Faute de concurrence, la dette française attire plus que jamais les investisseurs

Par Maxime Heuze  |   |  1095  mots
Les investisseurs continuent de montrer un appétit insatiable pour la dette française. (Crédits : Benoit Tessier)
Malgré son dérapage budgétaire de 2023 et son endettement bien plus élevé que nombre de ses voisins, la dette de la France trouve toujours preneur, et en nombre. Une popularité auprès des investisseurs qui vient de la bonne réputation de l’Hexagone dans le monde et de la frugalité de nos voisins. Explications.

Alors que la crainte d'une dégradation de la note de la dette française par les agences Fitch et Moody's vendredi demeure, les investisseurs continuent de montrer un appétit insatiable pour la dette française.

Bercy compte, en effet, lever 285 milliards d'euros de dette sur les marchés financiers en 2024. Un montant record qui dépasse les 270 milliards d'euros levés en 2023. Et les acheteurs de dettes sont au rendez-vous. Le 27 février, l'Agence France Trésor (AFT) avait émis pour 8 milliards d'euros d'obligations assimilables du Trésor (OAT) à 30 ans, contre 5 milliards initialement prévus, tant la demande a été forte. Du jamais vu pour cette maturité. « Le livre d'ordres a dépassé 75 milliards d'euros », s'était même félicité Antoine Deruennes, directeur général de l'AFT.

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Un appétit de la demande qui a des conséquences positives pour l'État français. Le taux de sa dette à dix ans reste toujours inférieur à 3% (à 2,98%), soit proche de celui de l'Allemagne à 2,49% alors même que son déficit public a dérapé en 2023 pour s'établir à 5,5% et que la dette française culmine à 112% du PIB. Or, si les acheteurs rechignaient à acheter des obligations françaises, l'Etat serait contraint de proposer un taux d'intérêt beaucoup plus élevé pour les convaincre, ce qui rendrait le paiement des échéances beaucoup plus coûteux pour le pays.

Des investisseurs en quête de dettes sûres

La dette française se négocie toujours bien... faute d'actifs plus attractifs. « Les investisseurs internationaux sont à la recherche d'actifs assez sûrs. (...) Les obligations françaises sont alors un des choix possibles, ce qui explique leur succès », explique Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of management, dans une note.

En effet, parmi nos voisins répondant à la demande des investisseurs, se trouve l'Italie qui devrait lever 310 milliards d'euros sur les marchés en 2024 et 340 milliards en 2025. Un montant encore plus conséquent que celui de la France, mais bien moins intéressant du point de vue des investisseurs. Avec une dette équivalente à 137% de son PIB, Rome est le pays le plus endetté en valeur relative de la zone euro, derrière la Grèce. Surtout, « ce pays a une dette qualité "moyenne inférieure" notée 11/20 par les agences de notation et pourrait passer en catégorie "spéculative"  si sa noté était dégradée », pointe Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'OFCE, interrogé par La Tribune. A l'inverse, « la France a une dette qualifiée de "haute qualité" notée 18/20 et resterait dans cette catégorie, même si elle était dégradée une fois », ajoute l'économiste.

Malgré la série de mauvaises nouvelles concernant ses finances publiques, la France reste donc une bonne élève sur le banc des dettes européennes... voire très bonne.

« Paris a un bon historique et est considéré comme sûr car n'a jamais fait défaut. De plus, sa dette est très liquide (qui s'échange très bien sur les marchés financiers, NDLR) », analyse John Plassard, directeur chez la banque Mirabaud. Surtout, l'Hexagone a des sous-jacents économiques bien valorisés par les investisseurs.

« La France est connue pour sa capacité rassurante à lever de l'impôt, mais surtout, nous ne sommes pas entrés en récession contrairement à d'autres pays européens et notre taux d'épargne très élevé de 18% rassure sur notre potentiel de croissance puisque les consommateurs pourraient désépargner dans le futur pour consommer et faire repartir la croissance », explique aussi à La Tribune, Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France.

Les pays européens émettent peu

Mais Paris bénéficie aussi de la frugalité des bons élèves européens en matière d'endettement.

« Les pays du nord de l'Europe, bien notés n'émettent pas beaucoup de dette, donc, pour acheter de la dette de "haute qualité", les investisseurs n'ont à disposition que des obligations françaises », constate Eric Heyer.

L'Allemagne par exemple, référence européenne de la dette sûre, emprunte peu par fidélité à sa politique de rigueur budgétaire historique. Pour 2024, le programme d'émission de l'Allemagne est de seulement 76 milliards d'euros, soit presque quatre fois moins que celui de la France. La dynamique est d'ailleurs la même dans certains pays moins bien notés comme l'Espagne qui ne devrait lever que 55 milliards d'euros cette année, soit une réduction de 10 milliards par rapport à 2023.

Quand bien même nos voisins concurrenceraient la dette française avec des volumes plus importants, Anne-Sophie Alsif estime que les investisseurs continueraient à faire confiance à Paris puisque « contrairement à nous, les pays nordiques, mieux notés ont moins de potentiel de croissance intérieure et dépendent fortement des exportations ce qui est considéré comme plus risqué par les investisseurs », avance-t-elle.

L'euro permet à la France d'attirer les investisseurs

L'un des seuls pays pouvant concurrencer la France sur le marché de la dette internationale sont les Etats-Unis. Le pays de l'Oncle Sam affiche en même temps une dette de « haute qualité », et un flux massif de titres obligataires. En novembre dernier, le Trésor américain avait annoncé émettre 1.592 milliards de dollars entre le quatrième trimestre 2023 et les trois premiers mois de 2024. Un montant pharaonique qui a de quoi assouvir la soif des investisseurs toujours très confiants dans l'économie américaine et le dollar.

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Néanmoins, l'Hexagone attire, elle aussi, bon nombre de financiers en quête de titres obligataires grâce à sa monnaie. « Même s'ils ont encore très confiance dans le dollar, les investisseurs se disent que ce dernier pourrait tout de même chuter suite à l'augmentation des dépenses budgétaires de Washington pour soutenir son économie, mais aussi pour financer des guerres (à l'image des 63 milliards de dollars que va envoyer le gouvernement à l'Ukraine, NDLR) », prévient Anne-Sophie Alsif.

Ces derniers « souhaitent donc se couvrir et se diversifier en s'exposant à d'autres monnaies comme l'euro, en achetant des dettes européennes... et donc françaises », conclut l'économiste de BDO France.

Autant d'arguments qui laissent à penser qu'une éventuelle dégradation de la note française ce vendredi n'aurait finalement pas de fortes conséquences sur les taux d'emprunt de l'Etat.

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