Qu'est-ce qu'une bonne entreprise pour un investisseur ? (2/2)

Acheter les actions d'une entreprise, c'est devenir propriétaire d'une partie de son capital et, par extension, d'une partie des profits générés par ce dernier une fois mis au travail dans les opérations (le "business"). Une légitime première question à se poser est donc : s'agit-il d'un bon "business" ? par les analystes de L'Investisseur Français (*).

Nous discutions dans la première partie de cet article d'un concept fondamental : à court-terme (un horizon de quelques années), un business ordinaire peut tout à fait être un investissement parfait (par exemple si on l'achète à une fraction de sa valeur liquidative); mais à plus long-terme, et surtout au bon prix, un business extraordinaire peut être un investissement plus que parfait -- un investissement absolument merveilleux.

Deux indices

Nous le disions, deux indices permettent traditionnellement d'identifier un business extraordinaire : (1) une capacité bénéficiaire éprouvée et durable, (2) doublée de retours sur capitaux élevés.

Une si heureuse combinaison est rendue possible par l'existence (et l'entretien) d'un avantage concurrentiel majeur -- ce que Warren Buffett a dans son folklorique jargon baptisé un "moat" (en francais : une douve), censée entourer le château fort (le business) et le protéger des concurrents agressifs venus lui disputer des parts de marché.

Trois types distincts

Cet avantage compétitif se décline -- dans la plupart des cas -- selon trois types, distincts et parfois complémentaires.

Premier type d'avantage compétitif : un imbattable coût de production unitaire, si possible couplé à une croissance du chiffre d'affaires et des profits. Le business gagne ainsi toujours plus en économies d'échelle.

Nike est un bon exemple. En amont, le coût de fabrication unitaire d'une paire de chaussures y est inférieur à toute la concurrence. En aval, la marque jouit d'un authentique pricing power, et peut ainsi se permettre de vendre la dite paire de chaussures à un prix supérieur à toute la concurrence. Gagnant sur tous les tableaux : c'est le meilleur des deux mondes.

Grâce à ces marges, Nike finance des campagnes de marketing toujours plus globales et spectaculaires, s'assure le sponsorship des icônes du sport mondial, et renforce ainsi sans cesse la valeur économique de sa franchise. Conséquence : les ventes augmentent, et mécaniquement le coût de production unitaire continue de diminuer -- a fortiori ici, puisque ajouter de nouvelles lignes de production ne coûte quasiment rien, sinon un peu de personnel (payé les salaires que l'on sait).

Cercle vertueux

Autrement dit : plus de ventes égal un coût de production unitaire moindre, égal plus de marges, égal plus de budget pour le marketing, égal plus de ventes, égal un coût de production unitaire moindre, égal plus de marges... Le cercle est vertueux, et l'avantage compétitif se renforce de lui-même : le plus Nike vend de chaussures, le plus son avantage compétitif s'accroît.

On retrouve une dynamique similaire chez Intel (les éternels perdants d'AMD pourront en témoigner) ou chez Boeing et Airbus (Bombardier ou Embraer continuent d'en faire les frais) : une échelle inégalée leur permet d'être les seuls rentables parmi leurs industries, et de parfaitement dominer ces dernières.

Taille critique

A moins d'atteindre une taille critique (sans profits à réinvestir, ce sera difficile) leurs rivaux ne peuvent s'aligner sur leurs coûts de production unitaires. Si dans les contes, David bat parfois Goliath, dans la réalité, le combat est perdu d'avance.

Attention : quand le business sous-jacent est de qualité, des dizaines de milliards dépensés en marketing et R&D au fil des années augmentent effectivement la valeur économique de la franchise (voir notre article sur Intel, une franchise à toute épreuve). Mais quand le business sous-jacent est médiocre (cyclique et à faibles retours sur capitaux), ces milliards investis n'y suffisent pas, et servent plutôt de caution à la survie (par exemple : Mercedes Benz).

Deuxième type d'avantage compétitif : le pricing power (la liberté de fixer son prix de vente). On l'a vu, un pricing power donne du confort pour augmenter les marges -- et donc pour confortablement réinvestir dans la valeur économique de sa franchise, optimiser son outil industriel, ou les deux en simultané.

Trois sources au pricing power

On trouve généralement trois sources à ce pricing power : un bon mindshare parmi les consommateurs (quand une marque est perçue comme supérieure aux alternatives : Colgate, Haribo, Louis Vuitton ou l'exemple Nike cité à l'instant), un savoir-faire spécifique et non réplicable (par exemple : l'exclusivité des brevets d'une compagnie pharmaceutique, ou le siècle et demi d'expérience en notation du crédit de Moody's), un actif unique et non (ou très difficilement) réplicable (par exemple : le Madison Square Garden ou Eurotunnel).

A long-terme, ce même pricing power permet aussi de juguler l'inflation - et même mieux, d'en tirer profit.

Troisième type d'avantage compétitif (qui vient parfois compléter les deux précédemment cités) : un business protégé par une régulation spécifique et/ou un processus de certification exceptionnellement complexe et laborieux.

Par exemple, aux Etats-Unis, qui d'autre que Boeing ou Lockheed Martin est aujourd'hui capable de porter sur toute la durée du cycle un projet de nouvel avion de combat ? Ils sont les seuls à disposer de l'assise financière nécessaire (il faut financer trente ans de développement), l'association de compétences requises, et les connexions avec le sommet des administrations d'Etat.

Rien n'est jamais simple

Attention, bis : malgré la dimension didactique de l'exposé ci-dessus, rien n'est jamais simple. D'abord, certains business compensent l'absence d'avantage compétitif par une gestion d'excellence (Seacor Holdings). Ensuite, un avantage compétitif n'est pas donné et encore moins éternel : pour perdurer, il exige une (intelligente) politique de réinvestissement, sans quoi même un monopole supposé inattaquable s'effrite en quelques mois (Pages Jaunes).

Accessoirement, tout ceci n'est que théorie... Et comme le dit le bon mot :

In theory there's no difference between theory and practice; but in practice there is.

Par exemple, sur le papier, EDF cumule les trois types d'avantages compétitifs susnommés (coût unitaire de production du kilowatt le plus faible, pricing power, oligopole régulé), mais de désastreuses politiques de réinvestissement et de gestion des coûts entraînent une ininterrompue destruction de valeur, dans la triste lignée d'un capitalisme à la française obsolète.

 Infinie juxtaposition de nuances de gris

Quelles conclusions tirer de ce sympathique bavardage ? Un, et encore une fois, que rien n'est jamais simple : dans les affaires financières comme ailleurs, la réalité n'est ni en blanc ni en noir, mais en une infinie juxtaposition de nuances de gris. Deux, qu'à l'instar de tous les articles boursiers, celui-ci ne doit pas être pris trop au sérieux.

 --> Lire la première partie de cet article "Qu'est-ce qu'une bonne entreprise pour un investisseur ? (1/2)

>> (*) Pour aller plus loin, retrouver toutes les analyses de L'Investisseur Français sur son site.

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Commentaire 1
à écrit le 07/11/2015 à 12:52
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Il n'y a aucune bonne société pour un investisseur . A) Soit tous les profits sont captés par la direction B) Soit tous les profits sont captés par la direction et le dividende grotesquement ridicule ET l'imposition fiscale finit de réduire en G N...

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