Baisse des dépenses publiques : au lieu de tout raboter, si on sélectionnait ?

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  804  mots
En 2015, les dépenses publiques atteignaient 57% du PIB, soit près de 10 points de plus que la moyenne de l'OCDE.
Historiquement, la politique de la France en matière budgétaire s'est résumée à couper dans la dépense, sans grands résultats. Dans une note publiée ce jeudi, le Conseil d'analyse économique préconise une autre méthode : celle de cibler les priorités de l'action publique, en délaissant les pans inefficaces, le tout, couplé à un programme d'investissement temporaire.

Obsession des gouvernements successifs depuis maintenant 30 ans, la baisse des dépenses publiques* n'advient toujours pas. En 2015, elles atteignaient 57% du PIB, soit près de 10 points de plus que la moyenne de l'OCDE. Seuls le Danemark et la Finlande dépensent autant. Dans une période de croissance molle, l'entretien de cette situation risque de conduire à une aggravation du niveau de la dette qui avoisine aujourd'hui les 100% du PIB. La France devrait consacrer 42 milliards d'euros au remboursement des intérêts de la dette en 2017, soit cinq fois le budget de la Justice a rappelé Edouard Philippe lors de son discours de politique générale. S'ils veulent se dégager des marges de manœuvre, les pouvoirs publics doivent résoudre la problématique de gestion des dépenses publiques.

Il faut donc agir. Certes, mais comment ? Qu'elle soit dirigée par la droite ou par la gauche, la France a historiquement opté pour la politique du "rabot", à savoir des coupes égales dans les postes de dépenses, à l'image du fameux "non remplacement d'un fonctionnaire sur deux", sans grande efficacité. C'est pourquoi le Conseil d'analyse économique (CAE), organe placé sous l'égide de Matignon chargé de réaliser des analyses économiques indépendantes, a réfléchi à une solution alternative. Dans la note "Quelle stratégie pour les dépenses publiques ?", rendue publique ce jeudi, les économistes proposent une méthode basée sur une redéfinition du périmètre de l'action publique. Explications.

"Qu'est-ce qu'on ne finance pas ?"

D'abord les auteurs ont cherché à identifier d'où provient cette hausse des dépenses. Entre 1978 et 2014, le poids des dépenses de l'administration centrale dans le PIB est resté stable (20%), quand celui des administrations locales a pris quatre points du fait de la politique de décentralisation (de 7% à 11%). A noter d'ailleurs que la part de l'emploi public dans l'emploi total en 2013 est plus faible en France que dans des pays comme le Canada, qui ont pourtant réussi à baisser leurs dépenses publiques. La réduction drastique des effectifs, comme certains le préconisent, ne serait donc pas efficace.

En revanche, les dépenses de la sécurité sociale ont plus fortement progressé, passant de 19% à 26% du PIB sur la période, selon les chiffres de l'Insee. En 2015, la France a dépensé plus dans tous les domaines (santé, enseignement, etc.) que la moyenne de la zone euro, mais particulièrement dans la protection sociale, où l'écart avec ses voisins représente environ 4,5 points de PIB. Les auteurs de la note du CAE estiment alors que les pouvoirs publics doivent revoir, dans le détail, leurs domaines d'intervention, quitte à en abandonner certains.

"Il faut une discussion au plus haut niveau de l'Etat sur : qu'est-ce qu'on finance et qu'est-ce qu'on ne finance pas ? Puis mettre en place des dispositifs compensatoires de substitution à court terme pour éviter que 'les perdants' soient les ménages les plus pauvres", résume Xavier Ragot, président de l'OFCE et co-auteur de la note du CAE.

En clair, il s'agit de lancer une grande concertation pour trier les dépenses inefficaces, et ne cibler que celles qui sont ou seront utiles. Par exemple, l'aide au logement, mentionnée par Edouard Philippe lors de son discours de politique générale, est souvent accusée de contribuer à la hausse des loyers. L'idée serait alors de la supprimer progressivement, tout en lançant parallèlement, à titre compensatoire, un plan d'investissement dans la construction de logements étudiants. Ce type de dispositif de substitution permet de compenser les effets récessifs à court terme des décisions de baisse structurelle des dépenses publiques.

"Il ne manque qu'un arbitrage politique"

Pour développer cette proposition, les auteurs se sont inspirés des expériences menées dans d'autres pays. Leur constat est sans appel : "ceux qui ont réussi [à baisser durablement leurs dépenses publiques]ont été plus sélectifs", assure Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable (CEDD) et co-auteur de la note. "Par exemple, l'Allemagne a réduit ses dépenses, mais a augmenté celles de l'Education, alors que la stratégie française a toujours été d'échapper à l'examen du contenu des dépenses", déplore-t-il.

Les auteurs recommandent à Matignon de placer ce travail d'examen et de ciblage en haut de l'agenda politique et, sur le modèle vanté du Canada, d'associer ministres et directeurs d'administration dans la définition de ce nouveau périmètre de l'action publique. "Les travaux économiques pour mener à bien cette transformation existent déjà", estime la présidente déléguée du CAE, Agnès Bénassy-Quéré. "Il ne manque qu'un arbitrage politique."

_____________________________________

*Les dépenses publiques regroupent les dépenses des administrations centrales et locales, ainsi que celles de la sécurité sociale.