Retraites complémentaires : un bonus/malus sur les pensions dès 2019

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1366  mots
Dès 2019, les salariés de la génération nés en 1957 qui voudront prendre leur retraite à 62 ans se verront appliquer un abattement de 10% sur leurs pensions de retraites complémentaires.
Travailler plus pour éviter une décote sur sa pension de retraite complémentaire. C'est la disposition phare, applicable pour les générations nées à compter de 1957, de l'accord sur les retraites complémentaires Arrco/Agirc finalisé par le patronat et certains syndicats.

 Salariés du privé nés après 1956, votre pension de retraite va en prendre un coup... ou bien vous devrez différer votre fin de carrière! C'est en effet ce vendredi 30 octobre que les organisations patronales et syndicales se retrouvaient pour finaliser l'accord trouvé le 16 octobre pour "sauver" les régimes de retraites complémentaires du privé Arrco (ensemble des salariés) et Agirc (cadres). Trois organisations patronales (Medef, CGPME UPA) et trois organisations syndicales (CFDT, CFTC et CFE-CGC) ont apposé leurs paraphes. FO et la CGT étant opposés au texte, notamment en raison des abattements sur les pensions qu'il va entraîner à compter de 2019.

L'accord signé devrait permettre une économie de 6,1 milliards d'euros à l'horizon 2020, ce qui limiterait le déficit des régimes à 2,3 milliards d'euros à cette date. L'Agirc et l'Arrco ont vu leur déficit respectif se creuser à 1,985 milliard et 1,153 milliard d'euros en 2014.

Les mesures applicables dès 2016

Différentes mesures d'économies sont donc prévues, certaines applicables dès maintenant et d'autres dans trois ans.

Pour 2016, ce n'est pas un gel mais une sous-revalorisation des pensions que les partenaires sociaux ont acté. A partir de l'année prochaine, et ce pendant trois ans, les pensions seront en effet revalorisées d'un point de moins que l'inflation, avec tout de même une "clause plancher" pour empêcher une diminution. C'est, en réalité, la continuation d'une mesure actée depuis 2013 dans un précédent accord. La mesure est censée rapporter 2,1 milliards d'euros à l'horizon 2020. Mais ceci reste extrêmement théorique étant donné qu'il est très difficile de savoir quels seront les niveaux atteints par l'inflation. A cet égard, les partenaires sociaux avaient été déçus du rendement de la mesure de sous-revalorisation décidée en 2013 du fait, justement, du faible niveau de l'inflation.

Par ailleurs, toujours dès l'année prochaine, la date de revalorisation des pensions sera décalée du 1er avril au 1er novembre. Une mesure qui n'a l'air de rien mais qui pourrait permettre de "gagner" 1,3 milliard d'euros.

L'année prochaine également, et pour au moins trois ans - mais il y a de grandes chances que la mesure soit en réalité pérennisée -, le rendement des régimes va être diminué pour les futurs retraités, via l'octroi de moins de points de retraite acquis pour une même somme. Ceci pourrait permettre d'économiser 100 millions d'euros. Selon la CFDT, même avec un taux de rendement abaissé à environ 6 %, le système resterait tout de même attractif car un tel taux permet de financer en moyenne 16 années de retraite. C'est-à-dire qu'après 16 années de retraite, le pensionné aura récupéré toutes les cotisations versées durant sa carrière. Or, l'espérance de vie moyenne étant encore de 20 ans après l'âge de 60 ans, il resterait un « rab » de quelques années.

Par ailleurs, mais c'est encore très flou, l'accord prévoit de faire contribuer davantage à l'Agirc et à l'Arrco, les entreprises qui se séparent de leurs salariés "seniors". De fait, le texte prévoit que:

«Dans le cadre de la prochaine négociation nationale et interprofessionnelle relative au régime d'assurance-chômage, les organisations signataires s'engagent à proposer la mise en place d'une contribution aux régimes Agirc et Arrco, assise sur le montant des transactions accordées suite à la rupture du contrat de travail».

Cette disposition sera donc discutée lorsque les partenaires sociaux entameront, début 2016, la renégociation de la convention d'assurance chômage. Il s'agira de déterminer le taux de la contribution et l'âge minimal des salariés concernés. Il faudra aussi préciser quelles types de ruptures sont concernées. Car à la lecture du texte, ce n'est pas encore clair. Soit il s'agira des seuls licenciements ayant donné lieu à une transaction financière avec un salarié en échange de son renoncement à exercer un recours judiciaire, soit les ruptures conventionnelles seront aussi visées.

