
Ce n'est pas parce que La Tribune les a tous les deux interviewés récemment que l'on va s'interdire à évoquer les deux premières surprises de cette campagne présidentielle (à part celle de l'irruption du polémiste Eric Zemmour dont la bulle enfle dans les sondages) : Yannick Jadot chez les écolos, et Michel Barnier chez les Républicains. Les deux hommes n'ont pas le même profil. Le premier est entré en écologie comme on entrait autrefois en religion. Yannick Jadot fut l'un des hauts responsables de Greenpeace France avant de se lancer dans les élections sous l'étiquette Europe Écologie Les Verts. C'est un homme qui, par le passé, a déjà détonné auprès de ses camarades écolos : pas de haine contre le capitalisme, discours apaisant à l'égard du patronat, volonté de travailler avec tout le monde. Jadot serait du genre « écolo-responsable ».
C'est en tout cas ce que laissait entendre une bonne partie de la presse face à la candidate repoussoir (pour la presse également), Sandrine Rousseau. Jadot, le responsable, face à Rousseau, la « radicale » (comme elle l'a elle-même revendiqué), ou carrément extrémiste selon certains. Et pourtant : parfois, l'habit de fait pas le moine, et L'Opinion remarquait récemment que Jadot n'était peut être pas si « raisonnable ». Il serait même, lui-aussi, « radical », notamment sur les questions de société. Loin d'un libéralisme à la française, forcément conservateur, Jadot est effectivement pleinement libéral au sens international du terme. Jadot, c'est "Obama first". Sur le plan international, le candidat écolo ne cache d'ailleurs pas son atlantisme.
Jadot, une menace pour Hidalgo et... Macron
Alors pourquoi s'étonner d'un coup de la radicalité supposée de Yannick Jadot ? Car comme il nous l'a malicieusement retourné, s'il est radical, le candidat écolo l'est d'abord parce qu'il vise clairement l'Elysée. Qu'on se le dise : un écologiste souhaite devenir le prochain président de la République. Il faut mesurer aujourd'hui le chemin parcouru après tant de candidatures de témoignages du coté des écolos. Cette ambition de pouvoir fièrement affichée chez un écolo français détonne dans le paysage. Au point d'en inquiéter plus d'un.
Au PS, et dans l'entourage d'Anne Hidalgo, on fait carrément la gueule : Jadot ne faisait pas partie des plans de la maire de Paris pour les prochains mois. Comme première magistrat de la capitale, elle sait que la sociologie de ses électeurs est exactement la même que celle de Jadot. Ces cadres soucieux de manger bio, et soucieux de l'avenir de la planète, et leurs enfants et ados, parfois étudiants, qui se sont mis à manifester pour le climat depuis le début du quinquennat à grands renforts de mobilisation internationale.
Mais Jadot devrait inquiéter (et inquiète en réalité) Emmanuel Macron. Car l'homme du « en même temps » espérait encore il y a peu de temps rassembler autour de lui ce « camp de la raison » version 2021, c'est-à-dire moins proche d'un Alain Minc balladurisé que de toute cette jeunesse hipster qui a pris l'habitude, avant la pandémie, de prendre l'avion comme on prend le taxi, et d'avoir endossé la conscience du « village global ». Ces héritiers de la mondialisation heureuse penchent justement très fortement vers Jadot et les écolos, et ne goûtent guère les opérations de triangulation droitière, à base de gros clins d'oeil vers les fans de Zemmour, de l'actuel hôte de l'Elysée. Bref, Jadot marche en partie sur la jambe « gauche » de Macron, et pourrait lui ravir les fameux voix du PS qui s'étaient partagées en 2017 entre lui et Mélenchon. Seul bémol pour Jadot : si le candidat écolo a raflé de justesse sa candidature présidentielle, il n'en récupère pas, pour autant, une dynamique dans les sondages.
Barnier, la force tranquille
Mais si cela ne suffisait pas pour Emmanuel Macron, une autre surprise est en train d'arriver chez les Républicains. Car Michel Barnier, l'européen, le savoyard, l'homme de 70 ans, d'expérience, et forcément rassurant, est en train, lui, de faire tranquillement son trou dans sa famille politique. Sans qu'on n'y prenne garde, cet ancien ministre de l'Environnement est en train de prendre la posture de l'homme du recours pour son camp. Son image de présidentiable n'est pas à faire, son expérience internationale est là, et sans bruit, Barnier a réussi à mobiliser autour de lui tout un réseau d'élus et de hauts cadres des LR. Notamment une partie des chiraquiens historiques, les mêmes qui soutenaient il y a quelques mois une candidature présidentielle de François Baroin ou qui laissaient dire que Dominique de Villepin pourrait se décider à y aller. Car cette chiraquie canal historique, toujours présente lors des dernières élections présidentielles, est loin d'avoir dit son dernier mot.
Si certains d'entre eux jouent double jeu à l'égard de Macron (et de Barnier), d'autres sont plus convaincus de la nécessité d'une alternative, et donc d'une alternance. C'est également dans ce sens qu'il faut voir le soutien qu'apporte Laurent Wauquiez à Michel Barnier. Un soutien qui a surpris plus d'un dans les rédactions parisiennes qui voyaient déjà l'auvergnat partir à l'assaut de l'Elysée (mais pour Wauquiez, l'objectif serait Matignon, tant sous un futur quinquennat Barnier qu'un nouveau quinquennat Macron).
L'hypothèse Barnier se renforce. Car telle une force tranquille, l'ancien commissaire européen a pris tranquillement trois à quatre points dans les sondages de premier tour depuis l'annonce de sa candidature fin août lors d'un duplex sur TF1. Et voilà donc la deuxième surprise pour Emmanuel Macron, la deuxième mauvaise nouvelle. Car Barnier pourrait réussir à reconstituer une droite en mal de boussole (et parfois tentée par l'alliance des droites à la Buisson proposée par un Zemmour), et de fait, marcher sur la jambe droite de Macron. Barnier comme Jadot sont en tout cas deux gros grains de sable dans la « stratégie » de l'émiettement politique que certains formalisaient encore il y a peu du côté de la macronie. Une bonne nouvelle pour tout le monde toutefois : la présidentielle a enfin commencé.
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