Présidentielle 2017 : quatre choses à savoir avant de lire un sondage

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  1350  mots
"Les campagnes ne se terminent que lorsque les bureaux de votes sont fermés. Des électeurs peuvent décider d'aller voter le jour du scrutin à 16 heures. Les taux estimés par les instituts sont davantage un niveau plancher de participation", explique Martial Foucault, directeur du Cevipof.
Pointés du doigt lors des derniers scrutins, les sondages nécessitent d'être manipulés avec précautions si l'on veut en déceler les enseignements. Méthode employée, taux de participation prévu etc., sont autant d'éléments à prendre en compte avant de formuler une analyse.

A dix jours du premier tour, les commandes s'enchaînent dans les instituts de sondage. Pas un jour ne passe sans publication d'une enquête d'opinion. Mélenchon confirme-t-il sa troisième place ? Quel candidat est le mieux placé pour faire face à Marine Le Pen au second tour ? Tout le monde s'agite et veut des résultats, des données à analyser, surtout à commenter, que ce soit sur les plateaux télé ou aux repas de famille.

Pourtant, on le sait, les sondages sur les intentions de vote ne doivent pas être pris au pied de la lettre, au risque de se livrer à des interprétations faussées et de faire une erreur monumentale à l'issu du scrutin. Les surprises récentes du Brexit et de la victoire de Donald Trump en sont les meilleurs exemples. Dans ces conditions, il est de bon ton de rappeler quelques précautions d'usage avant de se lancer dans une lecture rectiligne des intentions de vote présentées à un instant donné.

1. Vérifier la méthodologie

"L'enquête a été réalisée en ligne du x au x avril auprès d'un échantillon de personnes inscrites sur les listes électorales représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas."

Cette mention, souvent inscrite en bas de page et précédée d'un astérisque, indique la méthode employée pour la réalisation du sondage. Il faut s'assurer que l'enquête a bien été réalisée "en ligne" ou par "téléphone", et non pas sur les réseaux sociaux comme certains le pratiquent.

La Commission des sondages avait d'ailleurs pointé du doigt l'institut Brand Analytics, dont l'étude avait été publié sur le site Sputniknews. Faite à partir des réseaux sociaux, cette enquête n'a pas été réalisée sur la base d'un "échantillon représentatif", autrement dit d'une base d'interrogés dont les caractéristiques socio-démographiques représentent la population française.

Un sondage sérieux doit présenter autant de jeunes et de seniors, de cadres et d'ouvriers, de ruraux et d'urbains... qu'il en existe parmi les Français majeurs et inscrits sur les listes électorales.

2. Garder en tête la marge d'erreur et "l'intervalle de confiance"

Vient ensuite la question du nombre de personnes comprises dans l'échantillon. Car selon si ce sont 10.000 ou 1.000 personnes qui sont interrogées, la marge d'erreur n'est pas du tout la même. Dans le premier cas, elle est de 0,5 point, dans le second elle est de 3 points !

Les instituts "ne prennent pas les bords inférieurs et supérieurs des intentions de vote, ce qu'on appelle 'l'intervalle de confiance', mais font une moyenne", explique Martial Foucault, directeur du Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Par exemple, dans le sondage Opinion Way/ORPI pour Les Echos et Radio Classique publié ce mercredi, Marine Le Pen est donnée première avec 24% des intentions de vote. Le sondage est réalisé auprès de 1.395 personnes, la marge d'erreur est donc d'environ 3 points. Si les électeurs devaient voter aujourd'hui, le score de la candidate frontiste serait compris entre 21% et 27%.

"Présenter les résultats de cette manière est plus rigoureux mais moins sexy", confesse Martial Foucault, car "la marge d'erreur des intentions de vote d'un candidat chevauche celle d'un autre et il serait impossible de faire un classement". En effet, François Fillon étant crédité de 20%, l'intervalle de confiance étant, il pourrait rassembler au pire 17%, au mieux 23% des voix. Dans le second cas, il dépasse de deux points la fourchette basse des intentions de vote de Marine Le Pen.

