Les montants vont de record en record. Après une enveloppe colossale de 270 milliards d'euros en 2023, l'Etat prévoit d'emprunter en 2024 la somme vertigineuse de 285 milliards d'euros nette de rachats pour couvrir ses dépenses et ses déficits. Il s'agit d'un bond spectaculaire en seulement un an. Sous la surveillance des agences de notation, le gouvernement espère stabiliser la dette tricolore actuellement autour de 112% du PIB et faire revenir le déficit en deçà des 3% d'ici 2027.
Mais le pari de l'exécutif de compter sur une croissance du PIB robuste suscite de plus en plus de doutes chez les économistes. La Banque de France a abaissé ses prévisions de croissance pour la fin de l'année 2023 et l'OCDE a dégradé sa projection de croissance du PIB de 0,8% en 2024 contre 1,2% auparavant. Dans ces conditions, la baisse du ratio de dette sur PIB dans les prochaines années semble relever du parcours du combattant.
Des besoins de financement de 295 milliards d'euros
L'année prochaine, l'Etat va avoir besoin de trouver 295 milliards d'euros sans les rachats pour financer ses déficits et l'amortissement de ses dettes venant à échéance en 2024. Lors de la présentation du budget 2024 en septembre dernier, le gouvernement avait prévu un besoin de financement de 299 milliards d'euros. Comment expliquer cette soudaine baisse de 4 milliards d'euros en quelques mois ?
Il s'agit principalement d'une diminution de la dette à moyen et long terme à rembourser passant de 160 milliards d'euros à 156 milliards.
« En 2024, les besoins de financement sont en baisse par rapport à 2023 en raison de la baisse du déficit à financer, malgré un peu plus de dette à amortir en 2024. Ces moindres besoins de financement se traduisent par moins de besoins en ressources », déclare Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor depuis octobre 2023, en remplacement de Cyril Rousseau parti à la Banque européenne d'investissement (BEI).
Une baisse de la maturité des titres de dette émise
La maturité moyenne de l'Etat a tendance à s'infléchir. Après avoir atteint un pic au moment de la crise du Covid à 12,4 ans, la maturité des émissions de moyen et long terme (OAT) est revenue à 11 ans, soit un niveau équivalent à celui d'avant crise (11,1 ans) mais encore loin de la maturité de 2013 (8,6 ans). Concernant le volume du programme de financement à long terme, il a également diminué en pourcentage du PIB par rapport à 2020 pour passer de 11,2% à 9,7% en 2024 selon des projections encore provisoires. Sur les 20 dernières années, ce ratio a quasiment doublé.
Au pic de la crise sanitaire, l'Etat avait emprunté des montants record sur les marchés pour financer le programme du « quoi qu'il en coûte » de plusieurs centaines de milliards d'euros. Avec l'extinction progressive des aides et l'essoufflement du virus, la France a pu réduire la voilure sur ses besoins d'endettement. Mais le financement de la transition écologique pourrait à nouveau obliger l'Etat à lever des milliards d'euros sur les marchés.
Des intérêts payés sur la dette en hausse en 2023...
La remontée des taux d'intérêt de la Banque centrale européenne (BCE) a considérablement durci les conditions financières sur les marchés européens. Résultat, la charge de la dette, qui représente les intérêts que la France doit rembourser chaque année pour ses différents emprunts, a fortement augmenté depuis deux ans. Dans la présentation du budget 2024 du ministère de l'Economie et des Finances, la charge de la dette représentait 51,7 milliards d'euros en 2023, mais devrait augmenter de 61 milliards d'ici 2026 et 74 milliards d'euros en 2027.
En moyenne, et toutes durées d'emprunt confondues, la France a emprunté en 2023 à 3,15%, selon les chiffres de l'AFT. Sur le marché obligataire, un marché secondaire où les investisseurs s'échangent des titres de dette, l'intérêt de la France pour la dette à 10 ans est même monté fin octobre à près de 3,60%, un plus haut depuis 2011. Pour rappel, le pays avait emprunté à des taux inférieurs à 5% avant la grande crise financière de 2008 et les obligations d'Etat indexées sur l'inflation représentent environ 10% de l'encours, soit un peu plus de 28 milliards d'euros.
...mais des espoirs de baisse en 2024
Profitant de la politique monétaire ultra accommodante de la Banque centrale européenne (BCE), les Etats de la zone euro ont pu se financer à taux négatifs pendant plusieurs années. La guerre en Ukraine et l'envolée des prix a incontestablement changé la donne. La fin de l'ère de « l'argent gratuit » a assombri les perspectives de financement de la zone euro. Mais l'essoufflement de l'inflation sur le Vieux continent depuis le printemps a redonné de l'optimisme sur les marchés financiers.
L'année prochaine, une baisse des taux d'intérêt faciliterait grandement la tâche des traders de Bercy. « Nous ne faisons pas de prévisions sur l'évolution des taux. S'il y a une baisse des taux l'année prochaine, notre rôle est de bien identifier la demande des investisseurs », souligne Antoine Deruennes. Ce jeudi, la Banque centrale européenne doit donner ses orientations sur sa politique monétaire pour l'année prochaine. Les récents discours des responsables de la BCE laissent penser qu'il y aura une baisse des taux au premier semestre. Mais il est difficile pour les économistes de trancher à ce stade. « À présent, Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a écarté sans ambiguïté une potentielle hausse des taux, la question est maintenant de savoir quand et de combien sera la baisse des taux », souligne Frederic Ducrozet, économiste chez Pictet Wealth Management dans une récente note. Une perspective particulièrement attendue à Bercy.