Le « grand soir » social de Nicolas Sarkozy est-il sérieux ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  2334  mots
Nicolas Sarkozy veut laisser aux entreprise le soin de déclencher le mécanisme des heures supplémentaires au-delà des 35 heures
Dans un entretien au quotidien "Les Echos", Nicolas Sarkozy propose une refondation "du modèle social". Tout y passe: 35 heures, seuils sociaux, Unedic, licenciement économique. Mais beaucoup de ses préconisations sont en fait déjà en vigueur, alors que d'autres semblent inadaptées à la situation actuelle. Décryptage.

La « refondation sociale », c'est ce concept lancé par le Medef à la fin des années 1990 que Nicolas Sarkozy a décidé de reprendre à son compte. Dans un entretien accordé au quotidien Les Echos daté du 30 septembre, le président du parti « Les Républicains » veut tout revoir : la durée légale du travail, la définition du licenciement économique, le rôle des syndicats, le fonctionnement de l'assurance chômage. Il milite pour un grand chambardement afin de relancer l'économie et créer des emplois.

Mais, dans son élan, Nicolas Sarkozy « oublie » que nous ne sommes plus en 2007 où en 2012. Plusieurs de ses préconisations s'appliquent en fait déjà, notamment depuis les récentes lois Rebsamen sur le dialogue social et Macron sur la croissance. Et nombre de ses suggestions ne résistent pas à la réalité du terrain, notamment sur la place des syndicats. En réalité, on a l'impression que les propos de l'ancien président de la République s'adressent davantage aux futurs électeurs de la primaire du centre et de de la droite, dans la perspective de l'élection présidentielle de 2017, qu'aux professionnels ou acteurs des relations sociales. Nicolas Sarkozy, François Fillon et Alain Juppé - dans une moindre mesure - se livrent à une sorte de course à l'échalote. C'est à qui sera le plus "réformateur"...parfois aux dépens de la réalité du terrain. Décryptage des propos de Nicolas Sarkozy sur les sujets sociaux.

 Privilégier le referendum en entreprise

Nicolas Sarkozy:

"Le dialogue social ne fonctionne plus en France. La négociation sociale doit désormais se dérouler d'abord dans l'entreprise, plutôt qu'au niveau de la branche ou du confédéral (...). Quand un accord dans l'entreprise n'est pas possible entre les partenaires sociaux, ce sont les salariés de cette même entreprise qui doivent pouvoir trancher par referendum à la majorité simple."

Ainsi, Nicolas Sarkozy veut donner la priorité à la négociation d'entreprise au détriment de l'accord de branche. En affirmant cela, il ne fait que surfer sur le débat - très en vogue en ce moment - sur la place à accorder aux différentes normes (loi, accord de branche, accord d'entreprise). C'est tout l'objet du fameux rapport Combrexelle - du nom du président de la chambre sociale du Conseil d'Etat - remis récemment au Premier ministre et qui va donner lieu à un projet de loi. L'ancien président de la République « oublie » que 98% des entreprises ont moins de cinquante salariés, il y a donc une impossibilité de négocier et de signer un accord. En outre, il n'y a que l'accord de branche qui puisse assurer un minimum de règles communes afin de ne pas fausser la concurrence, ce que le rapport Combrexelle appelle « l'ordre public professionnel ». C'est pour ces raisons que les organisations patronales CGPME et UPA (artisans employeurs) ne défendent pas le « tout accord d'entreprise ».

Quant à l'idée de développer le referendum direct auprès des salariés en cas d'impossibilité des partenaires sociaux (syndicat et patronat) de parvenir à un accord, on retrouve là le côté bonapartiste de Nicolas Sarkozy, favorable à une démocratie directe et faisant l'impasse sur les corps intermédiaires. Ce rejet des corps intermédiaires, on l'avait beaucoup entendu dans la bouche de l'ancien président durant la campagne de 2012. Actuellement, quand il y a des syndicats présents dans l'entreprise, le referendum est déjà  possible mais il n'est que consultatif, son résultat ne s'impose pas. Et rien n'empêche - au contraire - les syndicats d'organiser eux-mêmes un referendum. En revanche, un referendum organisé directement par un employeur pour contourner un blocage syndical serait potentiellement dangereux, s'il est destiné discréditer les syndicats. Sans parler du possible chantage à l'emploi.

Faire élire les délégués syndicaux !

