Le début du quinquennat s'annonce particulièrement périlleux pour le nouveau gouvernement. Au lendemain du discours de politique générale de la Première ministre Elisabeth Borne, le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici a tiré la sonnette d'alarme. « La nouvelle mandature va être confrontée à des choix difficiles dans un contexte de durcissement économique international et de changement du paysage politique français », a déclaré le magistrat de la rue Cambon lors d'une présentation, sur la situation et les perspectives des finances publiques, ce jeudi 7 juillet. À peine nommé, le nouvel exécutif doit présenter son budget rectificatif pour 2022 et un projet de loi pouvoir d'achat particulièrement attendu par les Français, confrontés à une explosion des prix dans de nombreux secteurs.
Les prévisions macroéconomiques du gouvernement jugées « optimistes »
La présentation du budget 2022 à l'automne dernier avait donné lieu à des prévisions macroéconomiques particulièrement optimistes avec une croissance du produit intérieur brut de 4% et une inflation de 1,5% en 2022 dans le sillage du rebond économique post-Covid en 2021, mais l'éclatement de la guerre en Ukraine fin février a tout bouleversé. En seulement quelques semaines, l'horizon économique s'est assombri. Dans le projet de loi de finances rectificatif (PLFR), présenté ce jeudi en conseil des ministres, l'exécutif table désormais sur une croissance de 2,5%.
Pour la Cour des comptes, « 2,5%, c'est possible mais cette prévision repose sur des hypothèses très favorables. L'inflation à 5% prévue pour 2022 paraît sous-estimée », a ajouté Pierre Moscovici. « Les perspectives peuvent s'assombrir en raison notamment du prolongement de la guerre en Ukraine. Le gouvernement prévoit une hausse de la consommation alors que le consensus des économistes pensent que la consommation va baisser et que l'investissement pourrait être plus faible que prévu », a taclé l'ancien commissaire européen.
Dernièrement, l'Insee dans son point de conjoncture a notamment expliqué que le pouvoir d'achat des Français allait reculer en 2022 de près de 1%, soit une première depuis 2013. Déjà au premier semestre, la guerre en Ukraine et la poussée de fièvre des prix de l'énergie et de l'alimentation ont eu des répercussions délétères sur le porte-monnaie des Français. La consommation a reculé et le revenu disponible des ménages a dégringolé en raison de cette inflation. Résultat, la grogne sociale s'amplifie actuellement dans de nombreux secteurs pour réclamer des hausses de salaires.
Un déficit à 5% en 2022 difficilement tenable
Dans son épais rapport de près de 150 pages, la juridiction financière note que le gouvernement a retenu la même prévision de déficit de 5% en 2022 dans le budget rectificatif et dans la loi de finance initiale présentée à l'automne 2021. « Les dépenses supérieures à la LFI de 60 milliards d'euros, dont près de la moitié correspond aux mesures de soutien au pouvoir d'achat, seraient compensées par un niveau de recettes de 60 milliards d'euros à la prévision en raison de la bonne surprise du déficit en 2021 et du dynamisme des recettes en début d'année 2022 », souligne la Cour.
Il reste que les dépenses prévues dans le budget rectificatif pour 2022 devraient être bien supérieures à celles qui étaient annoncées dans la loi de finances initiale. Les juristes évoquent notamment la revalorisation des pensions de retraites et le dégel du point d'indice des fonctionnaires, la charge d'intérêt de la dette estimée à 17 milliards d'euros en 2022, les dépenses supplémentaires liées au prolongement de l'épidémie de Covid. « Le déficit de 5 points de PIB continuera de peser sur la capacité à ramener le déficit sous 3 points de PIB et à mettre la dette publique sur une trajectoire descendante d'ici 2027 », indique la Cour. Or, la Première ministre lors de son grand oral à l'Assemblée a réitéré la promesse de parvenir à déficit inférieur à 3% d'ici 2027.
Des baisses d'impôt critiquées
Dans le contexte de dégradation des finances publiques, Pierre Moscovici a porté un jugement sévère sur le choix du gouvernement en matière de politique fiscale. « La France n'a guère les moyens de faire des baisses d'impôt sans compensation, durant cette période, sans dégrader le déficit », a-t-il déclaré lors du point presse. L'ancien ministre socialiste de François Hollande a notamment pointé la suppression de la redevance audiovisuelle prévue dès cet été et la baisse des impôts de production confirmée par Elisabeth Borne dès 2023.
Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a effectivement indiqué qu'il comptait poursuivre la baisse de la fiscalité entamée lors du précédent quinquennat sans vraiment apporter de précisions sur les moyens pour compenser les médias publics ou encore les collectivités dépendantes des impôts de production pour leurs finances. « Il faut éviter les pertes sèches », a averti Pierre Moscovici.
Enfin, il a recommandé de construire une trajectoire crédible des finances publiques « pour assurer la soutenabilité de la dette et une croissance durable ». « Il faut engager une stratégie de désendettement crédible. Très rapidement, la France doit transmettre son programme de stabilité à la Commission européenne. La maîtrise des dépenses publiques doit être une exigence », a-t-il conclu. Reste à savoir s'il sera entendu au gouvernement.