Ecologie : après le grand débat, le grand flou

Par Dominique Pialot  |   |  993  mots
La hausse de la taxe carbone n'a pas été évoquée une seule fois par Emmanuel Macron dans son allocution de sortie du Grand débat. (Crédits : Max Rossi)
L’absence de toute mesure concrète dans l’allocution d’Emmanuel Macron jeudi soir plonge les observateurs dans un grand doute quant à sa volonté réelle de conduire une transition écologique à la hauteur des enjeux sur le front du climat et de la biodiversité.

"Ce qui a fuité dans les médias laisse craindre que l'exécutif se contente d'acheter la paix sociale (...) mais sans engager le début d'une politique de transition écologique et solidaire". Ainsi s'exprimait l'ancien ministre de la transition écologique Nicolas Hulot la semaine dernière dans un entretien à Libération...Force est de constater qu'on ne trouve pas grand-chose dans la conférence de presse du président jeudi soir pour faire mentir cette prédiction.

C'est pourtant le sujet qui avait mis le feu aux poudres en décembre dernier, sur lequel le gouvernement avait déclaré un moratoire et qui a donné lieu depuis le début de l'année à de multiples publications d'économistes et think tank de tous poils : de la reprise (ou pas) de la hausse de la taxe carbone et, donc, des prix des carburants, il n'en aura été nullement question. Pas plus que de quelque autre mesure concrète en lien avec la transition écologique.

Pourtant, « L'état d'urgence climatique il est là, notre jeunesse nous le dit à chaque instant et nos concitoyens veulent agir », a reconnu Emmanuel Macron,

ajoutant : « il y a une conscience citoyenne sur ces sujets qui s'est profondément transformée ces dernières années et qui va beaucoup plus vite que nombre de politiques publiques ».

Changement de méthode et intelligence collective

Evoquant les prochaines lois sur l'énergie et le climat et sur l'économie circulaire, Emmanuel Macron s'est également réjoui que beaucoup ait été fait ces deux dernières années. Un avis fort peu partagé, qu'il s'agisse des ambitions avortées de la loi Agriculture et alimentation, des décisions en matière de transition énergétique, de l'interdiction reportée du glyphosate...pour ne citer que ces exemples.

« Je veux qu'on puisse changer plus fortement de méthode pour répondre plus concrètement et de manière plus radicale aux attentes », a-t-il annoncé.

Ce changement de méthode, conçu pour « utiliser davantage l'intelligence collective », repose en l'occurrence sur la création de deux nouvelles instances : une convention citoyenne et un Conseil de défense écologique. La première, composée de 150 citoyens tirés au sort, sera rattachée au Conseil environnemental, économique et social (CESE) avant sa réforme annoncée, et devra dès le mois de juin « redessiner toutes les mesures concrètes d'aides aux citoyens sur la transition climatique dans le domaine des transports, de la rénovation des logements pour les rendre plus efficaces », définir, si besoin était, d'autres mesures incitatives ou contraignantes et le cas échéant définir des ressources supplémentaires et proposer des financements pour se faire. Autrement dit, ces 150 Français tirés au sort devront à nouveau se pencher sur ces thèmes déjà largement débattus au cours du Grand débat.

« Ce qui sortira de cette convention, je m'y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du parlement soit à référendum, soit à application réglementaire directe », a promis le président.

L'écologie érigée au niveau de la défense ?

Quant au Conseil de défense écologique, conçu sur le modèle du conseil de défense militaire et soufflé par Nicolas Hulot, il réunira le Premier ministre, les principaux ministres chargés de cette transition, les grands opérateurs de l'Etat, et sera régulièrement présidé par Emmanuel Macron en personne, « pour à la fois prendre les choix stratégiques et mettre au cœur de toutes nos politiques cette urgence climatique et m'assurer du suivi dans tous les changements ministériels lorsqu'une orientation est prise. »

Ces nouveaux comités - aussitôt qualifiés de Théodule par leurs détracteurs - s'ajoutent de fait à plusieurs structures existantes : le CNTE (Conseil National de la Transition Ecologique (CNTE), instance multi-acteurs de dialogue environnemental issue du Grenelle de l'environnement (2007) qui a instauré ce dialogue à 5 collèges de représentants de la société civile et, depuis plus récemment, des parlementaires ; le Haut Conseil pour le Climat (HCC), annoncé en 2018, est en cours de constitution et regroupe 10 experts indépendants chargés d'évaluer l'action climat, notamment la cohérence des politiques publiques.

Occasion manquée

Si certains, notamment l'ancien directeur général du WWF aujourd'hui candidat aux élections européennes sur la liste de la majorité, ou encore le patron de l'Ademe Arnaud Leroy ont salué la création de ces instances, la majorité des réactions ont été plutôt froides du côté des ONG de l'environnement. "Des 'orientations', mais pas de vraies décisions", a réagi sur Twitter l'ONG Greenpeace, dénonçant la création d'un "énième comité Théodule".

Le WWF France s'est également avoué "très déçu", regrettant que "Le président n'a pas saisi l'opportunité qui se présentait à lui pour répondre à cette urgence".

L'absence de toute référence à la biodiversité, alors même que l'IPBES (plateforme intergouvernementale sur la biodiversité) doit publier le 6 mai un rapport alarmant sur le sujet, n'est pas passée inaperçue. Quant à Matthieu Orphelin, ancien député LREM qui a justement claqué la porte du parti en février devant l'absence de toute réelle avancée sur le front de l'écologie, qui n'avait pas ménagé sa peine ces derniers jours en multipliant les déclarations destinées à inciter le gouvernement a revoir sa copie sur le sujet par rapport à la première version du discours qui avait fuité, il a regretté une "occasion manquée" et s'est également déclaré "Très déçu par l'absence de nouvelles mesures concrètes".

C'est sur le sujet de la transition et du climat que le président a fait le plus explicitement référence à l'Europe, s'engageant notamment à défendre au niveau européen « un prix minimum du carbone, une taxe carbone aux frontières et une finance verte plus ambitieuse. »