Smic, CSG, heures supp : une opération déminage à 10 milliards pour Macron

Par Grégoire Normand  |   |  1285  mots
(Crédits : Reuters/Yves Herman)
Lors de son intervention télévisée lundi 10 décembre, Emmanuel Macron a annoncé un arsenal de mesures en faveur des retraités et des travailleurs à bas revenus. Le président de la République veut clairement doper le pouvoir d'achat de ces catégories mais beaucoup de questions subsistent sur les conditions de financement de tous ces dispositifs.

Emmanuel Macron a décidé de passer à l'offensive pour le pouvoir d'achat. Après plusieurs semaines de mobilisation des "Gilets jaunes", le président a annoncé une série de mesures, assurant entendre "une colère juste" à bien des égards. Dans son allocution lundi 10 décembre, le chef de l'État a principalement visé les salariés autour du Smic et les retraités avec des dispositifs rapides à mettre en place.

Dans les prochains mois, Emmanuel Macron veut coordonner un vaste débat national auquel il a prévu d'associer le gouvernement, les parlementaires, les partenaires sociaux et les associations afin de bâtir "un nouveau contrat pour la Nation." Ce changement de méthode peut représenter un tournant dans la présidence d'Emmanuel Macron, parfois critiquée pour "son centralisme" et "sa verticalité du pouvoir." Cette stratégie d'apaisement, à plusieurs milliards d'euros, pourrait en revanche compromettre la promesse présidentielle de maîtrise de la dépense publique.

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100 euros en plus pour les salariés au Smic

« Le salaire d'un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu'il en coûte un euros de plus pour l'employeur » a déclaré le président de la République.

Cette annonce, qui a particulièrement marqué les esprits et parfois semé la confusion, ne correspond pas à une hausse du salaire horaire versé par les entreprises. L'annonce de Macron vise en fait à une accélération de la revalorisation de la prime d'activité, conjuguée à la baisse des cotisations chômage et maladie.

Dans son programme, Emmanuel Macron avait prévu que « tous les smicards qui bénéficient de la prime d'activité toucheront par exemple l'équivalent d'un 13e mois de salaire, soit 100 euros nets de plus chaque mois. » Le coup de pouce pour cette prestation n'aura pas les mêmes effets qu'une revalorisation du Smic pour les travailleurs rémunérés entre 0,5 et 1,2 Smic.

Actuellement, 2,6 millions de foyers bénéficient de ce dispositif largement critiqué par le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin il y a quelques mois et financé par les contribuables. « En 2016, quand la prime d'activité a été créée, c'était 4 milliards d'euros. Aujourd'hui, c'est 6, alors qu'on a une croissance économique et des créations d'emplois ». La montée en puissance de cette prestation dans les prochains mois pourrait accroître encore davantage cette somme.

Par ailleurs, la prime d'activité est soumise à un certain nombre de critères précis comme la composition et les revenus du foyer. Ce qui pourrait exclure des travailleurs.

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Défiscalisation des heures supplémentaires

La défiscalisation des heures supplémentaires annoncée par le chef de l'État avait été une mesure phare de Nicolas Sarkozy, symbole du "travailler plus pour gagner plus". Le dispositif avait été abrogé sous François Hollande avant un rétablissement partiel prévu pour le premier septembre 2019.

Le budget 2019 de la sécurité sociale prévoit, en effet, d'exonérer les salariés de payer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires conformément au programme présidentiel. Ce qui ne figurait pas en revanche, est la défiscalisation des heures supplémentaires. Le dispositif qui visait notamment à accroître le pouvoir d'achat des personnes qui travaillaient plus a représenté un manque à gagner pour les finances publiques évalué à 4,5 milliards d'euros par an pour l'État. Il a bénéficié à environ 9,5 millions de salariés pour un gain annuel de pouvoir d'achat de 450 euros selon un rapport parlementaire de 2011.

Annulation de la CSG pour les retraités modestes

Les retraités ont à plusieurs reprises exprimé leur colère depuis l'arrivé au pouvoir d'Emmanuel Macron avec la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG).

Pour apaiser ces mécontentements, le président de la République a annoncé que « pour ceux qui touchent moins de 2.000 euros par mois, nous annulerons en 2019 la hausse de CSG subie cette année ; l'effort qui leur a été demandé, était trop important et il n'était pas juste. »

Selon des chiffres communiqués par le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, 70% des retraités ne seront pas assujettis à la hausse de cet impôt contre 40% auparavant. En revanche, le président n'est pas revenu sur la désindexation des pensions de retraite sur l'inflation.

 Les entreprises sollicitées

Le chef de l'État multiplie les appels auprès des entreprises.

Dans son intervention, Emmanuel Macron a demandé « à tous les employeurs qui le peuvent, de verser une prime de fin d'année à leurs employés et cette prime n'aura à acquitter ni impôt ni charge. »

Cette mesure qui est facultative pourrait ainsi profiter aux salariés des entreprises en bonne santé mais de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) pourraient avoir des difficultés pour financer cette prime. Dans un communiqué, la confédération des PME (CPME) a bien expliqué que « si la prime défiscalisée et nette de charges, à l'initiative de l'employeur, est positive, il convient toutefois - pour éviter de laisser penser que l'ensemble des salariés en bénéficieront - de bien préciser que le nombre de PME en capacité de distribuer une prime de ce type restera malheureusement limité. »

Le locataire de l'Élysée a également indiqué que s'il ne voulait pas revenir sur l'impôt sur la fortune, symbole de crispation chez les "Gilets jaunes", il voulait concentrer ses efforts sur la lutte contre la fraude fiscale.

« Le dirigeant d'une entreprise française doit payer ses impôts en France et les grandes entreprises qui y font des profits doivent y payer l'impôt, c'est la simple justice. »

Financement : la grande inconnue

La multiplication de ces annonces a suscité de vives interrogations sur leurs financements. D'après les chiffres communiqués par le secrétaire d'État en charge de la fonction publique, Olivier Dussopt, ou de la ministre des Transports Élisabeth Borne, les coûts pourraient s'élever entre 8 et 10 milliards d'euros. Ce mardi après-midi, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin a précisé que "l 'arrêt de la taxation carbone pour 2019 [...] représente 4 milliards de recettes en moins [...] Les mesures annoncées par le président de la République sont autour de 6 milliards."

Interpellé à l'Assemblée nationale ce mardi après-midi, le Premier ministre Édouard Philippe a rappelé que l'accélération de la hausse de la prime d'activité "sera financée par l'État."

Pour la CSG, le ministre en charge du budget a ajouté que, "c'est un peu moins de deux milliards d'euros."  Sur les heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées, "c'est autour de 1,6 milliard d'euros". Enfin, pour la prime d'activité à 100 euros, il n'a pas avancé de somme. Le Président de la République a tout de même rappelé qu'un certain nombre de ces mesures étaient prévues "dans la trajectoire budgétaire."

Lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron a simplement évoqué que « nous répondrons à l'urgence économique et sociale par des mesures fortes, par des baisses d'impôts plus rapides, par une meilleure maîtrise des dépenses plutôt que par des reculs. »

Dans l'hypothèse d'une croissance au ralenti pour 2019, l'équation budgétaire pourrait se compliquer rapidement pour la majorité qui se prépare déjà au scrutin des élections européennes. La Commission européenne a d'ailleurs annoncé qu'elle va étudier attentivement l'impact budgétaire des mesures annoncées lundi dernier.

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