On les disait grands absents de la campagne présidentielle. Alors que, lors des précédents scrutins, les économistes avaient été chargés par les candidats de phosphorer et de chiffrer les programmes, cette année à droite comme à gauche, ils n'apparaissaient pas.
Non pas qu'ils ne travaillaient pas - dans le camp d'Emmanuel Macron comme de Jean-Luc Melenchon, des groupes de réflexion ont été mis en place - mais ils restaient dans l'ombre et ne se sont guère exprimés publiquement. Au moins jusqu'aux législatives...
De la discrétion à la prise de parole publique
Car une semaine avant le scrutin, plusieurs se sont dévoilés. Face aux critiques, la Nupes est montée au créneau, avec une équipe d'économistes, pour défendre ses idées. Entre le SMIC à 1.500 euros nets, la retraite à 60 ans, le blocage des prix, l'allocation d'autonomie pour les jeunes... son programme, qui rappelle celui des années Mitterrand, est accusé de laisser une large place aux dépenses publiques, de faire exploser la dette et de conduire la France à la catastrophe.
Consciente que ces jugements pouvaient inquiéter une partie de l'électorat, le parti de Jean-Luc Mélenchon est allé chercher le soutien de plus de 170 économistes et non des moindres - Thomas Piketty, Gabriel Zucman, Julia Cagé, Bernard Friot, encore Jacques Généreux, connus pour leur engagement à gauche. Dans le JDD, quelques jours avant le premier tour, ces chercheurs ont signé une tribune de soutien à la Nupes.
Fer de lance de ce mouvement, Thomas Piketty est par ailleurs intervenu dans le JDD, via une longue interview, pour défendre "un projet de transformation sociale et écologique, en rupture avec le néolibéralisme".
Des soutiens à la majorité très marginaux contrairement à 2017
Il s'agissait de répondre, entre autres, à une note de Terra Nova - think tank pourtant classé à gauche - réalisée par le banquier et professeur associé à l'Ecole Normale supérieure, Guillaume Hannezo, pour qui le projet de Jean-Luc Mélenchon assurerait un avenir catastrophique pour le pays.
Fidèle de la première heure à Emmanuel Macron, Philippe Aghion est aussi intervenu par presse interposée, quelques jours avant le premier tour, pour attaquer le programme de la Nupes.
Mais, contrairement à 2017, les soutiens du monde de la recherche économique ont été très marginaux pour la majorité présidentielle.
Et dans ce contexte, quelques querelles d'économistes ont éclaté, autour de questions souvent techniques et difficiles à suivre pour le grand public. Ainsi, par exemple Olivier Blanchard, professeur au MIT, et ancien directeur des études du FMI, s'est-il senti obligé de se justifier dans une série de tweets sur la question des "multiplicateurs supérieurs à 1". Le célèbre économiste explique que "comme ils ont tendance à me citer, les économistes de la Nupes, il se sent obligé de corriger".
La crédibilité des programmes économiques en cause
Derrière ces échanges peu amènes, il y va pourtant de la crédibilité des programmes économiques des deux camps. A fortiori sur des sujets aussi essentiels que la réforme des retraites ou de la lutte contre l'inflation.
Pourquoi faire une réforme des retraites qui décalerait l'âge de départ à 64 ou 65 ans, comme le promet Emmanuel Macron, alors que les comptes du régime ne sont pas si alarmants (10 milliards d'euros de déficit, cette année), s'interrogent certains électeurs?
Pourquoi bloquer les prix d'un panier de produits essentiels (dans l'alimentaire, l'hygiène, ou encore l'habillement), comme le suggère la Nupes, serait plus néfaste pour l'économie que le seul bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité mis en place par la majorité présidentielle ?
Pourquoi une dérive des dépenses publiques (plus de 250 milliards d'euros, pour le programme de la Nupes) serait préjudiciable à notre économie alors que ces dernières années, Emmanuel Macron a également creusé le déficit en usant du fameux "quoi qu'il en coûte" ?
Autant d'interrogations qui auraient pu être posées dans le cadre d'un débat serein. Pourtant très structurants, et essentiels pour le quotidien des ménages comme des entreprises, ces sujets sont devenus des sujets de polémiques, sur fond de manque de culture économique des Français.