L'orientation du prix du pétrole de plus en plus dépendante de la Chine et des Etats-Unis

Par Robert Jules  |   |  1489  mots
(Crédits : Reuters)
Les deux plus importants exportateurs de pétrole, l'Arabie saoudite et la Russie, sous sanctions, préfèrent réduire leur part de marché et soutenir les prix alors que la consommation mondiale atteint un record historique. Une décision en partie motivée par l'orientation du marché pétrolier, qui subit de plus en plus les effets de la transition énergétique en Chine et de la hausse de la production de pétrole aux Etats-Unis qui atteint des records.

Mieux vaut prévenir que guérir. La baisse jusqu'à la fin de l'année des productions saoudienne et russe, respectivement de 1 mb/j (million de barils par jour) et 300.000 b/j vise à anticiper une potentielle baisse des cours. Si la décision a fait remonter le cours du Brent au-dessus des 90 dollars, au plus haut depuis 10 mois, sur un an la hausse n'est que de 2%. Depuis son pic atteint début novembre 2022, à quelque 97 dollars, le cours du Brent avait chuté à 73 dollars à la mi-juin, malgré les restrictions des quotas de l'Opep+. Il a fallu que l'Arabie Saoudite annonce sa coupe unilatérale pour que le baril regagne depuis 17 dollars.

Si la coupe affecte négativement les pays consommateurs, qui doivent déjà subir un niveau d'inflation inédit depuis quatre décennies et un ralentissement voire une récession de leurs économies, elle est en revanche nécessaire pour les pays exportateurs partenaires de l'Opep+.

La rente pétrolière est vitale pour les pays exportateurs

La rente pétrolière et gazière est vitale pour leurs budgets publics et donc la cohésion sociale. Pour sa part, la Russie, isolée sur la scène internationale et commerciale en raison des sanctions appliquées contre elle, doit optimiser ses revenus pour soutenir son effort de guerre qui se prolonge en Ukraine. De son côté, Riyad a besoin de financer sa transition énergétique, visant une économie moderne qui ne repose plus sur la rente des hydrocarbures mais sur des secteurs comme le tourisme, les services ainsi qu'une industrie tournée vers les activités d'avenir.

En attendant, les nouvelles coupes annoncées apparaissent de prime abord paradoxales. En effet, la demande croissante de pétrole devrait mécaniquement soutenir les cours. Cette année, la planète devrait brûler un volume record de 102,2 mb/j, soit 2,2 mb/j de plus qu'en 2022, selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Et même si elle ralentira l'année prochaine, cette demande mondiale est prévue d'augmenter de 1 mb/j, à 103,2 mb/j, encore un record.

Mais le paradoxe s'explique par l'évolution de la structure du marché pétrolier, si l'on prend en compte la situation des Etats-Unis et de la Chine, respectivement premier et deuxième consommateur mondial de pétrole.

70% de la hausse de la demande mondiale

Même si la république populaire doit gérer une grave crise immobilière, un secteur qui pèse un quart du PIB du pays, et affiche des indicateurs plutôt déprimés, notamment sur la production manufacturière et les exportations, elle a augmenté ses importations de brut de 12,4 % sur les sept premiers mois de l'année, par rapport à la même période de 2022, selon les données officielles. A elle seule, elle représentera 70% de la hausse de la demande mondiale cette année, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Mais la nature de ces nouveaux besoins est spécifique. Dans un entretien à CNBC, Carlos Pascual, expert de l'énergie chez S&P Global Commodity Insights, a expliqué que la reprise de la demande pétrolière chinoise s'expliquait d'abord par les voyages en Chine qui ont boosté la demande de kérosène. Une tendance qui se retrouve à l'échelle mondiale : selon l'AIE, la demande mondiale de kérosène va augmenter de 16,2% en 2023 par rapport à 2022, et celle de naphta à destination du secteur de la pétrochimie (plastiques, cosmétiques, synthétiques, médicaments...), de 5,3%,

Contrairement aux Etats-Unis, la Chine, pourtant cinquième producteur mondial de pétrole, est extrêmement dépendante des importations. Entre 2012 et 2022, sa consommation a augmenté de 42% pour atteindre 14,29 mb/j. Sur la même période, sa production est restée quasiment stable. En 2022, elle s'affichait à 4,11 mb/j, les compagnies locales investissant pour optimiser la production de champs en voie de déclin. En toute logique, pour subvenir à ses besoins, la part de ses achats internationaux de pétrole est passée de 58,7 % en 2012 à 71,2% en 2022, une situation qui fragilise la Chine, la poussant à renforcer ses relations avec ses premiers fournisseurs, ceux du Moyen Orient, en particulier l'Arabie saoudite, et, depuis la guerre en Ukraine, de la Russie. Pour Pékin, la sécurisation de son approvisionnement prime sur le niveau des cours du baril.