Nicolas Sarkozy:

Les délégués syndicaux doivent cesser d'être nommés par les syndicats. Ils doivent pouvoir être élus par les salariés (...) il faut autoriser la liberté de candidature dès le premier tour »

Derrière cette idée, on perçoit chez le président du parti « Les Républicains », la volonté de bouter les syndicats hors de l'entreprise. C'est en 1968, lorsque le Général de Gaulle était à l'Elysée que la section syndicale d'entreprise a été instaurée avec la possibilité pour les syndicats représentatifs de nommer un délégué syndical. Nicolas Sarkozy voudrait donc revenir sur cette idée... gaullienne. Mais Il fait surtout une confusion entre délégué syndical et/ ou élu du comité d'entreprise (CE) et délégué du personnel (DP). Le délégué syndical n'a pas à être élu puisqu'il est le représentant de son syndicat. On ne voit pas très bien comment des salariés d'une entreprise non syndiqués pourraient se mêler de « désigner » le délégué syndical encarté chez FO ou la CGT qui est chargé de faire le lien entre les instances syndicales (professionnelles et/ou territoriales) et l'entreprise. C'est comme si on demandait aux électeurs de choisir qui sera le candidat PS ou « Les Républicains » aux élections législatives. C'est incongru.

En revanche, s'agissant des élections professionnelles pour élire CE et DP, il y a actuellement en effet un monopole des syndicats représentatifs au premier tour. Mais attention, depuis une loi de 2008 réformant la représentativité syndicale des entreprises, il n'y a plus de « présomption irréfragable de représentativité », c'est-à- dire qu'un syndicat appartenant à une « grande confédération » (CFDT, CGT, FO, etc.) ne peut plus se présenter automatiquement au premier tour des élections dans une entreprise. Il doit d'abord faire la preuve de sa représentativité au sein de celle-ci, via différents critères : nombre d'adhérents, activité réelle, audience aux élections précédentes, etc.

Or, selon les données du ministère du Travail, les listes syndicales raflent environ 65% des voix des salariés. Ce qui prouve tout de même, contrairement à une idée répandue, une certaine représentativité. De plus, Nicolas Sarkozy peut être rassuré, si les salariés veulent rejeter le fait syndical, ils n'ont qu'à s'abstenir au premier tour. Le quorum n'étant pas rempli, il y aura alors un second tour où n'importe quelle candidature, y compris de listes non syndiquées, est recevable.

Alors certes, seuls environ 7% des salariés français sont syndiqués. Mais en France, il n'y a aucun intérêt à se syndiquer, à la différence d'autres pays où avoir sa carte est nécessaire pour bénéficier des avantages tirés d'un accord collectif. Cependant, les organisations syndicales, avec pour FO, la CFDT et la CGT des centaines de milliers d'adhérents, restent les plus grosses organisations de masse du pays, loin devant les... partis politiques.

 Supprimer les seuils sociaux... Oui mais, c'est fait

Nicolas Sarkozy:

"Je propose de supprimer le seuil des dix salariés pour les délégués du personnel et de fusionner l'ensemble des instances de représentation au-delà de 50 salariés (...)"

Là, l'ancien chef de l'Etat est carrément en retard. Tout ce qu'il préconise est déjà entré dans les faits. Récemment certes. Depuis la loi Rebsamen sur le dialogue social, votée à l'été 2015, toutes les entreprises de plus de cinquante salariés ont la possibilité, par simple décision unilatérale de l'employeur, de fusionner dans une instance unique le comité d'entreprise, les délégués du personnel et même le comité d'hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT). Quant au seuil de 10 salariés, obligeant à élire des délégués du personnel, il est gelé pour trois ans. Une évaluation de cette mesure sera alors effectuée.

Revoir les motifs du licenciement économique

Nicolas Sarkozy:

« Le licenciement économique doit être rendu possible, y compris pour réorganiser l'entreprise quand il est encore temps (...). Aujourd'hui, il est autorisé uniquement quand elle va très mal ».

Ce propos de l'ancien président n'est pas tout à fait exact. L'opportunité de la décision de procéder à un licenciement économique est laissée à l'appréciation du juge.

Par exemple, la Cour de cassation admet qu'une réorganisation peut être mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir si elles sont " prévisibles ". Mais l'employeur est tenu d'établir la source de ces difficultés futures. Il ne peut pas simplement évoquer le besoin de rechercher une meilleure compétitivité, il doit étayer ses propos. En outre, il existe des mesures alternatives aux licenciements économiques, surtout depuis le vote de la loi Macron, tels les accords de maintien de l'emploi qui permettent de diminuer et/ ou d'augmenter le temps de travail durant une période maximale de cinq ans.

 Supprimer l'automaticité des "heures sup" au-delà des 35 heures de travail

Nicolas Sarkozy:

"Si une entreprise veut sortir des 35 heures, elle doit pouvoir le faire. Je pose une condition : personne ne doit travailler plus et gagner moins. Les 36 heures devront donc être payées 36, les 37 heures 37, etc (...). La loi prévoira deux cas : soit l'accord d'entreprise fixera un temps de travail hebdomadaire supérieur à 35 heures, soit l'entreprise restera aux 35 heures".

