Interview Pierre Lelouche : « L'Europe a la responsabilité d'aider son Sud »

De retour de Tunisie, le secrétaire d'État au Commerce extérieur a réitéré le soutien de la France au processus démocratique dans toute la région. Pour lui, l'Europe doit plus investir dans son « Sud ». Les deux parties en tireraient des bénéfices économiques.
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Pierre Lellouche Secrétaire d'État au Commerce extérieur

Les positions prises par le président Nicolas Sarkozy sur la Libye et la Tunisie inaugurent-elles une nouvelle « politique arabe » de la France ?

Notre destin est solidaire de celui du monde arabe, avec qui nous formons un grand espace d'échanges et de partage. La rive sud de la Méditerranée et le Golfe représentent, avec près de 50 milliards d'euros, plus de 15 % de nos flux commerciaux. Au moment où les peuples montrent la voie de l'émancipation et réclament la pleine jouissance de leurs droits et de leurs libertés, comme en Tunisie, mais aussi en Égypte, la France a le devoir d'être à leurs côtés. Les peuples arabes ont aussi droit à la liberté. Le président l'a rappelé avec force. Et en appelant clairement la communauté internationale à empêcher le colonel Kadhafi de massacrer son propre peuple, Nicolas Sarkozy a donné une traduction concrète à ce principe d'action. Il n'est pas sûr que, sans cette prise de position, la Ligue arabe et les États-Unis auraient adopté aussi rapidement une ligne ferme à l'égard du régime libyen.

Vous revenez d'une visite officielle en Tunisie, comment évolue la situation dans le pays ?

Les responsables politiques actuels sont là pour répondre à court terme aux attentes du peuple, en particulier des jeunes qui représentent la majorité de la population, et pour organiser la transition démocratique, qui peut prendre du temps. À travers ma visite avec une délégation d'entreprises françaises, j'ai voulu assurer le gouvernement tunisien du soutien concret de la France dans ce processus. Les entretiens que j'ai eus sur place, en particulier avec le Premier ministre tunisien, m'ont rassuré sur la volonté des autorités de fixer les entreprises, de solder le passé, et de sécuriser les investissements d'avenir. Il ne faut pas s'y tromper : la stabilité sociale et économique du pays, et donc la réussite de la transformation démocratique, en dépend. En particulier, il faut absolument éviter que la saison touristique soit compromise cette année : avec 6,5 % du PIB et 350.000 emplois, le tourisme est un secteur clé pour la Tunisie. En retour, la communauté internationale doit accorder sa confiance à un peuple qui a une tradition de tolérance, que je connais d'autant mieux que je suis moi-même natif de Tunisie.

La révolution démocratique que connaît le monde arabe aura à nouveau mis en évidence l'absence d'initiative forte de l'Union européenne, comment analysez-vous cela ?

Depuis deux siècles, l'horizon des Européens, c'est la Russie, les Balkans. Et avec l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux membres issus de l'Est, ce biais s'est accentué. Il faut maintenant que l'Europe se tourne vers le Sud, vers un continent, l'Afrique, sur lequel vivra dans quelques années 1,5 milliard de personnes dont 660 millions qui auront entre 15 et 25 ans. L'Europe a la responsabilité d'aider son Sud à faire face à cet immense défi de développement. Elle y a également intérêt, notamment pour limiter les risques migratoires. Je remarque que les grandes puissances économiques comme les États-Unis ou le Japon ont massivement investi chacun dans leur propre Sud, assurant ainsi un développement économique bénéfique à tous. Nous devons le faire également en Europe. Il faut se souvenir d'ailleurs que, quand l'Europe consacre près de 7 euros par an et par habitant aux pays de l'Est dans le cadre des instruments de préadhésion, c'est à peine plus de la moitié pour les pays de la Méditerranée. Le rééquilibrage est nécessaire. La révolution arabe initiée par la Tunisie met aujourd'hui l'Europe au pied du mur. Et elle lui donne rendez-vous avec l'Histoire.

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