Brexit : l'accord de Theresa May a-t-il encore une chance ?

Par Guillaume du Payrat  |   |  1065  mots
Theresa May, la Première ministre britannique, devrait organiser un troisième vote sur son accord de sortie de l'UE mardi prochain. (Crédits : POOL)
Lors d'un vote à la Chambre des Communes hier soir, les députés britanniques ont massivement voté en faveur d'un report de la date du Brexit. Celui-ci pourrait être remis au 30 juin, voire à une date largement ultérieure pour permettre de nouvelles négociations avec l'UE. Theresa May, la Première ministre, a annoncé qu'elle demanderait un nouveau vote sur son accord de sortie mardi prochain, en espérant convaincre d'ici là les députés eurosceptiques qui s'y étaient opposés de changer d'avis. Explication des arguments en présence, avant les négociations de ce weekend.

La troisième fois sera-t-elle la bonne ? Après deux échecs cuisants, Theresa May a annoncé qu'elle présenterait encore une fois son accord de sortie de l'UE devant les députés, lors d'un vote mardi prochain à la Chambre des Communes. Et cette fois-ci, le sort pourrait lui sourire.

La menace d'un "no-Brexit" pourrait faire plier les eurosceptiques

C'est par un changement de tactique que la Première ministre semble avoir renforcé ses chances. Jusqu'au début de cette semaine, sa stratégie paraissait plutôt consister à effrayer les députés modérés avec la menace d'un "no deal", pour les pousser à soutenir son accord malgré leurs réticences. Mais ses tentatives avaient systématiquement été mises en échec par l'aile dure du parti conservateur, qui considéraient que l'accord négocié par le gouvernement allait à l'encontre de l'esprit du Brexit.

Theresa May a donc changé son fusil d'épaule, en dirigeant ses menaces contre ce même camp eurosceptique. Celui-ci est désormais face à l'alternative suivante : soutenir l'accord du gouvernement, ou prendre le risque de voir se rouvrir de longues négociations avec l'UE, reportant d'autant la date du Brexit. Avec, à la clef, la perspective d'un accord beaucoup plus modéré que celui de Theresa May, où l'Angleterre pourrait rester dans l'union douanière, voire le marché commun. Comble d'horreur pour les tories eurosceptiques et les unionistes nord-irlandais du DUP, cette nouvelle période pourrait d'ailleurs porter au pouvoir Jeremy Corbyn, le leader honni des travaillistes anglais.

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Le backstop reste au centre de la discorde

La capacité de Theresa May à dépasser les réticences des eurosceptiques reste incertaine. Selon des informations du Guardian, des discussions étaient en cours dans la journée de jeudi entre les deux parties. Le DUP, le parti unioniste nord-irlandais, a confirmé avoir repris les négociations, et aurait été rejoint par les députés conservateurs de l'European Research Group (ERG, eurosceptique) dont Jacob Rees-Mogg.

Le point au centre de la discussion est toujours le même. Les tenants d'un Brexit dur réclament à Theresa May l'assurance juridique que son accord ne bloquerait pas le Royaume-Uni dans une relation perpétuelle avec l'Union Européenne, notamment sur la question du "backstop" en Irlande du Nord. Après l'échec du premier vote sur l'accord le 15 janvier, Theresa May avait accepté de repartir négocier avec l'UE, alors que les Européens avaient fermement réaffirmé qu'ils refuseraient de donner un tel "ticket de sortie" au Royaume-Uni.

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Un mois plus tard, les discussions aboutissaient finalement sur des aménagements principalement formels, avec l'ajout d'un protocole à l'accord où les deux parties gageaient de leur bonne foi à sortir le plus rapidement possible de la période de transition.

Annoncées lundi soir par Theresa May et Jean-Claude Juncker, ces concessions n'ont pour l'instant pas convaincu les députés. Dans un avis juridique transmis mardi matin, l'attorney general Geoffrey Cox avait dû concéder que le nouveau protocole n'avait qu'une portée juridique "incertaine". En conséquence, une nouvelle défaite semblait inévitable pour l'accord, qui fut rejeté par une majorité de 149 députés mardi soir.

Bataille pour le contrôle du Brexit

Mais même cette deuxième débâcle ne semble pas suffire à enterrer définitivement le plan de May, dont l'improbable ténacité résiste encore aux forces centrifuges du Brexit. Les votes parlementaires de mercredi et jeudi ont placé les députés eurosceptiques dans une position de plus en plus inconfortable. Mercredi soir, le "no deal", que beaucoup d'entre eux appelaient de leur vœux, a été formellement rejeté par le parlement. Hier soir, May a pu remporter une petite bataille, en faisant adopter le report du Brexit sous sa motion. Elle solidifie l'alternative proposée aux députés : soit un report de courte durée, "technique", si son accord est finalement accepté ; soit un report beaucoup plus long, pour redéfinir entièrement le contenu du Brexit.

A ce jeu, les députés eurosceptiques ont parfaitement conscience du risque que le Brexit leur échappe. Une partie d'entre eux semble désormais désireuse de changer son vote, tout en cherchant un argument lui permettant de sauver la face. D'intenses débats ont donc repris sur l'interprétation de l'accord, et notamment du backstop irlandais, dans l'espoir de trouver une voie étroite permettant aux Brexiters de soutenir l'accord.

Une première solution a été avancée par les Brexiters, liée à l'article 62 de la Convention de Vienne (qui régit les traités internationaux). Celui-ci indique qu'un "changement majeur de circonstances" pourrait justifier la rupture d'un traité, mais de nombreux experts ont rapidement souligné qu'il serait totalement inapplicable au Brexit. L'ERG, qui rassemble les députés eurosceptiques, a finalement admis hier que la solution ne semblait pas praticable.

Les négociations se poursuivent ce weekend, avant le vote de mardi

Par ailleurs, le Guardian a rapporté que des pressions importantes sont exercées sur Geoffrey Cox, l'attorney general, pour qu'il réévalue son avis juridique sur l'accord. Les discussions entre le cabinet de May et le DUP ont repris vendredi après-midi, et devraient se poursuivre ce week-end en présence de Cox. Certains juristes tentent également d'avancer l'argument selon lequel le protocole ajouté à l'accord ce lundi apporterait des garanties juridiques nouvelles, et empêcherait que les Européens n'utilisent la perspective du backstop comme moyen de pression pour obtenir des concessions du Royaume-Uni.

Dernier élément pouvant entrer dans la balance, Theresa May pourrait proposer de démissionner d'ici la fin de l'année, en échange du soutien des députés conservateurs. Cette demande a déjà été formulée à plusieurs reprises par les députés, qui ont montré des signes de fronde de plus en plus réguliers.

En tout état de cause, les négociations de ce weekend pourraient s'avérer cruciales pour le futur même du Brexit. Theresa May pourrait en sortir renforcée, si elle remporte finalement l'approbation des députés sur son accord. Dans le cas contraire, elle a déclaré qu'elle rechercherait une extension plus longue des discussions avec les Européens. Mais aura-t-elle la légitimité pour les mener ?