Dette publique française : pourquoi le fardeau s’alourdit

Par Paul Marion  |   |  972  mots
A Bercy, Bruno Le Maire est pris en tenaille entre les dépenses de protection du pouvoir d'achat et le poids croissant de la dette et de ses intérêts. (Crédits : Reuters)
La question des intérêts, et plus seulement celle du volume de la dette publique, s'invite dans le débat public. Les économistes et les institutions financières comme la Cour des comptes ou la Banque de France tirent la sonnette d'alarme. Alors, pourquoi la charge de la dette enfle-t-elle ? En quoi cela bouleverse-t-il la situation des finances publiques françaises ? Comment y remédier ? La Tribune fait le point en trois questions.

Le phénomène n'est pas nouveau : l'état des finances publiques préoccupe en haut lieu. Ces derniers mois la dégradation des comptes publics a fait l'objet de nombreuses mises en garde des grands argentiers de l'Etat, de la Banque de France à la Cour des comptes. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire lui-même, pourtant comptable de la situation budgétaire du pays après avoir ouvert en grand les cordons de la bourse lors de la crise sanitaire (sans les avoir vraiment refermés jusqu'ici), a affirmé fin juin que « la cote d'alerte » (était) « atteinte ».

Les voyants virent au rouge vif aux yeux des économistes, et plus seulement sur le montant de la dette qui frôle les 3.000 milliards d'euros, après un bond de 97,6% du PIB fin 2019 à 114,1% aujourd'hui. Le dernier avertissement est venu jeudi du président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui a asséné que « nous ne pouvons pas vivre dans l'illusion d'une dette gratuite ». Et fait de la charge de la dette son « principal point de préoccupation ». Qu'est-ce que cette charge de la dette ? Pourquoi devient-elle problématique pour la France ? Faut-il s'inquiéter de ses conséquences à l'avenir ? La Tribune fait le point.

  • Qu'est-ce que la charge de la dette ?

La charge de la dette correspond à l'ensemble des intérêts que l'Etat s'engage à payer lorsqu'il emprunte de l'argent sur les marchés financiers, en plus du remboursement à une échéance précise du montant emprunté qu'on appelle le « principal ». En France, ces intérêts sur la dette ont coûté à la puissance publique autour de « 35 milliards d'euros en 2021, et environ 50 milliards d'euros en 2022 », estime François Ecalle, ancien haut-fonctionnaire à la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques qu'il décrypte sur son site de référence Fipeco. La charge d'intérêt va ainsi s'alourdir de 17 milliards d'euros supplémentaires cette année d'après Bruno Le Maire. « Et la hausse va continuer », prévient François Ecalle.

  • Pourquoi la charge de la dette s'alourdit-elle ?

Le paysage financier a radicalement changé fin 2021 et début 2022. La décennie 2010 fut celle de l' « argent gratuit », c'est-à-dire de taux d'intérêt très faibles, parfois nuls. Voire négatifs comme sur les obligations de l'Etat français à 10 ans en 2019 et 2020. Une période paradoxale en ce sens que les Etats européens pouvaient emprunter davantage sans que leur charge de la dette n'augmente proportionnellement. Des facilités budgétaires permises par les politiques monétaires très accommodantes de la Banque centrale européenne et de la Réserve fédérale, dont les taux directeurs étaient maintenus très bas afin de soutenir le crédit et l'activité économique à la sortie de la crise Covid.

Cette ère est révolue. La hausse généralisée des prix, censée être passagère du fait de la reprise post-pandémie, s'est installée depuis la guerre en Ukraine qui a précipité la flambée du coût de l'énergie. Or, 12% de la dette française est indexée sur l'inflation, ce qui signifie que les taux d'intérêts grimpent mécaniquement en même temps que l'inflation. D'où les 17 milliards d'euros supplémentaires de charge de la dette à court terme.

L'inflation pèse également sur la dette française à long terme. Les banques centrales n'ont d'autre choix que de relever leur taux directeur, seul levier monétaire pour endiguer l'inflation. Cela signifie que les taux d'emprunts des États sont déjà en train de se renchérir. Les prêts contractés par l'Etat auprès d'investisseurs sous forme d'obligations ont une maturité moyenne (échéance de remboursement) de huit ans. L'obligation de référence des Etats arrive à maturité à 10 ans. C'est à ces échéances que la charge de la dette va significativement enfler. Le cercle de réflexion libéral iFRAP avance le chiffre de 100 milliards d'euros de charges de la dette en 2027, contre 35 milliards aujourd'hui. « Une estimation plausible. Une hausse d'un point du taux d'intérêt des obligations françaises, signifie 40 milliards d'euros de dépenses supplémentaires dans 10 ans » d'après François Ecalle... Soit l'équivalent du budget annuel de la Défense. L'expert rappelle par ailleurs que la charge de la dette croît aussi à cause d'un « effet volume de la dette » qui continue de s'envoler. Car plus l'Etat contracte d'emprunts, plus il a d'intérêts à rembourser.

  • Quels risques pour la France ?

Le spectre d'un défaut de paiement plane-t-il pour autant sur la France, du jamais-vu depuis 1797 ? Evidemment pas pour l'instant, mais la problématique de la dette reste entière. « La situation de la dette publique n'a pas radicalement changé avec la remontée des taux et conjointement celle de la charge de la dette. Rappelons que, comme un particulier, l'Etat doit rembourser les intérêts sur ses crédits mais surtout le principal. Certes, les taux d'intérêts ont un coût mais il reste bien inférieur à celui du principal. Aujourd'hui, la France rend le principal à ses créanciers... en se réendettant. Il faudrait être en mesure de rembourser le principal aussi », juge François Ecalle.

Ce dernier rappelle l'importance de reprendre le contrôle de la trajectoire de la dette afin d'éviter qu'elle ne s'emballe. Tant que l'inflation est supérieure aux taux d'intérêt, un tel scénario ne se profile pas, selon l'ancien collaborateur de la Cour des comptes.

Le gouvernement fait pour l'instant de l'onéreuse protection du pouvoir d'achat sa priorité devant le désendettement. La loi pouvoir d'achat, qui doit être votée cet été, devrait coûter autour de 20 milliards d'euros à l'Etat. S'agissant du retour à un déficit budgétaire en dessous de 3%, Elisabeth Borne le prévoit pour... 2027.