Là, encore une fois, Nicolas Sarkozy veut s'attaquer aux 35 heures. C'est -à-dire, en réalité, au seuil de déclenchement automatique des heures supplémentaires. Dans ses propos, l'ancien Chef de l'Etat semble confondre durée légale et durée effective du travail. Actuellement, l'employeur est libre de fixer la durée effective du travail dans son entreprise, les 35 heures ne sont absolument pas un obstacle. D'ailleurs, en moyenne, la durée effective du travail dépasse les 39 heures hebdomadaires en France, d'après l'OCDE. La seule borne est fixée par une directive européenne : la durée du travail hebdomadaire ne peut excéder 48 heures. En théorie, un employeur peut donc fixer la durée du travail à... 48 heures, dès lors qu'il verse un bonus salarial sur les heures effectuées au-delà de 35 heures. Sauf accord d'entreprise prévoyant un taux moindre (sans aller sous la barre des 10%), les huit premières « heures sup » sont ainsi majorées de 25%.

Et, par accord d'entreprise, l'employeur peut même déroger au contingent annuel d'heures supplémentaires (fixé légalement à 220 heures, soit l'équivalent de plus de six semaines de travail supplémentaires). Toujours par accord, il peut aussi organiser l'année en cycles de travail qui permettent d'éviter le paiement des heures supplémentaires, si, in fine, la durée légale du travail est respectée. Par exemple, une entreprise peut travailler durant un semestre 39 heures par semaine et l'autre semestre 31 heures.

C'est ce seuil de 35 heures déclenchant les « heures sup » que Nicolas Sarkozy veut donc faire sauter. Pour lui, « 36 heures doivent être payées 36 et 37 heures 37 »... Or, actuellement, un salarié qui travaille 37 heures perçoit plus grâce aux heures supplémentaires ou aux jours de RTT rémunérés. Avec Nicolas Sarkozy, ce système serait donc remis en cause. Il envisage même des accords d'entreprise fixant le seuil de déclenchement des « heures sup » par exemple à 38 heures. Mais son propos n'est pas clair. On ne saisit pas bien s'il parle de la durée légale ou de la durée effective du travail qui devrait être fixée par accord d'entreprise. A priori il s'agit de la durée légale puisqu'actuellement l'employeur est déjà entièrement libre, par décision unilatérale, de fixer la durée effective du travail.

Heures supplémentaires pas de retour à la loi "Tepa"

Nicolas Sarkozy:

"Au-delà de 35 heures (...) les allègements de cotisations sociales patronales seraient accrus jusqu'à 39 heures"

L'ancien chef de l'Etat a changé de philosophie par rapport à 2007. A cette époque, dans le cadre de la loi dite « TEPA », pour contourner les 35 heures légales, il avait institué des allégements de cotisations patronales et salariales sur les heures supplémentaires. En outre, celle-ci étaient fiscalement exonérées pour leurs bénéficiaires. Tout ce mécanisme a été supprimé avec l'arrivée de François Hollande à l'Elysée en 2012. En 2015, Nicolas Sarkozy n'évoque plus que des allègements de cotisations patronales supplémentaires entre 35 et 39 heures. Il n'y a plus d'incitation prévue pour les salariés.

Il faut dire que selon l'Institut Montaigne, le coût des exonérations de charges sociales sur les heures sup s'élevait à 3,1 milliards d'euros en 2011 dont 2,4 milliards pour les exonérations salariales et 700 millions d'euros pour les exonérations patronales. Quant au coût de la défiscalisation des heures sup au titre de l'impôt sur le revenu, il s'élevait, lui, à 1,4 milliard d'euros. Au total, la mesure Tepa « coûtait » à l'Etat (et donc au contribuable) et à la Sécurité sociale environ 4,5 milliards d'euros en année pleine...

 Nationaliser l'Unedic

On le voit donc, Nicolas Sarkozy veut revenir sur un certain nombre de fondamentaux du droit du travail.  Il envisage même de nationaliser temporairement l'Unedic - l'organisme paritaire (patronat/syndicats) gestionnaire de l'assurance chômage - pour redresser ses comptes et instaurer une dégressivité des allocations après douze mois de chômage. Une mesure qui peut peut-être se justifier en cas de de cycle économique haut, quand le marché du travail se tend, mais qui aura des effets très limités tant que le chômage de masse perdurera... Sauf à forcer un ex salarié du BTP au chômage à aller travailler dans l'hôtellerie-restauration en mal de main d'œuvre !

Mais, globalement, Nicolas Sarkozy va devoir revoir son logiciel. Certaines de ses préconisations s'appliquent déjà ou sont dans les tuyaux. D'autres, notamment celles sur la durée du travail, ne sont pas adaptées car elles mettent à mal son fameux slogan de 2007 « travailler plus pour gagner plus »... Maintenant, c'est plutôt « travailler autant pour gagner moins ».