonne pas son business historique : il le remodèle vers quelque chose de plus léger et plus flexible.

Le challenge de Lampert aujourd'hui est-il plus ou moins difficile que celui de Gerstner à l'époque ?

C'est très difficile de répondre. Lou Gerstner n'avait pas un immense parc immobilier à monétiser pour financer sa transformation. Je ne sais pas si les situations étaient d'égales complexités, mais je suis certain qu'il n'y avait pas un tel coussin de sécurité chez IBM. Aussi, ils avaient un sérieux problème d'obsolescence technologique. Les choses ont changé aujourd'hui, puisqu'ils sont capables de capitaliser sur cette obsolescence en vendant leurs consultants à leurs clients pour accompagner le changement, alors qu'à l'époque ils en étaient victimes. Sears ne rencontre pas de problème d'obsolescence technologique, plutôt un problème d'obsolescence dans les manières de consommer. On ne s'en rend pas forcément compte d'ici, mais les Etats-Unis sont vraiment over-retailed.

C'est ce que dit Berkowtiz.

C'est ce que comprend quiconque observe la situation. C'est parfois difficile à comprendre vu d'Europe, tant les contextes sont différents entre les deux continents.

C'est-à-dire ?

Chez nous, le retail c'est la préhistoire. Il n'y a aucun service et les prix sont beaucoup trop hauts.

Je ne veux pas te vexer mais, face à Wal-Mart ou Costco, c'est la préhistoire chez Sears aussi.

C'est pour ça qu'il fallait changer le business model.

Le comble, c'est que Lampert le fait, mais qu'on lui reproche de ne pas investir pour préserver l'obsolète modèle d'autrefois....

Nécessité fait loi. Il a intérêt à être bien équipé pour concourir avec des gens comme les disciples de Jim Sinegal [NDLR : le cofondateur et ex-CEO de Costco]. Même Sam Walton [NDLR : le fondateur de Wal-Mart] s'y est cassé les dents.

>> (*) Pour aller plus loin, retrouver toutes les analyses de L'Investisseur Français sur son site.

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Commentaires 2
à écrit le 14/02/2016 à 12:08
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"Les actionnaires ont fait du 23% par an sur la durée de son mandat. C'était du beau travail" Cette phrase résume magnifiquement l'inanité de pensée économique actuelle, si la finalité d'une entreprise se résume à faire fructifier le pactole actionn...

à écrit le 13/02/2016 à 12:41
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Voila des gens qui tentent, sans faire rire -à moins que ce ne soit un gag- de déblatérer sur des entreprises représentant le pire modèle économique américain et déjà ou en voie de faillite. Ne parlons pas de Sears qui ne bouge plus depuis des siècle...

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