Les indemnités prud'homales vont singulièrement diminuer

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1168  mots
Avec la réforme du Code du travail, les salariés abusivement licenciés percevront moins de dommages et intérêts aux Prud'homme, car le plancher de ces indemnités est réduit 6 à 3 mois de salaires... Quant au plafond des indemnités - jusqu'à 20 mois -, les juges ne seront absolument pas obligés de l'accorder
Les ordonnances réformant le Code du travail "sécurisent" la procédure prud'homale au profit des entreprises. Le plancher des dommages et intérêts accordés en cas de licenciement abusif passe de 6 à 3 mois.

La troisième tentative sera donc la bonne. Dès que l'ordonnance relative « à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail » entrera en application, il y aura alors un plafonnement des dommages et intérêts accordés par les Prud'hommes en cas de licenciement abusif. Une vieille revendication patronale qui a déjà failli entrer en vigueur à deux reprises. La première fois dans le cadre de la « loi Macron » de 2015, mais le barème obligatoire avait été retoqué par le Conseil Constitutionnel car il faisait varier les montants des indemnités en fonction de la  taille des entreprises, ce qui créait une inégalité entre salariés. La seconde tentative a eu lieu en 2016 à l'occasion de la loi El Khomri. Le plafonnement des dommages et intérêts était prévu dans une première mouture du projet de loi. Mais pour amadouer les syndicats « réformistes », notamment la CFDT, le gouvernement avait fini par supprimer cette disposition. Cette fois, ce n'est pas le cas, le gouvernement a été jusqu'au bout.

Jusqu'ici donc en cas de licenciement abusif, seul existait un barème indicatif et non obligatoire auquel peuvent se référer les juges prud'homaux. Il va de un mois de salaire de dommage et intérêts pour les salariés ayant moins d'un an d'ancienneté jusqu'à 21,5 mois de salaire pour les salariés ayant 43 ans et plus d'ancienneté.

De 1 à 20 mois d'indemnités au maximum en fonction de l'ancienneté...

En cas de licenciement abusif, la seule contrainte actuellement en vigueur prévue dans le Code du travail est d'accorder un minimum de six mois de dommages et intérêts aux personnes travaillant dans des entreprises de plus de dix salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté. Il n'y a pas de plafond, au nom du principe bien établi que le juge cherche à réparer l'intégralité du préjudice. Aussi, selon les circonstances du licenciement et les caractéristiques du salarié abusivement licencié (âge, proximité du marché du travail, charge de famille, etc.), les indemnités varient d'une affaire à une autre et d'une juridiction à une autre. C'est pour cette raison que les organisations patronales évoquent une « loterie de la justice prud'homale ».

À l'avenir, une fois les ordonnances applicables, les juges seront contraints par un barème qui variera (voir tableaux ci-dessous), pour les employés licenciés abusivement d'une entreprise de 11 salariés et plus, de un mois de salaire (moins d'un an d'ancienneté) à 20 mois de salaire pour ceux ayant au moins 30 ans d'ancienneté. Mais attention, il s'agit d'un plafond. Le plancher, lui, est fixé à 2 mois de salaire pour les salariés licenciés ayant au plus 1 an d'ancienneté et à 3 mois pour les salariés ayant davantage d'ancienneté. Ce qui signifie que pour un salarié licencié abusivement ayant par exemple 20 ans d'ancienneté, le plancher est toujours fixé à 3 mois.

Cas des entreprises à plus de 11 salariés

Cas des entreprises à moins de 11 salariés

... mais un plancher limité à trois mois

Or, ce plancher fixe, quelle que soit l'ancienneté, est d'une importance capitale. Cette question est même nettement plus primordiale que celle des plafonds quand l'on connaît le fonctionnement de la justice prud'homale. Les Prud'hommes sont en effet une juridiction paritaire avec des juges issus du collège salariés et d'autres, issus du collège employeurs. Or, le plancher oblige les juges, y compris ceux du collège employeurs. Plus le plancher est donc haut, plus c'est bénéfique pour le salarié. À l'inverse, il sera extrêmement rare que les juges du collège employeurs acceptent d'accorder des indemnités égales au plafond. Par exemple, il n'est pas du tout certain qu'un salarié abusivement licencié ayant 20 ans d'ancienneté puisse obtenir le maximum de 15,5 mois.

On remarquera aussi que la législation actuelle prévoyait un plancher de 6 mois. Il sera donc à l'avenir divisé par deux...

C'est d'ailleurs pour cette raison que dans la majorité des affaires, en cas de licenciement abusif, les salariés obtiennent six mois, voire sept mois de dommages et intérêts. Il arrive parfois que ces indemnités montent à huit ou dix mois, mais il s'agit alors de salariés qui avaient au moins dix ans d'ancienneté. Quant à l'octroi de dommages et intérêts encore supérieurs, il s'agit de cas exceptionnels avec des circonstances aggravantes.

Pour l'avenir, avec l'abaissement du plancher, il faut donc s'attendre à une baisse généralisée du montant des dommages et intérêts.

Cependant, ce nouveau barème d'indemnités ne sera pas applicable en en cas de nullité du licenciement pour un motif de harcèlement, de discrimination ou de violation d'une liberté fondamentale. Dans de tels cas, l'indemnité minimale ne pourra pas être inférieure à six mois de salaire. Il faut donc s'attendre à une multiplication des contentieux ayant ces trois motifs pour origine...

Les "fautes de forme" auront des conséquences limitées

Par ailleurs, les ordonnances « sécurisent » aussi la procédure de licenciement au profit des entreprises. À l'avenir, en cas de vice de forme lors d'un licenciement, la sanction ne pourra plus excéder un mois de dommages et intérêts, alors qu'aujourd'hui la sanction pouvait aller jusqu'à la nullité du licenciement, par exemple, en cas d'insuffisance de motivation de la lettre de licenciement.

De fait, jusqu'ici, la lettre de licenciement « fixait » les limites du litige, l'employeur ne pouvait pas arguer devant les prud'hommes de faits non mentionnés dans la lettre de licenciement. À l'avenir, les motifs mentionnés dans la lettre pourront être modifiés par l'employeur, voire même à la demande du salarié... Ce n'est qu'après ces éventuelles modifications que la lettre fixera les limites du litige... Les avocats des salariés aux prud'hommes risquent de ne pas du tout apprécier cette modification.

Des indemnités de licenciement revalorisées

Alors, pour faire avaler cette pilule bien amère aux syndicats, la ministre du Travail a fait un geste - notamment devant l'insistance de Force Ouvrière - sur les indemnités de licenciement versées par les entreprises au moment du départ du salarié. À l'avenir, les indemnités légales de licenciement seront au minimum égal à 25% d'un mois de salaire par année d'ancienneté au lieu de 20% actuellement. Alors, certes, de nombreuses conventions collectives prévoient des indemnités conventionnelles déjà supérieures aux indemnités légales. Mais selon Force Ouvrière, de nombreuses indemnités conventionnelles vont être tout de même concernées, car, souvent, leurs premiers niveaux n'atteignent pas les 25% du salaire mensuel.

Ainsi, avec cette histoire de plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif et, parallèlement, de hausse des indemnités de licenciement, on se retrouve dans une situation un peu ubuesque : les entreprises qui auront abusivement licencié leurs salariés verseront moins de dommages et intérêts... mais toutes les entreprises, y compris donc celles procédant tout à fait légalement à des licenciements... devront verser des indemnités de licenciement supérieures.