En cas de Brexit dur, Calais, Douvres et Dunkerque s'attendent au pire

ENQUÊTE. Un Brexit dur devrait peser lourdement sur l'activité des ports français, déjà saturés, et les 5.500 entreprises régionales qui ont des liens avec le Royaume-Uni.
Le modèle économique des opérateurs transmanche Calais-Douvres dépend de la fluidité et du chemin le plus court.
Le modèle économique des opérateurs transmanche Calais-Douvres dépend de la fluidité et du chemin le plus court. (Crédits : Franck Crusiaux/REA)

Ils l'ont baptisé « grève du zèle ». Pendant près d'une semaine, les douaniers des ports de Calais et de Dunkerque - qui concentrent 95% du trafic transmanche - et d'Eurotunnel ont fait des contrôles plus « poussés », juste en appliquant strictement la législation actuelle... Cela s'est traduit immédiatement par des kilomètres de bouchons sur l'autoroute A16. Non seulement des centaines de poids lourds ont été contraints à l'arrêt mais les nouveaux arrivants ont été redirigés vers la Belgique, sur ordre de la préfecture. Une démonstration de force, qui préfigure le chaos que provoqueront les nouveaux contrôles douaniers instaurés par le Brexit à partir du 30 mars. En clair, la trentaine d'agents à Calais (travaillant au port et au tunnel) et la soixantaine à Dunkerque ne seront pas suffisants.

Même si les ministres en visite en janvier et en février - Édouard Philippe au port de Calais et Gérald Darmanin au port de Boulogne-sur-Mer - ont assuré du contraire. Certes, les services douaniers vont être renforcés à Dunkerque et à Calais, avec le recrutement de 200 douaniers supplémentaires, mais seulement au cours des trois prochaines années. « Quelques minutes avant la déclaration du Premier ministre, certaines personnes du cabinet m'affirmaient que le port de Calais ne serait pas prêt pour un Brexit dur [ndlr : une sortie sans accord] », lâche un des participants à la visite ministérielle calaisienne. Trois minutes d'attente au poste frontière provoquent 20 kilomètres d'embouteillages...

Des "mesures d'urgence"

Les ports de Calais et de Boulogne ont édifié les bâtiments d'accueil des nouveaux services douaniers et vétérinaires, notamment un parking de 250 places à Calais. À Dunkerque, un corridor sécurisé permettant d'absorber les files d'attente de camions a été aménagé sur trois voies. Mais ces « mesures d'urgence » seront-elles suffisantes ?Le sujet est politiquement brûlant : le modèle économique des opérateurs transmanche Calais-Douvres dépend de la fluidité et du chemin le plus court (90 minutes en ferry et 35 minutes avec le tunnel sous la Manche). Cet avantage compétitif a toujours fait la différence avec les ports concurrents en Belgique, comme Zeebruge ou Anvers.

Mais la perspective d'un Brexit dur et des heures d'attente pour franchir les ports nordistes pourrait changer la donne : même avec un temps de navigation plus long, les chargeurs pourraient opter pour les ports belges, qui, par ailleurs, font parfaitement du dédouanement.

D'après une étude du cabinet Cushman & Wakefield, deux corridors de transport vont se structurer : le premier, en lien avec le Brexit, devrait recentrer les chaînes d'approvisionnement britanniques sur le territoire national et ses propres ports ; le second est le corridor irlandais entre les ports de Dublin et Cork et ceux du Benelux.

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Les échanges entre les Hauts-de-France et le Royaume-Uni

(Infographie La Tribune. Sources : CCI Hauts-de-France, Norlink.)

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Congestion régulière

C'est d'autant plus problématique que le port de Calais souffre déjà d'une congestion régulière depuis quelques années. « Toutes les semaines, mes camions sont bloqués », grince David Sagnard, à la tête des Transports Carpentier, installés à Calais, et président de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR) du Pas-de-Calais. Les flux se concentrent sur certains jours de la semaine : les camions chargeant lundi ou mardi en France ou en Europe, les hausses de trafic au port ont lieu jeudi, vendredi et samedi.

Parallèlement, le renforcement des contrôles anti-immigration a allongé le temps de passage : à Calais, pour franchir le poste-frontière, chaque camion passe désormais, systématiquement, devant une sorte de « scan » qui détecte les présences humaines, avant d'être inspecté par les chiens de la douane.

Limité en surface, le port de Calais n'a pas la capacité de recevoir les quelque 4.000 camions qu'il voit défiler chaque jour. Même avec le parking de 400 places aménagé il y a quelques années, le port n'est capable d'accueillir que 10% du flux.

