La guerre commerciale pourrait coûter près d'un Smic à chaque Français

Par Grégoire Normand  |   |  747  mots
Pour établir cette estimation, les auteurs de la note ont défini la "guerre commerciale totale" comme une augmentation de 60 points de pourcentage des tarifs douaniers sur les biens manufacturiers entre les principaux pays du monde et des restrictions sur les échanges de services. (Crédits : Reuters)
Dans une note du Conseil d'analyse économique (CAE), trois économistes ont estimé qu'une guerre commerciale généralisée pourrait avoir un impact négatif sur l'économie comparable à celui de la grande récession en 2008-2009.

La montée des tensions commerciales inquiète les économistes. Dans une note publiée ce mardi 3 juillet, Philippe Martin, Sébastien Jean et André Sapir ont tenté d'analyser les conséquences économiques d'une guerre commerciale généralisée à l'échelle mondiale. À l'heure où Donald Trump durcit sa politique commerciale en imposant des tarifs douaniers sur certains produits, les gouvernements tentent d'élaborer des stratégies économiques afin de limiter les effets de ces différentes mesures.

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"Une grave récession"

Pour les trois auteurs de la note, "le scénario d'une escalade protectionniste au niveau mondial ne peut plus être exclu." Ils signalent que dans le cadre "d'une guerre totale [..] l'impact serait similaire à celui de la grande récession de 2008-2009." Dans leur scénario le plus grave, ils anticipent une augmentation de 60 points de pourcentage des tarifs douaniers sur les biens manufacturiers entre les principaux pays du monde et des restrictions sur les échanges de services.

Les membres de l'organisme de réflexion rattaché au Premier ministre estiment que cette guerre aurait un effet permanent d'ampleur comparable sur les trois grandes puissances mondiales (Union européenne, États-Unis et Chine), d'environ 3% à 4% de de PIB. Pour les habitants du Vieux continent, cela pourrait se traduire par une perte annuelle de 1.250 euros par an en moyenne. Du côté de la France, les estimations indiquent que ce phénomène pourrait faire baisser le PIB de 3% représentant une perte annuelle moyenne de 1.125 euros par Français. En France, le montant mensuel du Smic s'élève actuellement à 1.170 euros net.

"Cette chute de 3% de PIB pour la France est à rapprocher à la perte du PIB potentiel qu'a subie la France suite à la grande récession de 2008-2009."

Si les pays de l'Union européenne sont relativement protégés par leur appartenance au marché unique européen, ces résultats remettent en question la thèse de l'administration Trump qui soutient régulièrement que seules l'UE et la Chine seraient les grandes perdantes de cet affrontement. En revanche, le président délégué du CAE Philippe Martin a rappelé lors de la conférence de presse que les petits pays pourraient être les grands perdants de cette bataille.

"Les pertes sont d'autant plus grandes que les pays sont petits et ouverts, davantage affectés par l'augmentation des coûts de production et des prix aux consommateurs, et par la perte de marchés."

L'Irlande, le Canada, la Suisse, le Mexique ou encore la Corée du Sud pourraient par exemple subir une chute du PIB de 10% dans le pire des scénarios (seuls les échanges à l'intérieur de l'Union européenne sont épargnés). Cette escalade pourrait ainsi avoir des conséquences sur le pouvoir d'achat, l'emploi, un durcissement de la politique monétaire des banques centrales anticipant une poussée inflationniste liée aux tarifs douaniers.

Protéger le multilatéralisme

Face à l'offensive américaine, les économistes ont élaboré plusieurs stratégies "pour sortir par le haut." L'objectif de l'UE est qu'elle "doit résolument mettre en oeuvre une stratégie de défense du multilatéralisme commercial." Dans une perspective à court terme, les rédacteurs de la note recommandent de "mettre en place une coordination de l'Union européenne avec ces principaux partenaires commerciaux sur l'adoption de rétorsions fermes et proportionnées aux attaques du multilatéralisme."

Outre les mesures de rétorsions, l'Union européenne doit procéder à des négociations plurilatérales pour faire évoluer les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et notamment celles relatives à l'organe de règlement des différends souvent contestées.

Multiplier les accords

Les économistes recommandent de poursuivre "une politique ambitieuse d'accords commerciaux au niveau européen, notamment en raison du rôle de 'police d'assurance' qu'ils procurent dans le contexte actuel d'incertitude et d'affaiblissement du multilatéralisme." La multiplication de ces accords pourrait faciliter l'intégration économique et commerciale de nombreux pays à l'échelle européenne.

Dans le cadre de ces accords, les économistes suggèrent enfin "d'exploiter les complémentarités entre la politique commerciale et d'autres champs de l'intervention des politiques publiques." Ils proposent par exemple d'intégrer les questions fiscales et environnementales en conditionnant la signature d'un accord commercial à l'adoption du plan d'action de l'OCDE de lutte contre l'érosion de la base fiscale ainsi qu'à la mise en œuvre de l'accord de Paris sur le climat.