En dix ans, la production des Etats-Unis a bondi de 82,2 %

La situation est différente pour les Etats-Unis. La consommation y a augmenté de 10,6% entre 2012 et 2022, pour atteindre 19,14 mb/j tandis que sa production a bondi de  82,2 %, à 11,88 mb/j, selon les chiffres du Statistical Review of World Energy 2023. « En raison d'une productivité meilleure que prévu et des prix élevés des cours du brut, la production de pétrole des Etats-Unis devrait atteindre 12,8 mb/j en 2023 et 13,1 mb/j en 2024, deux records historiques de production », indique ainsi ce mois-ci l'Agence d'information sur l'énergie américaine (EIA). Pour la première économie du monde, le problème est moins le volume que le niveau de cours du baril. En effet, le prix de l'essence à la pompe, moins taxée outre Atlantique et beaucoup plus sensible à l'évolution du prix du brut, est un marqueur politique.

Ainsi, avant les élections de mi-mandat, Joe Biden s'était résolu à se rendre à Riyad pour demander au prince héritier Mohammed ben Salmane d'augmenter la production du royaume. Sans avoir obtenu satisfaction, le président américain avait dû puiser dans les stocks stratégiques du pays pour calmer l'envolée des prix du gallon d'essence, qui à plus de 5 dollars, avaient atteint des niveaux historiques. La problématique des prix du brut avait d'ailleurs poussé l'administration Biden à proposer dans le cadre des sanctions d'imposer à Moscou un plafonnement des prix des exportations de brut russe - à 60 dollars le baril de préférence - à l'embargo appliqué par l'Union européenne. Le mécanisme choisi par le G7 et ses alliés a permis d'éviter la flambée des prix qu'aurait provoqué un retrait du brut russe du marché international.

Outre la pression exercée sur la production par les volumes américains, Moscou et Riyad voient aussi leur meilleur client, la Chine, chercher à réduire l'utilisation de pétrole. Il y a déjà le ralentissement de l'économie et l'absence d'un plan massif de relance. Alors qu'elle n'avait atteint que 3% en 2022, au plus bas depuis des décennies hors la période exceptionnelle du Covid-19, elle devrait atteindre 5,2% cette année selon le FMI, et 4,5% en 2024.

La Chine investit dans les énergies renouvelables

Surtout, la Chine investit dans les alternatives. Au début du mois d'août, Zhou Yan, un responsable de Sinopec, première entreprise de raffinage et de distribution de produits pétroliers du pays, a affirmé que le pic de la demande d'essence sera atteint cette année dans le pays, soit deux ans avant la prévision initiale, permettant d'économiser dès cette année 15 millions de tonnes de pétrole, soit l'équivalent de 300.000 b/j. Une économie qui résulte de l'effort de la Chine pour se positionner comme leader sur le marché des voitures électriques et hybrides. Ces modèles ont représenté 27% des ventes totales de voitures en mai sur le marché local avec 480.000 unités écoulées, ventes qui enregistrent aujourd'hui une croissance à deux chiffres (+48% sur un an).

La demande de pétrole chinoise est également dépendante de celle du gaz naturel, moins polluant, qui se substitue au pétrole dans certaines utilisations. Selon les données officielles chinoises, sur le premier semestre de cette année, la consommation de la Chine a augmenté de 5,6% sur un an, à 194 milliards de m3. Elle a été alimentée par la production locale, qui a fourni 115,5 milliards de m3 (+ 5,4% sur un an), et les importations à hauteur de 79,4 milliards de m3 (+5,8%) qui se divisent en 33,2 milliards de m3 par gazoducs et 46,2 milliards de m3 par transport maritime sous la forme de GNL. En 2022, les livraisons de gaz russe via gazoduc avaient augmenté de 54%.

Le poids toujours important du charbon

Enfin, si le charbon reste largement utilisé pour produire de l'électricité dans le pays, les énergies renouvelables sont prioritaires pour le pays. La production d'électricité à partir des énergies renouvelables a progressé de... près de 850% entre 2012 et 2022, selon le Statistical Review of World Energy 2023. L'année dernière, la Chine comptait à elle seule pour plus de 32% de la production d'électricité mondiale générée à partir d'énergies renouvelables. Elle devrait même doubler ses capacités actuelles de solaire et d'éolien d'ici 2025, selon un rapport du Global Energy Monitor. Une accélération pour réduire sa dépendance aux importations de pétrole et de gaz et surtout sa consommation de charbon, qui a augmenté de près de 10% entre 2012 et 2022, et représentait l'année dernière près de 55% du charbon consommé dans le monde.