Président des villes, président des champs : de quoi Macron est-il le nom ?

Par César Armand  |   |  1253  mots
Quand le président s'invite au JT de Jean-Pierre Pernaut délocalisé à Berd'huis (Orne), une partie de ses opposants crient à la mise en scène. (Crédits : Reuters)
[Un an de présidence Macron] Le chef de l'État est-il « hanté par une haine de la province », comme l'avait qualifié Laurent Wauquiez, ou défend-t-il autant la ruralité qu'il le dit ? Selon BVA*, 80% des Français estiment qu'Emmanuel Macron ne conçoit pas la situation des zones rurales. En revanche, 68% des sondés jugent qu'il comprend celle des grandes villes.

« Aussi bien le président que son mouvement sont des hommes et des femmes de l'urbain, mais ça ne les empêche pas de comprendre la ruralité. » Autant il se situe dans l'opposition, autant le député centriste du Loir-et-Cher Maurice Leroy, ministre de la Ville de 2010 à 2012, tempère le qualificatif « président des villes » accolé à Emmanuel Macron.

Son collègue de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier, chargé du développement des ruralités au PS, dit, lui aussi, avoir « en horreur les positions caricaturales » :

« Son parcours personnel ne le rapproche pas spontanément du milieu rural mais je ne lui dénie pas le droit de porter cette préoccupation. Il démontre ces derniers temps qu'il n'y est pas indifférent. Je rêve d'une planification polycentrique afin que les services publics soient ré-humanisés et qu'ils maillent de façon raisonnable le territoire, plaide cet agriculteur engagé pour une tout autre décentralisation. L'État fixerait le cadre et les intercommunalités porteraient des schémas directeurs ainsi contractualisés. »

En revanche, Gil Avérous, maire de Châteauroux et président du comité des maires LR, considère que « dans ses expressions, sa politique, son comportement, Emmanuel Macron est coupé de la réalité des territoires », reprochant au chef de l'État « une mise en scène pour combler ce déficit » lorsqu'il s'invite au JT de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut délocalisé pour l'occasion dans la commune rurale de Berd'huis (Orne).

Regrettée réserve parlementaire

Le maire de Châteauroux accuse le chef de l'État d'avoir menti sur le financement des collectivités locales : « Quand il dit qu'aucune commune ne voit ses dotations baisser alors que deux tiers d'entre elles sont encore concernées cette année, je dis qu'il est déconnecté. Il n'assume pas et fait croire le contraire ! »

D'ailleurs, dès qu'il est question d'argent, la réserve parlementaire, supprimée dès l'été 2017, revient toujours sur la table : « Aujourd'hui, on n'a pas encore vu ce qui allait la remplacer, s'interroge Maurice Leroy. L'équipe de foot qui encadre les mômes, elle fait comment ? » À la différence de la députée (LRM) de Côte d'Or, Yolaine de Courson, qui estime que « c'était malsain de distribuer trois francs six sous ».

« C'est le rôle des entreprises de gagner de l'argent et d'aider les associations à expérimenter. Le député peut aider les gens à se rencontrer pour qu'ils se développent par eux-mêmes. Chez moi, on a fait la Maison de l'Audace pour créer des synergies entre les différents acteurs. »

Sur le fond des problèmes, la présidente du groupe d'études Ruralité de l'Assemblée nationale entend bien « s'attaquer à tous les sujets en examinant les textes de loi sous un angle rural, ne s'interdisant pas de déposer des propositions de loi pour le développement de nos territoires », convaincue que « beaucoup de personnes peuvent revenir si le développement rural est au rendez-vous sur l'emploi, la santé et le numérique ».