« On nous demande d'anticiper le Brexit, mais nous ne savons pas quoi prévoir : à quelques jours d'une échéance aussi cruciale, cela me semble un peu léger », se lamente le transporteur David Sagnard. « Aujourd'hui, un camion à l'arrêt me coûte 1 euro la minute : quand il est bloqué une heure au port de Calais, je peux encore prendre 60 euros sur ma marge. Mais demain ? Si les camions sont bloqués deux jours, je vais devoir répercuter le manque à gagner... »

Nourriture et médicaments

« Le vrai problème, c'est que 85% des clients du port de Calais ne sont pas Français. C'est ce que redoutent de nombreux acteurs », confie une source proche du Port de Calais.

« Si le transporteur polonais ou tchèque arrive à la douane sans avoir fait ses déclarations au préalable, cela va ralentir le passage, sachant que, pour que la TVA soit liquidée à l'export, elle doit être faite dans le pays d'origine, donc en Union européenne. »

De l'autre côté de la Manche, Douvres n'est pas mieux loti. Minuscule, le port est simplement constitué d'un terre-plein qui débouche sur l'autoroute. Avec le Brexit dur, un camion qui n'aurait pas son code-barres de dédouanement ne pourra pas sortir du port.

Face à cette situation déjà compliquée aujourd'hui, les Britanniques veulent assurer la fluidité coûte que coûte. Sans plan d'urgence, le gouvernement craint que les livraisons de nourriture et de médicaments ne soient retardées : les Britanniques sont en effet de grands importateurs. Le top des exports des Hauts-de-France vers le Royaume-Uni se faisant dans les secteurs de la parfumerie, des produits chimiques et des matières sidérurgiques, des produits automobiles et de l'agroalimentaire, selon une étude réalisée par la CCI Hauts-de-France.

Plan de secours

L'Angleterre a donc élaboré un plan d'aide pour deux compagnies maritimes (51,7 millions d'euros à la société française Brittany Ferries, 52,5 millions d'euros à la danoise DFDS), en cas de Brexit dur, pour renforcer le trafic transmanche et contourner Calais.

Un plan que Chris Grayling, le secrétaire d'État britannique aux Transports, s'était bien gardé de dévoiler lors de sa dernière visite à Jean-Marc Puissesseau, à la tête de la société d'exploitation des deux ports : ce dernier a confié au Daily Telegraph que c'était un « manque de respect ».

Jacques Gounon, directeur général de Getlink (ex-Eurotunnel), était aussi en colère : Getlink voulait même attaquer le gouvernement britannique pour cet accord « source de distorsion et anticoncurrentiel » et de « violation unilatérale de l'accord de concession avec Eurotunnel ». Un accord à l'amiable a été trouvé, avec le versement d'une aide de 38,3 millions d'euros. Contactés par La Tribune, ni Jacques Gounon, ni Jean-Marc Puissesseau n'ont donné suite à notre demande d'interview.

Au-delà des côtes britanniques, de nombreux lobbyistes comptent faire partir et arriver le trafic d'Irlande. La Commission européenne avait même proposé cet été un nouvel itinéraire maritime pour relier l'Irlande au continent, en oubliant au passage les ports français... Avant d'opérer un recul dans les règles.

"Frontière intelligente"

 Dans les Hauts-de-France, les initiatives se multiplient. Les CCI et le conseil régional organisent régulièrement des réunions d'information, encourageant les entreprises concernées, surtout des PME et PMI, à se renseigner auprès du service des douanes. Une « frontière intelligente » sera opérationnelle dès le 30 mars : le service permettra d'automatiser le passage des poids lourds à la frontière avec un code-barres réalisé en amont pour éviter un arrêt des poids lourds.

Un Channel Pass va être intégré dans le service de « Cargo Community System » (CCS), connectant tous les acteurs portuaires : cet outil va permettre d'échanger les documents dématérialisés, de suivre les statuts des marchandises, de gérer les demandes de transfert d'un terminal d'embarquement à un autre mais aussi les demandes de visite des services de douane, vétérinaire et phytosanitaire.

Et puis il reste l'espoir que les négociations aillent jusqu'au bout. Pour Olivier Thouard, responsable Douane Gefco France et président du groupe de travail « Brexit » TLF & TLF Overseas, « il est encore possible qu'un accord soit trouvé in extremis, le 29 mars à minuit moins le quart ».

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Commentaires 3
à écrit le 17/03/2019 à 21:14
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Pas de boulot ça couine , trop de boulot ça braille ....quel pays !

à écrit le 17/03/2019 à 16:58
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La douane devrait communiquer ses salaires et les avantages annexes et le citoyen pourrait alors comprendre la situation réelle de ces fonctionnaires bien lotis. Grève du zèle opportuniste à mon sens

à écrit le 15/03/2019 à 16:28
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C'est très européiste comme comportement le "il n'y a pas d'alternative" ils le croient jusqu'au bout des ongles ils n'ont pas encore compris que c'était juste une directive des marchés financiers et qu'en fait des alternatives il y en a pléthore. ...

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