Prélèvement à la source : bataille de chiffres sur les rentrées fiscales

Par Grégoire Normand  |   |  1137  mots
"Le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu est très bon, il est de près de 98%", a déclaré M. Darmanin lors d'une conférence de presse visant à faire un "point d'étape" sur la mise en œuvre de la réforme. Elle entrera en vigueur en janvier 2019. (Crédits : Charles Platiau)
Le gouvernement espère améliorer de près de 700 millions d'euros les rentrées fiscales liées à l'impôt sur le revenu grâce à la réforme du prélèvement à la source, a assuré mardi 6 octobre le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin. De son côté, la Cour des comptes émet de sérieux doutes sur le rendement de ce mode de collecte.

L'échéance approche à grand pas. Dans l'Hôtel des ministres à Bercy, le compte à rebours, situé près du bureau du ministre de l'Action et des comptes publics Gérald Darmanin, affiche sur un écran, en temps réel, les 55 jours restant avant la mise en place du prélèvement à la source le 2 janvier prochain. Lors d'un point presse organisé ce mardi 6 novembre, le jeune ministre issu des rangs des Républicains était en opération déminage. Après plusieurs mois de débats et de polémiques, Gérald Darmanin a assuré que "tout se passe convenablement." Il a expliqué par ailleurs que le niveau de sécurité était assuré. "L'ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information) a lancé des audits afin de tester la robustesse en matière de sécurité informatique des systèmes de la DGFiP et de Net-entreprises. L'agence se déclare confiante sur le système de protection actuel qui est largement sécurisé et sous contrôle."

Entouré de l'état major de la direction générale des finances publiques et celui des Ursaff, il a assuré que "toutes les semaines se tenaient des réunions avec les différents services administratifs pour voir ce qui allait bien et ce qui n'allait pas bien." Le comité de suivi est là pour "suivre la bonne marche vers la cible de janvier et d'identifier les dernières difficultés éventuelles afin de les résoudre", assure Bercy. Mais derrière cet exercice de communication, le montant des recettes attendues grâce à la mise en place de ce nouveau système de collecte est loin de faire l'unanimité.

Gouvernement versus Cour des comptes

Lors du point presse, le responsable des comptes publics a indiqué qu'il espérait améliorer de près de 700 millions d'euros les rentrées fiscales liées à l'impôt sur le revenu grâce à cette réforme. "Le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu est très bon, il est de près de 98%", a-t-il assuré. Mais le "recouvrement des cotisations sociales", effectué via la déclaration sociale nominative (DSN), est plus important encore puisqu'on est à 99% de recouvrement", a poursuivi le ministre, estimant que ce système "empêchait quasiment la fraude".

Compte tenu de l'utilisation de la déclaration sociale nominative (DSN) pour la collecte d'impôt sur le revenu, qui sera retenu directement sur les salaires des contribuables, le ministère des Finances estime possible d'améliorer d'un point le recouvrement de l'impôt sur le revenu. Ce dernier rapporte environ 70 milliards d'euros par an. Par ailleurs, le ministre a expliqué que la déclaration est par principe obligatoire "mais près de 2,5% de la population omet chaque année de s'y soumettre, parfois à des fins frauduleuses, mais le plus souvent par erreur, certains contribuables non imposables estimant qu'elle n'est pas nécessaire lorsqu'on ne paye pas d'impôt", souligne l'AFP. "Nous pouvons donc attendre jusqu'à 700 millions d'euros de recettes fiscales supplémentaires, sans augmenter les impôts des Français, mais en allant chercher de l'impôt à la source", chez ceux qui devraient le payer, a expliqué Gérald Darmanin, citant notamment les contribuables n'effectuant pas de déclaration d'impôt.

Chez les magistrats de la Cour des comptes, les gains de recettes fiscales attendues par le prélèvement à la source sont beaucoup moins précis. Dans une annexe d'un rapport publié en juin dernier, l'institution publique mettait l'accent sur les incertitudes liées à cette réforme. Et le risque pesant sur les finances publiques est loin d'être négligeable. "Au total, les incertitudes sur le rendement du PAS en 2019 pourraient s'élever à 2 milliards d'euros environ, soit 0,1 point de PIB, à la hausse ou à la baisse."

Incertitudes sur le taux de recouvrement

Plusieurs facteurs expliquent les risques encourus pour les finances publiques. Le premier évoqué par les auteurs concerne le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu. Il s'élève actuellement à 95%. L'objectif est qu'il s'aligne à terme sur le taux de recouvrement des cotisations sociales du secteur privé (c'est à dire 99%). Or, il semble que les magistrats sont moins convaincus que les membres du gouvernement sur le rendement lié à ce mode de collecte.

"A court terme, il peut y avoir un délai de montée en charge, qui conduise à un taux plus faible la première année : le Gouvernement suppose ainsi qu'il s'établira à 97%. L'incertitude sur le taux de recouvrement qui sera réellement observé entraîne une incertitude significative sur le rendement de la mesure : si le taux se maintenait à 95%, il en résulterait une perte de recettes de l'ordre de 1,5 milliard d'euros ; à l'inverse, s'il atteignait 99% dès la première année, c'est un gain de 1,5 milliard d'euros qui serait enregistré."

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Le second facteur d'incertitude repose sur les possibilités de modulation du prélèvement à la source en cours d'année. En effet, la possibilité donnée aux contribuables de modifier leur taux, qui permet d'avoir une contemporanéité du prélèvement, pourrait alimenter le flou sur les recettes fiscales envisageables par l'exécutif. Outre les incertitudes pour les finances publiques, le ministre des comptes publics a également mentionné une estimation du coût de la réforme pour les entreprises. "Le coût de la mise en oeuvre de la réforme des entreprises avec la mise à jour des logiciels pourrait atteindre 350 millions d'euros pour les 1,7 million d'entreprises en France,"a-t-il précisé.

"Les trois quarts des erreurs sont liées aux contribuables"

Après avoir tenté de rassurer l'auditoire, l'ancien maire de Tourcoing a tout de même évoqué quelques inquiétudes. La première concerne "les personnes qui ne sont pas repérées dans les déclarations fiscales [...] Beaucoup de Français ne font pas de déclarations d'impôt sur revenu mais peuvent bénéficier d'un dégrèvement." Il a également cité des exemples de cas plus délicats à traiter comme les jeunes qui sortent du foyer fiscal de leurs parents, les personnes à l'étranger qui reviennent en France ou encore un certain nombre de professions indépendantes comme les médecins.

Enfin, Bercy a tenu a rappelé aux contribuables d'être vigilants sur la modulation des taux en cas d'évolution des revenus. Si cette mesure peut présenter des avantages, beaucoup de Français pourraient omettre ou oublier de modifier leur taux. Ce qui pourrait constituer également une difficulté supplémentaire à gérer pour l'administration fiscale. Malgré ces potentiels obstacles, Gérald Darmanin a rappelé que "dans le système actuel, sur les trois millions de réclamations reçues chaque année, les trois quarts des erreurs sont liées aux contribuables."