Cette idée avait été fortement défendue par la CFDT et FO durant la négociation.

Des abattements sur les pensions à compter de 2019

C'est la mesure pivot de l'accord: un dispositif de bonus/malus va être pratiqué sur les pensions de retraites complémentaires servies, afin d'inciter les salariés à liquider le plus tardivement possible leur retraite une fois qu'ils auront atteint l'âge légal requis et suffisamment cotisé. Ce dispositif s'appliquera pour la première fois à la génération née en 1957.

Concrètement, un salarié disposant de toutes ses annuités et qui déciderait de prendre  sa retraite à 62 ans, verrait sa retraite complémentaire amputée de 10% (la retraite de base n'est pas concernée) par an pendant deux voire trois ans, avant de pouvoir de nouveau obtenir une retraite à taux plein à 65 ans.

En revanche, si un salarié accepte de travailler quatre trimestres de plus et ne liquide sa retraite qu'à 63 ans, le malus serait annulé. Et, il bénéficiera même d'un bonus de 10% (uniquement pendant sa première année de retraite) s'il travaille jusqu'à 64 ans. Bonus qui grimpera à 20% (toujours pendant un an) pour trois ans de travail de plus et à 30% pour quatre ans de plus.

Les personnes pouvant partir dès 60 ans (carrières longues) et celles devant travailler au-delà de 62 ans pour avoir toutes leurs annuités seront également concernées par ce système, qui s'applique au maximum jusqu'à 67 ans.

En revanche, les nouveaux retraités exonérés de CSG seront dispensés - soit environ 30% des retraités -, et ceux qui sont soumis à son taux réduit pourront subir des décotes divisées par deux (soit 5%) pendant trois ans. Actuellement sont exonérés de CSG les retraités dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 10.633 euros pour une part et 16.311 euros pour deux parts en 2015. Au-dessus de ces plafonds, les retraités sont soumis à une CSG de 3,8 % ou de 6,6 % selon l'importance de leurs revenus. In fine, ce dispositif doit rapporter 500 millions d'euros en 2020.

Une autre mesure assez technique s'appliquera en 2019, elle visera ce que l'on nomme "le taux d'appel".  Ce taux d'appel passera de 125 % à 127 %, et cette augmentation de deux points sera supportée par les seules entreprises.  Elle devrait permettre des "rentrées" supplémentaires estimées entre 700 et 800 millions d'euros.

Pour comprendre, il faut savoir que les cotisations aux régimes complémentaires sont calculées via deux taux, le "taux contractuel" et le "taux d'appel". Le premier ouvre des droits réels: plus on cotise, plus on acquiert de points, plus la retraite sera élevée. En revanche, le "taux d'appel" - institué dans les années 1970 et qui est depuis le vrai taux de cotisation appliqué aux entreprises et aux salariés -  n'ouvre pas de droits supplémentaires. Il est supérieur au taux contractuel afin de remplir les caisses des régimes.

Enfin, les signataires ont décidé d'une nouvelle répartition dans les cotisations Agirc. Actuellement, 62 % de la cotisation est à la charge de l'employeur et 38 % repose sur le salariés. A compter de 2019, ce partage passera à 60/40, comme cela se pratique à l'Arrco.

L'accord prévoit également une fusion des régimes Agirc et Arrco à l'horizon 2019, ainsi qu'une négociation sur la définition de la notion de cadre.

Des économies hypothétiques

Ce texte, qui va faire couler beaucoup d'encre, donne un peu d'air aux régimes complémentaires sans régler les problèmes de fond. Les régimes seront encore en déficit en 2020. Certes, celui-ci sera moindre que si rien n'avait été fait. D'autres réformes sont donc à attendre, ce sera tout l'objet de la négociation de la fusion Arrco/Agirc.

Un autre élément étonne: la principale disposition de l'accord, l'introduction d'un dispositif de bonus/malus, est censée "rapporter" 500 millions d'euros en 2020. C'est peu comparé à la mesure de sous-revalorisation des pensions qui, elle, permet une économie de 2,1 milliards d'euros.

Autrement dit, la disposition de l'accord censée être la plus rentable est justement celle qui est aussi la plus hypothétique. Car comment prévoir avec certitude le niveau de l'inflation dans les trois prochaines années?