Ce qu'il faut savoir sur les carburants de synthèse

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La salle du parlement europeen a bruxelles[reuters.com]
(Crédits : Pool)

par Victoria Waldersee et Kate Abnett

BERLIN/BRUXELLES (Reuters) - L'Allemagne s'est opposée à la dernière minute à une loi historique de l'Union européenne visant à mettre fin aux ventes de voitures émettant du CO2 en 2035, exigeant que les nouvelles voitures à moteur thermique soient autorisées après cette date à condition qu'elles fonctionnent aux carburants de synthèse.

La réglementation européenne exigerait que toutes les nouvelles voitures vendues à partir de 2035 n'émettent aucune émission de CO2, ce qui rendrait impossible la vente de nouvelles voitures alimentées par des carburants fossiles.

Cependant, cette loi est perçue comme le glas du moteur thermique, en raison du manque d'options leur permettant de fonctionner sans produire de CO2.

L'Allemagne, ainsi qu'une majorité de pays de l'UE et de députés, ont déjà soutenu une autre loi qui n'interdirait pas les moteurs à combustion interne.

Voici ce qu'il faut savoir sur les carburants de synthèse :

QUE SONT LES E-CARBURANTS ?

Les e-carburants, comme le e-kérosène, le e-méthane ou le e-méthanol, sont fabriqué en capturant et synthétisant des émissions de CO2 ainsi que de l'hydrogène produit à partir d'électricité renouvelable ou bas-carbone.

Ces carburants libèrent du CO2 dans l'atmosphère pendant leur combustion, mais ces émissions devraient être égales à la quantité extraite de l'atmosphère lors de la production du carburant, neutralisant les émissions de CO2.

L'Allemagne et l'Italie souhaitent que l'Union européenne garantisse plus explicitement que les ventes de nouvelles voitures à moteur à combustion interne continueront au-delà de 2035, à condition qu'elles fonctionnent avec des carburants décarbonés.

QUI LES FABRIQUE ?

La plupart des grands constructeurs automobiles misent sur les véhicules électriques à batterie. Une technologie déjà largement adoptée comme principal moyen de réduire les émissions de CO2 des voitures particulières.

Cependant, les fournisseurs et les grandes compagnies pétrolières défendent les e-carburants, de même qu'un certain nombre de constructeurs automobiles qui ne veulent pas que leurs véhicules soient alourdis par des batteries.

Les e-carburants ne sont pas encore produits à grande échelle. La première usine commerciale au monde a ouvert ses portes au Chili en 2021. Soutenue par Porsche, elle vise à produire 550 millions de litres par an. D'autres usines sont prévues, notamment l'usine norvégienne Norsk e-Fuel, qui devrait commencer à produire en 2024 et se concentrer sur le carburant d'aviation.

LES E-CARBURANTS PEUVENT-ILS DÉPOLLUER LES VOITURES ?

Les e-carburants peuvent être utilisés dans les véhicules à moteur à combustion interne actuels et transportés via les réseaux logistiques existants pour les combustibles fossiles. Une bonne nouvelle pour les fabricants de pièces pour moteur thermique ainsi que pour les entreprises de transport d'essence et de diesel.

Ses partisans affirment que les e-carburants permettent de réduire les émissions de CO2 du parc automobile actuel, sans pour autant remplacer chaque véhicule par un véhicule électrique.

Les détracteurs soulignent que la fabrication des e-carburants est très coûteuse et gourmande en énergie. Selon un article publié en 2021 dans la revue "Nature", l'utilisation d'e-carburants dans une voiture à moteur à combustion interne nécessite environ cinq fois plus d'électricité renouvelable qu'un véhicule électrique à batterie.

Certains politiciens soutiennent également que les e-carburants devraient être réservés aux secteurs difficiles à décarboner, tels que le transport maritime et l'aviation, qui, contrairement aux voitures particulières, ne peuvent pas facilement fonctionner avec des batteries électriques.

QUELLE EST LA PROCHAINE ÉTAPE POUR LA LÉGISLATION EUROPÉENNE ?

Quelques jours avant le vote final de la loi, qui était prévu le 7 mars, le ministre allemand des Transports Volker Wissing a retiré le soutien de l'Allemagne, mettant ainsi en suspend l'une des principales politiques européennes de lutte contre le changement climatique, les pays de l'UE et les députés s'étant déjà mis d'accord sur la loi l'année dernière.

Outre l'Allemagne et l'Italie, des pays comme la République tchèque et la Pologne ont exprimé leurs inquiétudes à l'égard de la loi, ce qui laisse entrevoir la possibilité d'un soutien suffisant pour la bloquer.

Toutefois, d'autres députés et diplomates de l'UE estiment que permettre à un pays de torpiller une loi déjà approuvée mettrait en péril d'autres accords longuement négocié.

Le ministre allemand des Transports , membre du parti libéral-démocrate, a déclaré que l'utilisation des e-carburants devrait rester possible après 2035, et qu'une proposition promise par la Commission européenne à ce sujet n'avait toujours pas été présentée.

En réponse, la Commission européenne a rédigé une proposition, consultée par Reuters, pour permettre aux constructeurs automobiles d'immatriculer de nouvelles voitures dans l'UE ne pouvant fonctionner qu'avec des e-carburants neutres sur le plan climatique. Il pourrait s'agir d'une première étape vers l'autorisation de leur vente après 2035.

Le projet de proposition stipule que les véhicules doivent utiliser une technologie qui empêcherait la voiture de démarrer si elle utilisait des carburants non décarbonés.

L'International Council on Clean Transportation (ICCT, le Conseil International pour un Transport Propre-ndlr) a déclaré qu'il doutait qu'il serait possible de vérifier si un véhicule fonctionne avec des e-carburants purs ou avec un mélange de carburants fossiles, étant donné que les e-carburants ont des propriétés très similaires à celles des carburants fossiles qu'ils sont censés remplacer.

Un fonctionnaire européen a déclaré à Reuters que toute nouvelle proposition serait présentée une fois que les pays auraient approuvé l'élimination progressive des moteurs thermiques. Le ministère allemand des Transports a indiqué qu'il examinait la proposition.

QUE VEULENT LES ENTREPRISES ?

Les grands équipementiers automobiles allemands, tels que Bosch, ZF et Mahle, sont membres de eFuel Alliance, un groupe de pression industriel, tout comme les grandes compagnies pétrolières et gazières, d'ExxonMobil à Repsol.

Les constructeurs automobiles tels que Piech, Porsche et Mazda soutiennent largement la technologie. Porsche détient une participation dans le producteur d'e-carburant HIF Global.

BMW a investi 12,5 millions de dollars dans la start-up Prometheus Fuels, tout en investissant des milliards dans la technologie des batteries électriques.

D'autres constructeurs automobiles, dont Volkswagen et Mercedes-Benz, misent sur les véhicules électriques à batterie pour se décarboner. Cette semaine, Volvo et Ford ont appelé aux les pays Européens à ne pas reculer sur l'élimination progressive des nouvelles voitures à essence et à diesel prévue pour 2035.

(Reportage de Kate Abnett, Victoria Waldersee et Markus Wacket ; Version française Nathan Vifflin; édité par Kate Entringer)