Dans ces conditions, impossible alors de hiérarchiser des candidats séparés par moins de six points. Le match va bien se jouer dans un mouchoir de poche entre Marine Le Pen (24%), Emmanuel Macron (23%), François Fillon (20%) et Jean-Luc Mélenchon (18%). Réaliser une enquête sur un échantillon de 10.000 personnes réduirait l'intervalle de confiance et donnerait une vision plus précise, mais cela a un coût, que les clients (en particulier les médias) ne sont pas toujours prêts à payer.

3. La réserve de votes des abstentionnistes

Chaque sondage donne un taux de participation, représentant la part des électeurs qui se disent "certains" d'aller voter, et dont il faut porter une attention particulière. Les dernières enquêtes donnent autour de 65% d'inscrits sûrs de se déplacer aux urnes.

Dans le détail, lorsque les sondés remplissent leur questionnaire, il leur est demandé, sur une échelle de 0 à 10, s'ils comptent aller voter le 23 avril. Or, seules les intentions de vote de ceux qui ont déclaré "10", autrement dit ceux qui sont sûrs à 100% d'aller voter, sont comptabilisés (le choix varie selon les instituts, certains incluent ceux qui ont déclaré 9).

Pour autant, les 35% restant, les indécis, ne sont pas figés. "On note une progression, des électeurs qui donnaient la note de 6 il y a trois mois sont aujourd'hui à 8", indique Martial Foucault.

"Le niveau de participation est très compliqué à mesurer", explique le directeur du Cevipof. "Les campagnes ne se terminent que lorsque les bureaux de votes sont fermés. Des électeurs peuvent décider d'aller voter le jour du scrutin à 16 heures. Les taux estimés par les instituts sont davantage un niveau plancher de participation."

A l'approche du scrutin, les choix des indécis commencent à se dessiner. Mais s'il n'est pas certain que ceux qui ont donné les notes de "8" ou "9" se déplaceront aux urnes, leur participation est tout de même très probable, en tout cas beaucoup plus que ceux qui ont répondu "3" ou "4".

Le directeur du Cevipof plaide pour la publication de deux types de résultats : les intentions de votes de ceux qui sont "certains" (10), et celles de ceux qui sont "certains" et "plutôt certains" (8, 9 et 10). D'autant que, dans la seconde configuration, les intentions de vote augmentent en particulier en faveur de François Fillon, puis d'Emmanuel Macron. En revanche, elles baissent pour Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Quant à Marine Le Pen, elles restent stables, voire déclinent très légèrement.

Il y a donc "une réserve de voix importante dans l'abstention pour François Fillon", note Martial Foucault. "Sa dynamique est mal anticipée", estime-t-il.

4. Compléter l'analyse avec des enquêtes sur le "souhait de victoire" et le "pronostic"

Très souvent, les médias se concentrent sur les intentions de vote. Or, "pour être rigoureux, il faudrait compléter par deux autres données : le souhait et le pronostic de victoire", plaide à titre personnel Martial Foucault.

Ces trois variables peuvent parfois varier. Ainsi, par exemple à la veille du débat des 11 candidats sur BFMTV et CNews, les intentions de vote donnent Marine Le Pen et Emmanuel Macron à égalité avec 25% des voix, selon le sondage Ispos-Sopra Steria du 3 avril (réalisé auprès de 14.000 interrogés) pour le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde.

Or, à la question : "Parmi les candidats lequel souhaitez-vous voir gagner l'élection présidentielle ?", les données sont très différentes. Emmanuel Macron distance Marine Le Pen de 3 points, ce qui signifie que les électeurs de la candidate FN "pourraient décrocher au second tour", pointe Martial Foucault.

Enfin, le "pronostic de victoire" consiste à demander aux interrogés "quel candidat va remporter l'élection selon vous". Il s'agit d'une appréciation de la campagne de chaque candidat. Le Cevipof doit publier cette donnée la semaine prochaine.

Pour Martial Foucault, si "les astres sont alignés sur ces trois indicateurs, l'hypothèse sera plus proche de la réalité".