Des situations ubuesques

Dans « l'attente de mesures réelles », Maurice Leroy a, lui, déposé une proposition de loi sur la démographie médicale, défendant un État fort disant aux médecins : « Vous êtes libres d'aller où vous voulez mais vous ne serez plus conventionnés en cas de surpopulation médicale. » Dans la majorité présidentielle, Yolaine de Courson perçoit, au contraire, « un problème général de transformation de la médecine » :

« Le modèle du médecin travaillant douze heures chez lui c'est fini. Beaucoup, notamment les femmes, veulent travailler en collaboratif. »

Quant à Gil Avérous, il relève une situation « ubuesque » :

« L'autorité régionale de santé (ARS) trouve le moyen de zoner 40% de notre département dans lesquels elle donne des primes de 50.000 euros à l'installation, mais quand les médecins veulent bien venir chez moi, ils n'ont pas cette prime », tempête l'élu local qui doit avancer cette somme sur les fonds propres de son agglomération.

La limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes départementales, dès le 1er juillet prochain, a également irrité les élus locaux. Le maire de Châteauroux considère « qu'on [lui] rajoute de l'éloignement » :

« On n'a pas de LGV, on a des trains pourris et on a des travaux car les lignes n'ont pas été entretenues. Avant, on était à 1h50 de Paris, et maintenant à 2h13. »

D'après Maurice Leroy, qui regrette une erreur de communication politique, « il aurait suffi de dire une chose : le préfet décide de la limitation de vitesse sur les routes après avis du président du conseil départemental. »

Image d'Épinal

Des arguments rejetés par Yolaine de Courson : « Chaque fois qu'il y a un truc sur la sécurité, tout le monde hurle. Or rien que de baisser d'1 % la vitesse, on diminue de 4% le nombre de morts sur la route ». Comme par Marc Fesneau, président du groupe MoDem au Palais Bourbon :

« Dans la politique qu'on porte, je ne vois pas d'attaque frontale contre les territoires ruraux. Ce n'est pas que des fumeurs ou des gens qui roulent vite ! L'opposition les confine dans cette image d'Épinal alors que ce n'est pas leur rendre service. Ils s'en servent politiquement, mais les desservent en pratique. »

À y regarder de plus près, il est surtout question de l'industrie automobile et de son poids dans l'économie française. Sous sa casquette de président de Châteauroux Métropole, Gil Avérous craint en effet la fermeture de l'usine AR Industries, dernière usine hexagonale de fabrication de jantes aluminium.

« On est en sous-capacité de production mondiale mais on est en difficulté. On a été reçus par des conseillers de Bruno Le Maire mais il n'y a pas de résultat. L'État est actionnaire de Renault et pourrait garantir un prix d'achat raisonnable ! »

Aux dernières nouvelles, seul le groupe britannique GFG Alliance s'est positionné pour reprendre l'entreprise actuellement en liquidation judiciaire et dit justement avoir trouvé un accord avec Renault et PSA. Ce ne sont plus « 400 gars qui risquent de se retrouver sur le carreau », comme le redoute l'élu local, mais 90% du personnel qui devrait être sauvé. L'audience devant le tribunal de commerce d'Orléans, initialement prévue le 17 avril dernier, a été reportée et le repreneur devrait déposer son offre le 15 mai prochain.

Dernier sujet et non des moindres : la création de l'Agence nationale des territoires. Promise par le président dès le 17 juillet 2017 lors de la première Conférence nationale des territoires, elle devrait enfin voir le jour dans les prochains mois. Le préfet Serge Morvan, cinquième commissaire général en quatre ans au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) arrivé le 24 avril dernier, doit la mettre sur les rails d'ici à fin mai.

Il y a fort à parier néanmoins qu'aux yeux de l'opposition, ne serait-ce qu'au regard des résultats électoraux de la majorité présidentielle dans les villes, il sera attendu du « provincial monté à Paris à 16 ans », tel qu'Emmanuel Macron se définit, qu'il donne encore et toujours des preuves d'amour aux territoires ruraux.

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(*) Sondage BVA - La Tribune - RTL - Presse régionale -Orange "Mai 2017 - mai 2018 : bilan de la première année d'Emmanuel Macron à l'Élysée" réalisé par Internet du 18 au 19 avril 2018 auprès de 1.011 Français âgés de 18 ans et plus.